Le groupe Minimal Compact est né de la rencontre de trois personnalités : Rami Fortis, Samy Birnbach et Berry Sakharof. Trois décennies plus tard, ces artistes avant-gardistes électrisent toujours la scène de Tel-Aviv. Flash-back.
En 1986, lorsque je rédige la chronique du sixième 33 tours de Minimal Compact, j’ignore encore que j’ai entre les mains ce qui deviendra le plus populaire des albums du groupe israélien.
Trente ans plus tard, Minimal Compact se porte bien, merci pour lui. Certes, entre temps, la formation de Rami Fortis (guitares et chant), Samy Birnbach (chant) et Berry Sakharof (guitares, claviers et chant) s’est séparée, reformée, re-séparée, re-reformée, etc…jusqu’à nos jours. Puisqu’en janvier dernier, le groupe était encore en concert en Israël.
D’ailleurs, en 1990, lorsque je retrouve Fortis et Sakharof pour les besoins de mon documentaire pour
Arte sur Le rock et la paix en Israël, les deux compères avaient fait sécession de Minimal Compact pour fonder leur nouveau duo, baptisé d’un jeu de mots, Foreign Affair (affaire étrangère). Nouveau nom, nouveau son, mais toujours aussi anticonformistes, ils m’en avaient fait voir de toutes les couleurs en face caméra, maniant l’ironie et la provoc avec un art consommé.
Cependant, je n’avais pas oublié qu’en 1978 déjà, influencé par les Ramones et le Clash, avait été publié, porté par ses guitares vociférantes, le disque le plus bruyant jamais sorti dans tout le Moyen-Orient. À l’instar des Talking Heads, Brian Eno ou de Television, Minimal Compact aura durablement marqué les consciences de sa folie rock. Dur de survivre avec l’inflation, la guerre, le désert et la crise. Le rock israélien en a vu de toutes les couleurs. Premier punk local, tendance Beaux-Arts, Rami Fortis signe son premier LP en 1978. Quatre millions d’habitants et un isolement politique qui exclut toute possibilité de tourner chez les voisins, ça vous lamine un marché. Son refus des concessions va alors le pousser vers l’exil : New York, puis l’Europe. Il retrouve en Hollande ses compères Samy Birnbach et Berry Sakharof et Minimal Compact devient alors le groupe de rock underground originaire de Tel Aviv le plus célèbre du monde.
Certes, Minimal Compact n’est pas les Rolling Stones. Groupe obscur, groupe culte, ses concerts bourrent néanmoins les petites salles. Froide et passionnée, volcanique et détachée, un pied à l’Orient l’autre à l’Occident, la musique de Minimal assume tous ses paradoxes. Synthétiseurs, boites à rythmes, chants monocordes, le groupe glisse vers l’hyperréalisme.
Basé en Belgique, l’euro-rock de Minimal Compact fait des pieds de nez à toutes sortes de frontières. À cheval entre la Belgique de leur label Crammed Discs et Israël, leur base arrière, les Minimal Compact savaient subtilement mêler la chaleur de leurs racines orientales au souffle glacé de la New Wave, comme le feu fait parfois fondre la glace.
En 1987, je rencontrai Samy Birnbach, après son concert parisien, dans les coulisses du Rex-Club. C’était peu après la sortie de Raging Souls, sans doute l’album le plus abouti de Minimal Compact. Produit par Colin Newman, Raging Souls, sous sa pochette arty signée Russell Mills (graphiste des Cocteau Twins, Japan et autres Nine Inch Nails), c’était une sacrée galette, aussi attachante qu’expérimentale.
Le Rex-Club était alors un drôle de sanctuaire-rock. Jeunes gens tout de spleen vêtus, se pressant contre les portes d’acier; sourires figés et chevelures qui défient les lois de Newton, les aficionados virulents de Minimal Compact rappelaient étrangement le premier public de Cure.
Extase, ferveur, passion, curiosité, il dérangeait les mentalités trop ordonnées et l’indifférence volait en éclats. Sur scène, la voix de Samy Birnbach s’élevait au-dessus du brouillard synthétique, comme un râle optimiste, comme un rire aux frontières du morbide. Noir. Blanc. Monochrome. Elle emportait les âmes, tel le Charon de la mythologie, au confluent de l’Europe et de l’Asie. Oum Kalsoum et Ian Curtis avaient dû s’aimer un jour, pour produire un tel rejeton : inclassable.
Samy et ses sbires assument leurs racines ancestrales qui remontent au sacrifice d’Isaac. Pourtant, après le concert, Samy attaquait un bloc de foie gras pas vraiment casher et répondait à mes questions dans un parfait imbroglio de français et d’anglais.
L’Arche : La musique de Minimal Compact est très orientée Orient ?
Samy Birnbach : Oui, d’une certaine façon. J’écris tous les textes et nous composons ensemble. L’Orient, c’est notre instinct. Il sort comme ça de nos têtes, sans calcul. Jusqu’à l’âge de quatorze ans, j’ai grandi en Israël avant de voyager un peu partout en Europe : Suisse, Autriche, France, Grande-Bretagne, Hollande.
En 1979, l’album de Rami Fortis, le guitariste de MC, est sorti en Israël. Tu écrivais ses textes. Était-il le premier punk israélien?
Non, pas exactement punk. Le rock était basique, même si le côté provoc’ avait pour l’époque une certaine consonance avec le punk. Pour le public hébreu, nous étions alors simplement fous.
Comment se déroulaient les concerts ?
Un soir, nous avons joué au Philharmonie House Orchestra. Tous les gens ont été absolument choqués. Il y avait des tomates, des pommes de terre, des carottes … mais, pour une fois, c’est le groupe qui les balançait sur le public. Le public a pu faire la soupe. Rami est devenu un monument, mais plus personne en Israël n’a voulu prendre le risque de nous programmer sur une scène.
