Avant 2000, il n’y avait pas beaucoup de réalisateurs israéliens de premier plan. La convention de coproduction entre la France et Israël, mise en place en 2002, a permis de découvrir des films de grande qualité, de tous bords.
Depuis une vingtaine d’années, le cinéma israéllien est devenu une référence mondiale. En dehors de quelques réalisateurs comme Ephraïm Kishon, Uri Zohar et Assi Dayan, on connaissait surtout ses films clichés comme la série Eskimo Limon et d’autres portraits niais du pays.
Son succès est d’abord lié à la qualité des sujets abordés, des tabous dépassés et de la maîtrise technique. Mais il est aussi le fruit de soutiens sur toute la chaîne. Des aides de l’Etat et des institutions, des partenariats internationaux, en particulier avec la France et de l’engagement de distributeurs et producteurs étrangers. Rencontre avec Sophie Dulac, dont le soutien au cinéma israélien, en tant que productrice et distributrice, permet aux spectateurs français d’apprécier sa diversité.
L’Arche : Vous travaillez depuis longtemps sur la distribution de films israéliens et la coproduction franco-israélienne ?
Sophie Dulac : Depuis une dizaine d’années et le film La Visite de la fanfare (2007) d’Eran Kolirin avec Ronit Elkabetz, film culte aujourd’hui. Nous avons continué avec Ronit pour Prendre femme (2005), le premier film de la trilogie. De fil en aiguille, nous avons rencontré pas mal de succès. De nombreux producteurs israéliens nous contactent aujourd’hui, car nous sommes connus pour notre engagement et notre expertise.
Cela fait maintenant un peu plus d’un an que Ronit nous a quittés. Incarnait-elle selon vous le plus célèbre et le plus beau des visages du cinéma israélien ?
Elle incarnait surtout une présence incroyable, féminine. Dans des sujets de comédie comme dans La Visite ou des sujets beaucoup plus graves tel Mon trésor (2004) de Keren Yedaya. C’était une figure incontournable du cinéma israélien. On prévoyait d’ailleurs un projet avec Ronit sur la Callas. Lequel n’a malheureusement pas pu se faire. Elle aurait été une fabuleuse Maria Callas ! C’est une grosse perte émotionnelle d’une amie, et aussi un grand manque pour le cinéma.
Comment s’est déroulée votre première rencontre ?
À la Ronit, j’ai envie de dire. La Visite de la fanfare rencontrait beaucoup de difficultés à trouver des producteurs. Ronit, qui avait à l’époque un appartement à Paris, y séjournait très régulièrement. Un jour, elle est venue me voir en disant : « Il faut absolument que tu rentres sur ce film. Il s’agit d’une histoire géniale sur une fanfare dans un désert. Tu vas adorer. Il faut que tu nous aides ! » J’ai lu le projet, avec Michel Zana qui travaille à mes côtés depuis 15 ans, et je l’ai trouvé, sur le papier, moins bouleversant que ce que Ronit semblait me décrire. Je me demandais même ce qu’elle trouvait à un tel projet, au manque d’action flagrant. Elle a beaucoup insisté. Et lorsque Ronit voulait quelque chose, il était difficile de lui résister. On a demandé à voir quelques images déjà tournées. C’est à ce moment qu’on a réalisé que si tout le film pouvait être de cette qualité, il n’y avait pas une seconde à hésiter. On est donc rentré sur le film, en coproduction et en distribution.
On peut dire qu’avant les années 2000 on allait surtout voir les films israéliens par curiosité, en se demandant ce que pouvait bien produire ce pays, mais qu’aujourd’hui on va voir les films israéliens parce qu’ils sont généralement assez bons.
Avant 2000, il n’y avait pas beaucoup de réalisateurs israéliens de premier plan. La convention de coproduction entre la France et Israël a été mise en place en 2002. Laquelle permettait de découvrir des films de grande qualité, de tous bords. Avec l’intérêt d’avoir, pour certains réalisateurs, la possibilité de dépasser le cap du sujet du conflit israélo-palestinien et d’aborder des sujets de société qui touchent tous les Israéliens. La présentation de ces thèmes et la critique parfois présente de leur pays n’est pas toujours appréciée du grand public, mais cela aboutit souvent à des films de qualité. Israël est, grâce à ses 17 écoles de cinéma, un pays très prolixe.
