Qu’est-ce que l’élection d’Emmanuel Macron peut impliquer de nouveau sur la situation du monde et celle du Proche-Orient ?
L’Arche : Comment jugez-vous tout d’abord les premiers pas d’Emmanuel Macron sur la scène internationale ?
Dominique Moïsi : De manière très positive. Sur la forme on retrouve une grandeur, une dignité, une solennité qui accompagne bien la nature du système présidentiel en France. Sur le fond, on perçoit un mélange de clarté, de fermeté, de jeunesse et d’enthousiasme. Il y a une vraie convergence entre la nature du message et la personnalité du messager.
Vous parlez de clarté mais cet avis n’est pas partagé par tout le monde. Beaucoup craignent ce fameux « et en même temps… » qui est typique d’Emmanuel Macron, et qui peut donner l’impression d’un manque de vision tranchée. Pour ne prendre qu’un exemple, on peut avoir le sentiment qu’il veut être ferme sur la Syrie « et en même temps » tendre la main à Poutine… Qu’en pensez-vous ?
Ce qu’il dit à Poutine me paraît très clair. Il le met face à un choix. En substance le message est le suivant : « La balle est dans votre camp, vous voulez renouer une relation de confiance avec nous, prouvez-nous que nous pouvons vous faire confiance. Vous êtes à Versailles pour inaugurer une exposition sur Pierre le Grand, qui avait choisi les valeurs européennes face aux valeurs asiatiques. Si vous désirez vous rapprocher de nous, si vous souhaitez une levée des sanctions, suivez son modèle. Cessez d’encourager les indépendantistes en Ukraine, cessez de mettre en avant votre intérêt national et celui du régime de Bachar Al-Assad en Syrie, participez pleinement à la lutte contre Daesh, et nous pourrons juger de vos véritables priorités. »
Les États-Unis et la France ont failli sur ce dossier syrien. Barack Obama a tracé une ligne rouge qu’il a ensuite ignorée. François Hollande a lui aussi tenté d’être ferme sans parvenir à de réelles avancées. L’élection d’Emmanuel Macron peut-elle vraiment apporter un changement sur ce dossier-là ? Il faut surtout observer ce qui va se passer prochainement. Des faits nouveaux peuvent intervenir dans les semaines ou mois qui viennent. Je pense à la chute de Mossoul et celle de Raqqa, qui représenteraient la fin du califat de Daesh sous sa forme territoriale. Daesh pourrait ainsi revenir à une forme d’Al Qaidisation, redevenir un groupe terroriste qui n’a plus le contrôle d’un territoire et d’une capitale à gérer. Tout cela amènera à repenser notre stratégie en Syrie. Est-ce que la fin du califat fera considérer le régime de Bachar Al-Assad comme moins incontournable qu’il ne l’est aujourd’hui ?
Mais avez-vous le sentiment qu’Emmanuel Macron a une réelle vision des thématiques liées au Proche-Orient de manière générale ?
Je crois que ce qui définit sa politique est la quête d’équilibre – c’est pour cela qu’il met toujours l’accent sur cette expression « en même temps ». Sa vision consiste à ne pas choisir son camp… ne pas choisir entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, ne pas choisir entre l’Algérie et le Maroc, ne pas choisi entre Israéliens et Palestiniens, trouver une position équilibrée face à des conflits que la France n’a pas les moyens de résoudre. C’est un mélange de modestie et d’équilibre, qui marque un réel changement avec ce que nous faisions précédemment. La diplomatie de Laurent Fabius voulait en quelque sorte prendre la suite des États-Unis après leur renoncement à poser la paix au Moyen-Orient. On s’aperçoit avec le recul qu’il y avait beaucoup d’irréalisme voir d’arrogance dans cette approche. Le nouveau Président semble revenir à davantage de modestie, même si je ne suis pas sûr que sa politique à l’égard du Proche-Orient soit clairement définie aujourd’hui. Je crois en tout cas qu’il y a une forme de réalisme dans son équipe. Ils sont conscients du fait que ni la France ni même l’Europe ne peuvent à eux seuls apporter une solution à ce conflit.
L’idée est donc que la France ne se prenne pas pour le gendarme du monde ?
Elle est surtout de replacer la politique étrangère de la France dans le cadre des priorités européennes. Il y aura sur tous les sujets la volonté de définir un compromis franco-allemand, ce qui peut être bon pour Israël ! La France sait que l’Allemagne, compte tenu de son passé, a une position proche des intérêts de l’État hébreu, même sans être toujours proche de ses gouvernants. C’est là que l’Allemagne et la France peuvent se retrouver, dans l’idée de soutenir à fond Israël, sans nécessairement soutenir à fond son incarnation politique.
Vous qui avez un pied en France et en Israël, avez-vous le sentiment que les Israéliens attendent quelque chose d’Emmanuel Macron ? On sait que le crédit de la France a baissé avec cette fameuse conférence pour la paix qui a été organisée en début d’année…
J’étais en Israël fin février, dans le cadre d’une grande conférence à Jérusalem, et j’expliquais à mes interlocuteurs que Macron serait très probablement le prochain président de la république. Mes interlocuteurs israéliens pour beaucoup n’y croyaient pas du tout, ils voyaient Marine Le Pen à l’Élysée, certains d’entre eux, même, me disaient qu’elle serait élue dès le premier tour. Beaucoup d’Israéliens sont donc passés d’une inquiétude très grande à une surprise totale, et en sont au moment où ils essayent d’intégrer ce que peut signifier cette élection…
Certains voient en Macron le Yaïr Lapid français, qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas très gentil pour Emmanuel Macron ! (rires). J’aurais peut-être dit que Matteo Renzi était le Yaïr Lapid italien… mais pas Emmanuel Macron. Je pense qu’il a davantage de « gravitas », de culture philosophique, et de vraie compréhension de la nature du pouvoir. Il se sent habité par une ambition qui, à tort ou à raison, le fait se sentir comme l’héritier direct de De Gaulle et de Mitterrand. Je ne crois pas que Yaïr Lapid se soit jamais pensé comme le successeur de David Ben Gourion…
Est-ce que le désir de renouvellement de la classe politique qui est exprimé en ce moment par la France pourrait se manifester aussi en Israël ?
On a annoncé le changement tellement de fois… il n’est jamais venu. Ce qui me frappe aujourd’hui plus que jamais, c’est le réel divorce qui existe entre le dynamisme, l’énergie, la santé de la société israélienne… et la classe politique qui est au pouvoir. Au fond, Israël accepte d’avoir une classe politique très inférieure à sa société civile. Il y a une forme de culture d’espoir chez les Israéliens qui est tout à fait extraordinaire. Je reviens toujours de ce pays avec un sentiment d’énergie retrouvée. Mais il ne faut pas regarder trop longtemps les débats de la Knesset qui sont, pour le coup, d’une très grande médiocrité.