Que racontes-tu dans les textes de Minimal ?
Un peu de tout, des histoires personnelles sur la relation entre les êtres. Raging Souls, notre dernier 33 tours, est de loin le plus romantique. C’est l’AMOUR, mais les deux faces de l’amour, le côté pénible et le côté extase.
C’est important que les gens comprennent tes textes ?
Oui, pour certaines chansons. Ça dépend, certains titres ne sont que des flashes atmosphériques; des instantanés où se mêlent l’anglais, l’hébreu, le français, l’irakien pour jouer sur les diverses sonorités. Si elles sont aussi différentes entre elles, c’est que j’ai l’angoisse de l’ennui. La routine me fait flipper. Voilà pourquoi rien n’est jamais définitif dans Minimal Compact. Souvent, sur l’instant, les textes sont modifiés pour saisir un moment privilégié. C’est une façon de dépasser les mots pour se libérer. Mon critère à moi, c’est de rentrer en transe. Si elle est totale, alors c’est gagné.
Minimal Compact brouille autant les cartes que ses nationalités. Le groupe refuse les étiquettes de « politiques », « torturés » et tout ça … que lui colle souvent la presse. Il n’y a pas que cela dans la vie, Minimal c’est la même chose. L’homme est peut-être un givré politisé, il n’en reste pas moins irrationnel. Samy Birnbach incarne ce no man’s land qui existe en chacun de nous. Trois ans plus tard, en 1990, Minimal Compact s’autodétruit, tandis que Rami Fortis et Berry Sakharof fondent Foreign Affair et rentrent à la maison, à Tel Aviv.
East On Fire, leur premier album est à peine publié. Je les retrouve dans le désert du Néguev, où le tandem grille comme des hot-dogs sous le soleil d’hiver.
Rassurez-vous, les Foreign Affair ne sont ni masos ni bigots, mais la grandeur de ce paysage biblique collait simplement au feeling de leur vidéo-clip dirigé en l6 mm par le vidéaste Jo Pinto Maia. Dérive exacerbée des continents, nos héros jouent au choc de l’Orient et de l’Occident, pour fêter leur retour en terre promise. La page Minimal Compact semble donc tournée avec Foreign Affair.
Plus tard, dans un troquet de Tel Aviv, Rami et Berry dégustent avec moi un café turc pour tracer leurs nouvelles équations musicales.
Avec Minimal Compact vous faisiez de la World music sans le savoir ?
Rami Fortis : On n’y pensait pas, même si notre musique se jouait sur la dualité de nos deux cultures.
Berry Sakharof : En Europe, nous étions déracinés. On a toujours fait du rock, mais en y mêlant des éléments purement israéliens au parfum de I’Orient. Avec Minimal nous étions en parfait kolkhoze communiste. À Amsterdam, puis a Bruxelles, on vivait et on bossait ensemble, sous le même toit, mais on a fini par se retrouver dans un cul-de-sac.
R.F. : C’était normal pour nous d’arrêter avant que ne nous vienne à la bouche le mauvais goût de l’amertume. Foreign Affair est né des cendres de Minimal Compact, lorsque nous nous sommes séparés et que nous avons réfléchi à quelque chose de neuf ; derrière ce nom c’est vrai, nous assumons ce coté « ambassadeur » !
Avec Foreign Affair vous repassez par la case Israël.
B.S. : C’était une décision cruciale. Lorsqu’on vivait en Europe, nous avions souvent le blues d’Israël. Nous savions qu’un jour ou l’autre nous finirions par rentrer à la maison. Après sept ans de Minimal, nous avons réalisé que pour continuer à créer, il fallait qu’on retrouve nos racines. Nous puisons nos influences ici et pas seulement musicalement.
R.F. : Et nous n’avons pas choisi la facilité, car ici la situation est très dure et dans tous les sens, politiques et économiques.
Foreign Affair incarne cette nouvelle culture cosmopolite où l’hébreu se mêle à l’anglais et a l’arabe pour que le Proche-Orient soit encore plus proche. Quelques jours plus tard, aux portes de Jaffa, au sud de la ville, entre le Camel market et une antique mosquée, le gang FA, conduit par le guitariste Berry Sakharov, dévore de la poussière en abattant un mur pour agrandir leur local de répètes. En Israël, la notion de débrouille est une règle de survie héritée de l’histoire et de la géopolitique.
« Si j’ai choisi de rentrer au pays. c’est pour vivre là où je comprends toutes les infos dans les journaux, là où les odeurs et les images me sont familières », souligne le musicien. Si la New Wave torturée et intello de Minimal a laissé place au rock hanté par la fusion Orient/Occident de Foreign Affair, c’est bien pour marquer toute la distance parcourue.
Pour conserver son identité, Foreign Affair s’est forgé une nouvelle langue où l’hébreu, l’arabe, l’anglais et l’espéranto se mélangent en harmonie. « Lorsqu’on vit dans une situation politique aussi difficile, il en émerge forcément quelque chose de fort », souligne Fortis, avec son accent chantant.
Si Minimal et Foreign ont inspiré de très nombreux artistes en Israël, Berry Sakharof a également produit nombre de formations locales comme les Revenge of the Tractor, avant de se lancer dans une florissante carrière solo, enregistrant 10 albums et remportant un vif succès qui lui vaudront le surnom de Prince du rock israélien. Au fil des reformations avec Minimal Compact et des aventures en solitaire, des collaborations diverses et surtout des concerts qu’ils continuent toujours de donner, en Israël comme à l’étranger, le trio Sakharof, Fortis et Birnbach incarne à lui seul toute une épopée : celle de l’aristocratie du rock de Tel Aviv dans ce qu’il peut incarner de plus criant.