Il faut aujourd’hui faire le tri dans le cinéma israélien qui s’est un peu laissé ronronner par les louanges…
Exactement. J’estimais, à un moment, que ça ne valait pas toujours le coup de soutenir les films. Ce cinéma a traversé une période un peu creuse. Certains films sont allés à Cannes, ont reçu des prix, mais cela ne motivait pas toujours ma participation. Puis, on a reçu d’autres propositions très intéressantes qui touchent à la religion, par exemple. On a sorti un film que j’ai adoré, My Father, My Lord (2007) de David Volach. Un film bouleversant. Ces derniers temps, on a eu le sublime Mr Gaga (2015) de Tomer Heymann. On a aussi soutenu le film très difficile de Keren Yedaya, Loin de mon père (2014), traitant de l’inceste.
La force du cinéma israélien réside-t-elle aussi dans sa manière de confronter avec force et originalité des sujets très sensibles ?
Tout à fait. Qu’il s’agisse de la corruption, l’homosexualité, l’armée, la violence, le racisme. Des questions présentes en Israël, comme dans chaque pays. C’est un cinéma important à montrer et qui rencontre un vrai public en France. Le Festival du cinéma israélien à Paris, que j’ai repris et qui est organisé au cinéma Majestic Passy, marche très bien. Donc oui, il y a aujourd’hui un panel de sujets autour de ce petit pays qui fait malheureusement trop la une des journaux et pas toujours dans le bon sens. Même Amos Gitaï, avec qui on a sorti A l’Ouest du Jourdain (2017), a une vision des choses qui est la sienne mais mérite toutefois d’être présentée au grand public.
Les chaînes télés jouent-elles un grand rôle dans les productions franco-israéliennes ?
Arte joue effectivement ce rôle. À une époque, la chaîne acheta même trop de films israéliens, lesquels n’avaient pas eu le temps de sortir. Conséquemment, ils ont mis la pédale douce sur certains sujets. Mais, effectivement, Arte a été un précurseur pour la télévision française. C’est plus compliqué pour des chaînes grand public. Notamment en prime time. On travaille actuellement sur le film Foxtrot (2017) de Samuel Maoz. Il est jugé par certains comme « anti-israélien » à cause de la manière dont il parle de l’armée. Ces considérations me passent au-dessus de la tête. Le cinéma n’est pas fait pour véhiculer un message politique ou religieux. Cela doit rester du spectacle. Si, accessoirement, il permet de faire avancer des idées… Mais il ne s’agit pas de l’ambition de départ. Il y a tout un public qui fonctionne avec des a priori sur un cinéma qu’il ignore. Les réalisateurs doivent pouvoir pratiquer leur métier qui est de trouver des sujets originaux.
Trouve-t-on aujourd’hui de nombreux distributeurs ?
Oui. Bien qu’en Israël il s’agisse souvent des mêmes. On organise un hommage à Eran Kolirin lors du prochain Festival du cinéma israélien à Paris. Eran est israélien mais il touche des sujets qui dépassent un simple regard national. Je suis pour la liberté absolue. Les gens disent ce qu’ils veulent à travers leurs médias.
En dehors d’Arte, quelles sont les chaînes françaises qui participent à des coproductions ?
Canal Plus est assez présent. Il diffuse pas mal de cinéma israélien, mais pas forcément en prime time. Souvent ils attendent de voir quels seront les résultats d’un film à sa sortie. C’est pour ça d’ailleurs qu’ils ont dû payer plus cher que prévu la diffusion de La Visite de la fanfare suite à son grand succès. Il y a tellement de films intéressants pour la télévision, que le choix n’est pas toujours évident. Le cinéma israélien a bénéficié de son heure de gloire entre 2005 et 2009. On avait alors surfé sur ce succès avec des réalisateurs comme Raphaël Nadjari, Eytan Fox, Haïm Bouzaglo… Après, ça s’est un peu calmé conséquemment au choix abondant. Actuellement, ça revient. Ce cinéma continue à être un vecteur intéressant.
Comment se déroulent les rencontres avec les productions israéliennes ? Principalement dans les festivals ?
Souvent, lors des festivals. Des rencontres de coproductions s’y déroulent régulièrement. Avec le temps, nous sommes devenus une référence dans ce domaine. On reçoit donc directement de nombreux scénarios. De films palestiniens aussi. On a produit le film palestinien Personal Affairs (2016) de la réalisatrice Maha Haj. Un film qui a d’ailleurs été financé par Israël.
Ces réalisateurs trouvent-ils également des financements palestiniens ?
C’est extrêmement rare. En même temps, les films financés par Israël sont souvent la proie de leurs paires qui reprochent à ces réalisateurs de se faire financer ainsi.
Vous recevez les scénarios de films israéliens traduits en français ?
Ils arrivent souvent en anglais. On les envoie ensuite dans des festivals : Cannes, Berlin… On arrive régulière- ment à les positionner.
