Pour son premier film de fiction, le documentariste américain Joshua Z Weinstein situe l’intrigue de Brooklyn Yiddish dans le quartier juif orthodoxe de Borough Park, à New York. Le réalisateur s’inspire de la vie et de l’histoire de son acteur principal non professionnel – Menashé Lustig – qui joue son propre rôle à l’écran. Ce film entièrement tourné en yiddish a reçu le prix du jury au dernier Festival du cinéma américain de Deauville.
Qu’est ce qui fait courir Menashé après le temps dans les rues de Brooklyn? C’est l’une des questions qui frappe à la vision de cette course effrénée entre son travail dans une épicerie Kasher et la joie d’aller chercher son fils Ruben (Ruben Niborski) après l’école. Un fils, dont il a perdu la garde à la suite de la mort de sa femme et qui est hébergé chez son beau-frère. Une mesure imposée par la loi hassidique de la communauté où Menashé évolue, interdisant la garde des enfants par un père veuf tant qu’il ne se remarie pas. À sa demande et contre l’avis de sa belle famille, Menashé se voit accorder par le Rabbin la garde de son fils pendant une semaine afin de vérifier s’il peut être un père qui respecte les règles de sa communauté. C’est alors l’opportunité pour Menashé de vivre un quotidien retrouvé avec Ruben et peut-être, au-delà, de parvenir à faire le deuil de sa femme.
Joshua Z Weinstein est un cinéaste nomade, un peu ethnologue, qui a sillonné de nombreux pays comme l’Ouganda, l’Inde, le Japon ou les Philippines lors de ses précédents documentaires. Toujours en quête de rencontres, il est à l’affut des multiples coutumes et modes de vies du monde. Avec cet essai dans la fiction il revient à un paysage qui est lui est à la fois proche et lointain : la communauté hassidique new-yorkaise. Un autre monde qu’il trouve près de l’immeuble où il vit. Dans Brooklyn Yiddish, le réalisateur renoue avec ce monde aux dogmes et traditions qui lui semblent aujourd’hui disparus. Weinstein ne cache pas sa fascination pour cet environnement ainsi que les nombreuses problématiques qui l’entourent. Son cinéma se veut être de véritables pistes pour étudier les liens entre les membres d’une même communauté qui tendent parfois à s’éloigner.
Si des films israélien récents comme Tikkoun (2015) d’Avishai Sivan, ou la série télévisée à succès Shtisel (2013) abordent le quotidien des communautés juives orthodoxes, il est très rare qu’un film américain s’y aventure et surtout avec la manière dont Brooklyn Yiddish y parvient. La mise en scène déployée par J-Z Weinstein n’est pas sans rappeler John Cassavetes. C’est l’un des grands films de ce dernier – Une femme sous influence (1974) – qui fait figure de proue lorsque l’on visionne Brooklyn Yiddish. Le film-portrait d’une actrice et femme exceptionnelle : Gena Rowlands.
La majorité des plans de Brooklyn Yiddish se situent le plus souvent en intérieur au sein de la communauté de Borough Park, et transportent dans des espaces jusqu’ici inconnus et absents du cinéma actuel. D’autres séquences en extérieur comme celles à Central Park ou dans les rues de Brooklyn sont de saisissantes photographies d’un New York revisité. Les vifs mouvements de caméra qui suivent au plus près Menashé dans sa course quotidienne peuvent faire penser au travail des frères Dardennes et sont toujours au service du récit mais jamais démonstratifs. J-Z Weinstein parvient à naviguer aussi bien dans le réalisme de Robert Bresson ou de Vitario de Sicca, que dans les fulgurantes visions new-yorkaises peintes par le jeune Martin Scorsese dans Main Streets (1973).
Le cinéaste évite tous les pièges d’un film qui aurait pu être dénué d’âme car trop cérébral, ou l’esthétique d’un clip survolté maintes fois imitée lorsqu’il s’agit d’évoquer la métropole américaine. On retrouve dans Brooklyn Yiddish plutôt une douce mélancolie, un peu blues, qui se voit renforcée par sa langue : le yiddish, l’une des grandes actrices du film. On y trouve aussi de l’humour et de la tendresse cachée grâce au comédien Menashé Lustig qui sublime l’écran par sa vérité de jeu à chaque moment. « Je m’intéresse à la présence, à l’évolution d’un acteur dans le cadre. J’aime voir des acteurs qui ressemblent aux gens que l’on croise dans la rue. C’est cela qui me fascine, ce pourquoi j’aime raconter des histoires et des histoires qui soient celles de véritables gens. » déclare Joshua Z Weinstein.
Le film emprunte parfois d’autres détours pour dévoiler tous les sens de son récit. Comme avec cette scène de la visite du Rabbin chez Menashé : lors de cet improbable dîner, le réalisateur dévoile avec une grande économie de moyens toute la sensibilité de ses personnages. J-Z Weinstein vient alors nous suggérer, par le discours du Rabbin, une symbolique toute singulière. Des mots en guise de lumière qui, pour Menashé et son fils, sont probablement les signes d’une reconnaissance enfin retrouvée : « Evidemment, j’aurais pu faire un film sur les travers du hassidisme, mais il existe tant de belles histoires à raconter qu’il est dommage de ne pas le faire – et je n’avais jamais vu cette histoire racontée au cinéma. Il est important de raconter des histoires inédites. Je me devais de raconter une histoire que l’on n’avait encore jamais vue au cinéma. »