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Israël

L’avenir indo-israélien

Bien enracinées dans le passé, le ciel est la limite de l’avenir des relations indo-israéliennes.

 

L’empire grec, l’empire égyptien, l’empire romain – ils sont tous effacés du monde. Jusqu’à ce jour, toutefois, perdurent notre nom et notre enseigne. » Ces mots, qui pourraient parfaitement exprimer la foi en la pérennité du peuple juif à travers l’Histoire, ne sont tirés ni d’un « piyut » pour hanoukka, ni d’un chant de pourim. Ce sont les strophes de Mohammed Iqbal, l’un des plus grands poètes du sous-continent indien. Ils incarnent un principe fondamental, partagé par l’Inde et Israël, qui unit ces deux pays à travers la conviction profonde d’appartenir à une civilisation sempiternelle dont l’Etat-nation n’est qu’un avatar temporel. Les deux pays se reconnaissent comme les représentants de civilisations antiques (voire pérennes) et se respectent en tant que tels. C’est d’abord à travers ce prisme que l’Inde et Israël voient leurs relations, pas seulement comme liens diplomatiques, mais comme relations civilisationnelles.

En effet, ces relations sont bien antérieures aux deux entités politiques modernes. Si l’État d’Israël et la République de l’Inde ont respectivement été créés en 1948 et en 1947, les premiers contacts entre les civilisations juive et indienne datent de l’Antiquité, de l’époque où d’anciennes communautés juives résidaient dans le sous-continent indien depuis déjà plusieurs siècles. Il est à souligner que ces communautés n’avaient presque jamais connu l’antisémitisme sur le sol indien. Comme je l’ai entendu dire par un député de la Knesset : « les fleuves de l’Inde n’ont jamais été souillés par le sang juif ». Voilà un fait essentiel à connaître pour bien comprendre nos relations singulières. Il faut aussi savoir que l’un des fils de cette communauté, Jacob Faraj Raphael Jacob, un général indien décoré, de confession juive, qui avait vaincu (avec très peu d’hommes et beaucoup de « chutzpta ») l’armée pakistanaise au Bangladesh en 1971, a joué un rôle important dans l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays en 1992. Les deux nations ont perdu un héros et un homme d’intégrité avec son décès en 2016.

Ce rapport de « peuple-à-peuple » fait partie essentielle des relations indo-israéliennes. Le voyage en Inde effectué après le service militaire est devenu une étape presque obligatoire dans le parcours des jeunes Israéliens tandis que plus de 40 000 Indiens se rendent en Israël chaque année. La multiplication de ces contacts réguliers entre les deux sociétés a entraîné des influences culturelles réciproques, y compris un film Bollywood authentique qui est actuellement en cours de tournage en Israël.

Pourtant, le développement le plus spectaculaire est bien l’apothéose du renforcement des relations politiques entre les deux pays observé l’année dernière. La visite officielle du Premier ministre Narendra Modi en Israël en 2017 et la visite d’État du Président Pranab Mukherjee l’année précédente furent l’aboutissement d’un processus de rapprochement politique accéléré ces dernières années. Depuis l’institution de relations diplomatiques formelles, à la sortie de la Guerre froide, notre coopération bilatérale dans plusieurs domaines, notamment l’agriculture, la défense et le commerce, s’est développée d’une manière impressionnante.

Les gouvernements des deux pays se sont toujours entraidés et ont toujours coopéré sur les sujets les plus importants, voire des sujets existentiels pour nos deux pays. À ce titre, l’Inde et Israël ont mis en place un réseau d’une trentaine de « centres d’excellence agriculturale » pour la formation des agriculteurs indiens en s’inspirant du savoir-faire israélien en la matière.

Les deux pays ont également institué un partenariat dans le développement des systèmes de défense qu’on qualifie diplomatiquement d’« intime ». Durant la dernière décennie, la recherche scientifique et technologique, surtout en matière de « technologies propres » a rejoint le dossier de coopération bilatérale, y compris la participation de sociétés israéliennes à la réhabilitation du Gange ; un projet d’une signification écologique, sani- taire et spirituelle inégalée pour les Indiens.

Plus largement, les secteurs technologiques des deux pays, conçus par chacun comme la clé de l’avenir, se sont avérés complémentaires ; ce qui a mené à une vaste collaboration impliquant des ingénieurs, des investisseurs et des chefs d’entreprises israéliens et indiens.