Ce n’est pas toujours évident. De quel film étiez-vous déçue par rapport à la réception du public ?
Watermarks (2004) est un de mes coups de cœur personnels. Un documentaire sur des nageuses autrichiennes qui, à cause de leur judéité, n’ont pas pu concourir aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936. Leur coach les exila rapidement en Argentine, en Israël… Le jeune réalisateur Yaron Zilberman les a toutes retrouvées soixante-cinq ans plus tard ! Il leur a demandé de renager avec l’étoile jaune sur le maillot de bains dans la piscine où elles avaient commencé leurs compétitions. J’avais adoré ce documentaire.
Quelle était, à ce sujet, pour vous, une évolution surprenante de la réception du scénario à sa distribution ?
My Father, My Lord en est un bon exemple. Suite à la projection du film, qui traite de thématiques difficiles, la mort d’un enfant dans un milieu religieux, nous étions incapables de prononcer un mot. En général, dès qu’on sort d’une projection, on échange regards et commentaires. L’émotion était telle que cela se révélait impossible. On a vraiment cru dans la capacité de ce film à rencontrer un beau succès. Ce qu’il fit avec 50 000 entrées. L’autre choc personnel n’est pas un film israélien. Il s’agit du Labyrinthe du silence (2014) de Giulio Ricciarelli, qui est aussi un premier film. Il traite du procès qui s’est déroulé en 1963, en Allemagne et par des Allemands, des camps de concentration. Une minute de projection à Cannes fut suffisante pour me convaincre de m’engager.
Est-ce une obligation pour vous d’aimer un film afin de s’engager à le soutenir ?
Absolument. C’est le cas dernièrement avec Brooklyn yiddish (2017) de Joshua Z. Weinstein. Un film somme toute ne correspondant pas aux créneaux « bankable » classiques. Une oeuvre entièrement en yiddish et parlant d’une petite communauté. Le bon démarrage dans les salles conforte notre volonté de soutien.
Y a-t-il encore aujourd’hui en Israël non plus des tabous, mais des sujets compliqués ou sensibles dans leur traitement ?
Certains affirment qu’Israël est un pays hors normes. Ce n’est pas faux. Mais il reste un pays comme beaucoup d’autres. Israël est une démocratie, avec sa violence aussi, confronté aux problèmes de tous ces autres pays. Avec la particularité d’être encerclé par des millions de gens qui veulent sa peau. Le comportement des Israéliens n’est donc pas tout à fait le même. Ce pays est la seule démocratie du Moyen-Orient. Ils ont mille défauts. On pense ce qu’on veut de la situation politique concernant la paix. L’armée demeure un sujet pas évident à traiter. La religion aussi. Bien qu’on ait pu voir un film traitant de l’homosexualité chez les religieux. Israël est un pays très jeune, avec une population qui l’est autant, qui en a marre de la guerre et de vivre sous l’épée de Damoclès des attentats.
Estimez-vous qu’il y a parfois des similarités entre les cinémas de la région ? Lorsqu’on a vu le film israélien Barash, qui traite d’une histoire d’amour entre deux lycéennes, on a fait un parallèle dans le magazine avec le très beau film iranien En secret (dans l’Arche 667 de juillet 2017).
Je ne pense pas. Certains pays de la région traitent d’un sujet en particulier. À cause des nombreuses années de brimade et de frustration. Que les femmes sont mises de coté. Tout à coup émergent des films, comme en Iran, où il y a tant de tabous. Des pays comme l’Egypte et l’Algérie ont du mal à avoir une cinématographie qui évoque des sujets plus généraux. Ils se focalisent surtout sur des sujets très particuliers, émanant d’un besoin d’expression violent face à une chape de plomb. En Israël, ce n’est pas du tout le cas. C’est un pays très ouvert. Pendant quelques années, ils ont ressenti ce besoin de parler abondamment du conflit afin d’exorciser leur vécu. Néanmoins, aujourd’hui, tous les sujets sont abordés. On retrouve, aujourd’hui en Israël, une génération qui a un énorme potentiel et je pense qu’ils vont continuer à présenter de très grandes œuvres. Après, il ne faut pas que le public en ait marre d’une certaine répétition. Mais les Israéliens continuent à avoir beaucoup de choses à dire. Lorsque vous êtes dans un pays où les hommes effectuent trois ans de service militaire et les femmes deux ans, en sortant de là, le cinéma, le théâtre, la chanson… toute culture artistique est un exorcisme formidable pour peu qu’on maîtrise la technique. Et les Israéliens prouvent sur le grand écran qu’ils ont encore de très belles choses à dire.