On peut maintenant évaluer les résultats de cette longue séquence électorale qui s’achève et revenir sur la fabuleuse histoire que nous venons de vivre, celle de l’émergence dans le paysage politique français d’un homme dont chacun a pu constater qu’il n’était pas dénué de charme et qu’il était doté de quelques bonnes idées, dont on a envie d’abord de saluer l’audace et la réussite. En l’espace d’un an, avoir quitté un bateau en perdition, affrété un nouvel esquif et entamé une marche au bout de laquelle on se retrouve, au lendemain des élections législatives, avec une décomposition totale de la carte poli- tique, un PS disparu corps et biens, une droite dispersée façon puzzle et une opposition inaudible, qui dit mieux ? Qui aurait pu faire mieux ?
À l’actif, un vent de renouvellement comme le pays n’en a jamais connu. Un coup d’arrêt aux populismes de tout poil dont la France aura donné le signal. Et puis, on est sortis peut-être de l’immobilisme, du fatalisme, de l’aquoibonisme, et on respire mieux. Ce n’est pas rien. C’est même beaucoup, même si ce n’est pas tout.
Au passif, l’abstention, le manque d’adhésion populaire, la recomposition dont on tarde à voir les contours, une nouvelle assemblée où on constate beaucoup de nouveaux visages sans qu’on sache très bien ce que seront les nouvelles pratiques. Le « dégagisme » tous azimuts a des vertus, mais il ne fait pas de quartiers et ne pénalise pas toujours à bon escient. On pense à tel relégitimé (en dépit de ses déboires judiciaires, sans parler de ses accointances politiques), telle encore sanctionnée (alors qu’elle plaide depuis toujours pour une droite rénovée, libérale et ouverte), tel autre humilié (alors qu’il a fait un parcours qui l’honore, qu’il s’est montré courageux sur tous les plans et qu’il a toujours été adepte d’une rénovation de son parti…)
Tout commence désormais. Tout est nouveau. Et les premiers pas sont prometteurs. Le macronisme existe-t-il ? On l’ignore pour l’instant. S’il existe, c’est sous la forme résumée par Éric Fottorino, « tenter l’impossible et briser le vieux système ». La seconde partie de la formule a été accomplie sous nos yeux. Reste la promesse contenue dans la première partie, pour laquelle on ne peut que souhaiter la réussite d’Emmanuel Macron. Il faut qu’il réussisse parce que dans une situation internationale et nationale dominée par les menaces sécuritaires, le terrorisme islamiste, les fractures de la laïcité, l’homme qui tient le gouvernail et qui devra faire face aux tempêtes, pas seulement en misant sur l’Europe et sur l’amélioration de la situation économique, est porteur de tous les espoirs.
Un mot à propos de Manuel Valls. La haine, la violence, l’opprobre qu’on a déversées sur sa tête lors de ces élections législatives est juste insupportable. Il y a eu un acharnement compulsif contre l’ancien premier Ministre que chacun devrait condamner avec la plus grande véhémence, parce que la cible d’aujourd’hui pourrait bien se porter demain, de la part des mêmes, sur d’autres victimes. On a cherché à le pourchasser, à lui faire rendre gorge. Et ceux qui se sont adonnés à cette curée, c’est la sainte alliance des Insoumis, de Benoît Hamon, de Danielle Simonnet et de… Dieudonné – ils se sont mis à plusieurs pour être sûrs de lui donner le coup de grâce et de le faire payer. Mais faire payer quoi ? Son républicanisme impeccable ? Son refus des compromissions ? Son engagement sans faille pour la sécurité des Français ? Les mots justes qu’il a su trouver au moment de l’attentat de l’Hypercacher de Vincennes, quand il a dit que « la France, sans les juifs ne serait pas la France » ?
Michel Rocard, qui fut le mentor à la fois de Macron et de Valls, avait l’habitude de dire, au moment de la flambée d’antisémitisme en France : Il ne faut rien faire. C’est la précarité qui est la cause de tout. C’est elle qui est au cœur des problèmes que vit le pays. « Tant qu’on n’a pas réglé cela, on ne réglera pas l’antisémitisme. »
Sans doute. Peut-être. On n’en sait rien. Mais en attendant, Valls continue de mériter un coup de chapeau pour le discours churchillien prononcé à l’Assemblée nationale le 16 janvier 2015. Ce discours, acclamé par tous les députés debout, restera comme un de ces grands moments qui empêchent les sociétés de basculer et réconcilient beaucoup de monde avec la République.