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Littérature

Dans le port d’Anvers, y’a des enfants qui espèrent

Golda Meïr, Albert Einstein, Irving Berlin, Bessie Cohen… ils voyagèrent avec tant d’autres réfugiés d’Anvers à New York  à bord des bateaux de la Red Star Line entre 1873 et 1934. Géraldine Kamps et Michèle Baczynsky rendent hommage dans le roman graphique Les enfants de la Red Star Line à celles et ceux qui embarquèrent dans l’espoir de jours meilleurs.

L’Arche : D’où vous est venue l’idée de parler de la Red Star Line ?

Géraldine Kamps : C’est en visitant le Musée de la Red Star Line, ouvert en 2013 à Anvers, à l’emplacement même où, dès la fin du 19e siècle, les migrants venus de toute l’Europe passaient les examens médicaux avant d’embarquer sur les bateaux de la Red Star Line, que nous avons eu l’idée de raconter cette histoire à destination des enfants de 6 à 12 ans. Peu d’ouvrages existent sur le sujet pour le jeune public. Le Musée a très vite accepté d’être notre partenaire et de nous donner l’accès à ses archives, ce qui nous a permis de nous baser sur des témoignages et des faits réels pour imaginer cinq enfants qui font la traversée et se rencontrent sur le pont du bateau. Nous tenions à transmettre une histoire positive qu’ont vécue beaucoup de Juifs puisque un quart des 2 millions de « voyageurs » qui ont emprunté cette ligne maritime étaient juifs. Ils fuyaient la pauvreté, mais surtout les violences, voire les pogroms se déroulant dans leurs pays d’origine, la Pologne, l’Ukraine, la Russie… Notre histoire fait aussi écho à la crise actuelle des migrants, et donne ainsi l’occasion d’aborder cette question pas toujours facile avec les plus jeunes.

Tous ces migrants semblent partager de nombreux moments sur le bateau et aussi un certain enthousiasme un peu naïf sur la terre d’accueil américaine. Que symbolisait pour eux ce pays ? Et quelles furent les conditions d’accueil ?

La plupart des migrants à l’époque ont en tête le « rêve américain », synonyme de réussite. En partant de leur village éloigné, avant de rejoindre la gare la plus proche, puis le port d’Anvers, et enfin, Ellis Island, porte d’entrée aux Etats-Unis, ils ignorent que le voyage sera si long et si pénible, que les mesures d’hygiène imposées par les Etats-Unis seront très strictes, avec des contrôles médicaux imparables, par crainte de propagation des épidémies. Les conditions d’accueil ne leur sont pas non plus favorables, et bien différentes de celles qu’ils s’étaient imaginées, comme on le voit aujourd’hui avec l’arrivée des réfugiés en Europe. Personne ne les attend, on les craint plutôt. Si l’installation de certains sera parfois facilitée par des membres de la famille déjà sur place, beaucoup auront toutes les difficultés à se reconstruire, devant le plus souvent repartir de zéro, avec des conditions de travail et de logement généralement précaires. Ce ne sont que les générations suivantes qui verront le fruit de leur travail.

Le personnage de Basia est-il un hommage à Bessie Cohen ?

Les enfants dont nous parlons sont effectivement inspirés de plusieurs personnalités qui ont pris le bateau, enfants. La jeune Basia Cohen, notamment, quitte l’Ukraine avec sa mère et ses quatre frères et sœurs en 1919 et mettra deux ans pour rejoindre le port d’Anvers avant d’embarquer vers New York, où se trouve depuis six ans son papa. Basia deviendra Bessie Cohen et se battra toute sa vie pour le droit des femmes, des Afro-Américains et des Américains de souche. Mais il y a aussi Golda Mabovitz qui embarque avec sa mère et sa sœur à l’âge de 8 ans, en direction des Etats-Unis, et qui s’illustrera sous le nom de Golda Meir, Première ministre d’Israël. C’est aussi le cas du jeune Isidore Baline, qui a 5 ans lorsqu’il fuit avec sa famille les violences antisémites en Russie. Il deviendra le célèbre compositeur de jazz américain Irving Berlin, dont les musiques seront jouées par l’orchestre du Belgenland de la Red Star Line trente ans plus tard dans les salons des 1ère et 2e classes ! Une sacrée revanche ! Et puis, en 1933, c’est à bord d’un des navires de la Red Star Line qu’Albert Einstein apprendra la confiscation de ses biens par les nazis et écrira sa lettre de démission à l’Académie des sciences prussienne, avant de décider d’émigrer définitivement aux Etats-Unis.

Géraldine Kamps et Michèle Baczynsky, Les enfants de la Red Star Line, illustrations Emmanuelle Eeckhout. Editions La Renaissance du Livre.