Néanmoins, durant des années, malgré les avancées impressionnantes sur le terrain, une attitude de réserve a continué à caractériser la diplomatie indienne vis-à-vis d’Israël. La discrétion a prévalu face à toute revendication publique de la proximité entre les deux pays. L’Inde ne niait jamais formellement cette coopération, reconnaissant même toujours des relations amicales avec l’État hébreu, mais les diplomates israéliens percevaient une réticence indienne à dévoiler l’ampleur et l’importance de ces liens. Il y avait un « plafond de verre », concernant le niveau et le rang des visites officielles depuis New Delhi à Jérusalem, et les déclarations ou les votes concernant Israël de la part des délégués indiens auprès des organisations internationales Ils exprimaient souvent le contrepoids à cette amitié bilatérale.

Une certaine nervosité marquait les manifestations publiques de ce partenariat. Cette réticence remonte aux traditions du « non-alignement » de la Guerre froide, et repose sur des perceptions désuètes, face aux réactions prévisibles de la part des pays arabes et de certains secteurs de la population indienne dans le contexte d’une société conservatrice qui ne se prête pas facilement aux changements brusques.

Il est à souligner que cette réticence n’était pas seulement une affaire de prestige ou d’honneur national pour Israël. Dans une société profondément hiérarchique comme celle de l’Inde, le message ambigu transmis par les hauts dirigeants indiens vis-à-vis de la coopération avec Israël a infusé auprès de beaucoup d’acteurs gouvernementaux et privés. Je me souviens par exemple d’une occasion où nous étions sur le point de signer un accord actant la mise en place d’un fonds de recherches académiques conjoint. Nous avions déjà finalisé et agréé tous les détails et les conditions du fonctionnement de ce programme quand, au dernier moment, les responsables indiens se sont retirés en attendant une autorisation explicite et non ambiguë de la part des plus hauts rangs politiques.

Il semblait que, puisqu’il s’agissait d’Israël, un pays « controversé », nos homologues hésitaient et ne voulaient pas prendre la responsabilité de ce programme, quoiqu’il apportât des bénéfices évidents aux chercheurs indiens. Il faut dire également que la réticence publique des dirigeants indiens par rapport à Israël a aussi poussé certains responsables israéliens, dans le secteur privé et dans le secteur public, à douter de la durabilité et de la fiabilité des relations indo-israéliennes.

Mais tout cela a changé suite à la victoire écrasante de Narendra Modi aux élections de 2014. L’ancien Chief Minister de l’État industriel de Gujarat avait déjà une expérience réussie et fructueuse de coopération avec Israël dans son État et souhaitait la dupliquer au niveau fédéral. L’expertise israélienne correspondait parfaitement à la « révolution à quatre couleurs » qu’il allait déclarer : modernisation du secteur agricole (vert), du secteur laitier (blanc), de la gestion des ressources de l’eau (bleu) et de l’énergie renouvelable (jaune).

En plus, M. Modi venait au pouvoir avec la détermination de réformer profondément le système gouvernemental et de se débarrasser de toutes ces pratiques habituelles qui n’avaient aucune raison d’être, à part l’inertie. Cette détermination suscita une fronde chez les hauts fonctionnaires indiens (« ce vendeur du Chai ne viendra pas nous enseigner comment gouverner l’Inde », ai-je entendu dire), mais finalement, ils ne sont pas parvenus à l’en empêcher. La frilosité concernant le partenariat indo-israélien est un exemple classique d’une telle pratique, caduque et anachronique.

La visite d’État du président indien, une fonction qui se veut au-dessus des enjeux de politique intérieure, a préparé le terrain à la visite officielle du Premier ministre indien en Israël en 2017. Ce fut une première historique. Cette visite durant laquelle Modi et son homologue israélien Netanyahou ont exprimé l’amitié indo-israélienne d’une manière claire, fière et passionnée, a mis un terme aux hésitations, à l’ambiguïté et à la réserve concernant les relations stratégiques entre les deux pays.

Peu de temps avant, en juin 2017, le cabinet israélien a adopté une résolution spéciale spécifiant l’importance primordiale des relations avec l’Inde, en donnant des consignes aux divers ministères d’agir afin que ces relations soient renforcées et en consacrant des ressources budgétaires importantes pour y parvenir. D’ici là, l’avenir du partenariat semble encore plus prometteur. Bien enracinées dans le passé, le ciel est la limite de l’avenir des relations indo-israéliennes.

 

Shimon Mercer-Wood, actuel porte-parole de l’ambassade d’Israël en France, était conseiller politique à l’ambassade d’Israël en Inde entre 2010 et 2013.