Dans Petite Amie (Barash), la cinéaste Michal Vinik secoue les clichés et met à bas les tabous. Probablement le meilleur film israélien de l’été, il sort le 2 août sur nos écrans.
L’Iran et Israël se sont engagés vers une confrontation inévitable. Celle de montrer au monde la qualité de leurs œuvres cinématographiques qui brûlent les toiles sur lesquelles elles sont projetées tout autant que les tabous qui voudraient les en empêcher.
Depuis une quinzaine d’années, chacun de ces deux pays a prouvé qu’il n’y avait pas que deux ou trois références indéboulonnables, qu’il s’agisse d’Uri Zohar ou Ephraïm Kishon d’un côté ou de Jafar Panahi et Abbas Kiarostami de l’autre. Ça se bouscule des deux côtés avec ce besoin des jeunes réalisateurs et surtout réalisatrices d’aborder des sujets si souvent maîtrisés ou méprisés.
Un des films contemporains les plus bouleversants sur l’ultime tabou, une histoire d’amour entre deux femmes, est certainement En Secret (2011), de Maryam Keshavarz. La réalisatrice iranienne installée aux États-Unis n’a, bien entendu, pas pu tourner ce genre de film en Iran, encore moins en y montrant des femmes découvertes. Elle tourna donc au Liban, en secret aussi, mais avec un peu moins de menaces afin de disposer de décors proches de l’Iran. Un film qui aborde le sujet d’une histoire d’amour entre deux femmes mais qui est avant tout un des plus beaux films cinématographiques de ces dix dernières années, récompensé au Festival de Sundance.
Shirin (interprétée par la talentueuse actrice française Sarah Kazemy, qu’on ne voit pas assez sur le grand écran) et Atefeh (Nikohl Boosheri) sont des amis inséparables, fusionnelles. Elles partagent rires et touches de pianos, repas et soirées avec leurs amis fuyant la répression. Mehran (Reza Sixo Safai), le frère d’Atefeh, soigne son addiction à la drogue par celle à la religion. Il est recruté dans la brigade des mœurs et n’hésite pas à sévir contre ses proches, tout en tombant amoureux de Shirin. Il force cette dernière, ainsi que ses propres parents, à abandonner tout lien avec la culture, même avec le chant, car pour les mollahs, une femme ne peut pas chanter en public. Bref, empêcher toute insouciance ou indépendance.
En Secret
Maryam Keshavarz ne chercha pas seulement deux actrices pour ce rôle, elle voulait surtout pouvoir ressentir une alchimie entre elles. C’est effectivement indiscutable ce que quelques regards et mots susurrés laissent deviner comme émotion, comme force entre les deux actrices. Leurs gestes entre les tissus nuptiaux ne sont alors qu’une expression supplémentaire, qu’un aboutissement parmi d’autres d’une histoire d’Amour et non la focalisation fantasmée ou honnie.
C’est ce que tente aussi de montrer Barash (le titre est traduit Petite amie en France) réalisé par Michal Vinik. Un film sur la jeunesse israélienne pré-armée qui n’attend plus comme la génération de ses parents la fin du service militaire pour défricher les mondes. Naama Barash (interprétée par Sivan Noam Shimon) a 17 ans et tente de trouver un équilibre entre ses révoltes intérieures et la famille dont elle contribue pour une grande part à l’harmonie de façade. Tout en se forçant à recoller des morceaux ou à en remplacer, elle ne peut s’empêcher de jeter un regard plein de désillusions sur les totems, qu’ils soient liés à la famille, à l’école ou au calendrier national.
Avec ses amies, elles affichent une image marginale et discrète, aimant boire et passer des nuits sans attache avec des hommes qu’elles larguent avant qu’ils n’aient l’audace d’attendre qu’elles leur amènent leurs pantoufles. À ce sujet, Michal Vinik déclare : « Je voyais de très bons films sur l’adolescence dans le cinéma israélien mais aucun d’eux ne mettait en scène des personnages qui ressemblaient à des filles ou des femmes comme moi et mes amies. Les filles sont toujours gentilles, bien élevées, et la partie fun (les mésaventures excitantes et dangereuses) arrivent toujours aux garçons. »
La venue de Dana Hershko (Hadas Jade Sakori) bouleverse tout dans la vie de Naama. Son amitié avec les autres filles d’abord, Dana prenant presque toute la place. Il s’agit dans ce film aussi d’une fusion immédiate et assez inattendue celle-là vu les différences de look et de vie des deux filles. Elles se retrouvent loin des tensions familiales, dans le milieu de la nuit. Elles volent quelques moments entre et puis pendant les cours.
Petite Amie (Barash)
Naama, qui ne connaissait pas cette forme d’amour, est initiée par Dana. La tornade Dana, qui par son apparence et surtout son audace, pouvait faire franchir ce cap à Naama. Michal Vinik bouleverse les clichés sur la perception des lesbiennes, sur les « types » aussi variés que chez les gays ou les hétéros. Aussi présentes, partout et nulle part, pas seulement dans les lieux branchés et riches. Il ne s’agit donc plus d’un plaisir inaccessible à la plèbe. « Les lesbiennes sont des êtres humains comme les autres qui ont d’autres préoccupations que leur sexualité, d’où l’importance du contexte », affirme Vinik.
Les actrices sont certes moins subtiles et fines dans leur jeu que celles d’En secret. Leur situation aussi. Mais les personnages secondaires et l’interaction des deux femmes avec eux rendent le film drôle et piquant. Et ce qui rend Barash encore plus complexe et original c’est la situation rocambolesque qui s’ajoute lorsque la sœur aînée de Naama fait une révélation qui bouleverse la famille.
Pour secouer les préjugés et les situations inextricables, l’histoire d’un film ne peut se justifier que si on croit en ses personnages. S’ils dégagent assez d’énergie, notamment entre eux, pour arriver à leurs fins. Hadas Jade Sakori n’a pas été recrutée lors d’une audition. Elle raconte d’ailleurs comment elle a obtenu le rôle : « Je ne suis pas une actrice professionnelle. Michal Vinik, se promenant à vélo, m’a aperçue dans la rue et s’est mis à me suivre. Elle a attendu un peu avant de m’aborder et me proposer de passer une audition pour le rôle. » Vinik était intriguée par la forte présence de ce personnage qu’elle semblait s’être créée elle-même. Finalement, on se rend compte avec Barash, comme on le fit avec En secret, que plus qu’une « histoire de lesbienne », plus encore qu’une critique de leur société, il s’agit d’histoires d’amour, avec des hauts et des bas, avec leur noble simplicité.
Comme l’affirme Sivan Noam Shimon au Chicago International Film Festival, « ce film dresse moins le portrait d’Israël que celui d’une famille se trouvant en Israël. Cette histoire peut se reproduire aussi bien aux États-Unis qu’ailleurs ».
L’avant-dernier tabou à tomber fut la relation homosexuelle entre deux hommes. Car s’il n’était plus recommandé d’être raciste ou antisémite en Occident dès les années 80, l’homophobie dura plus longtemps. Ce n’est plus le cas, de manière générale, depuis la fin des années 90, en France comme en Israël. Le courage politique de Yaël Dayan et Nitzan Horowitz, la victoire de Dana International à l’Eurovision (1998) et le cinéma d’Eytan Fox accompagnèrent cette évolution fulgurante concernant la perception de l’homosexualité en Israël. Un pays où, aujourd’hui, gauche et droite militent ouvertement pour l’égalité des droits et devoirs concernant les personnes LGBT.
En Israël, seule une poignée d’extrémistes religieux se donnent encore aujourd’hui pour mission de mettre en place des « cellules psychologiques » pour soigner cette « maladie », offrant leurs se(r)vices pour ramener les « brebis égarées ». Le meurtre de la jeune Shira Banki à la Gay Pride de Jérusalem en 2015 est un exemple concret de ces dérives.
Les relations sexuelles entre deux hommes constituent l’avant-dernier tabou, car il y en a un ultime, pour lequel les gays ont aussi une part de responsabilité : les droits des lesbiennes. Elles furent effectivement souvent ignorées ou minorées dans les combats pour les droits des homosexuelles par les gays eux-mêmes.
Si la perception de deux hommes s’embrassant à l’écran met encore mal l’aise de nombreux hommes hétéros, le cas de deux femmes est encore plus frappant. Celles-ci sont acceptées, encouragées à s’adonner à ces gestes, voire plus, si cela a pour fonction de faire fantasmer des hommes hétéros. Lesquelles affirment dans la plupart des sondages qu’il s’agit de leur fantasme premier.
Ces mêmes hommes hétéros qui feraient tout pour accomplir leur premier fantasme de rejoindre deux femmes peu vêtues sont horrifiés par deux femmes qui pratiqueraient ces mêmes gestes sans les inviter. Encore plus si elles « salissent » leur famille avec ces comportements.
Le challenge majeur des réalisateurs contemporains est donc de pouvoir faire un film parlant d’une histoire d’amour entre deux femmes, sans y mêler les fantasmes hétéros ni la réduction à la simple sexualité. Mais d’insérer ces quelques gestes et nombreux regards au sein d’un paysage commun, quotidien. Ce qu’ont réussit En Secret et Barash. Ces films sont encore trop rares aujourd’hui.