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« Un mot et tout est sauvé… »

Saisi l’autre jour pour des propos tenus en janvier dernier, après l’agression d’un enseignant d’une école juive à Marseille – un ancien président de Médecins sans frontière s’était illustré en déclarant que la kippa était « un signe d’affiliation politique à l’État d’Israël » – le CSA a désavoué ce « grave dérapage à la fois anti-israélien et anti-juif » et blâmé aussi au passage l’animateur de l’émission C’est arrivé cette semaine où les propos avaient été tenus, et auquel le Conseil supérieur de l’audiovisuel a reproché son « manquement caractérisé à la maîtrise de l’antenne ».

C’est une anecdote mais qui mérite réflexion. Personne ne peut songer un instant que cet ancien médecin n’ait pas eu conscience d’abord du caractère mensonger de ses assertions, ce serait faire injure à son intelligence et à sa culture – la kippa est une coutume juive rabbinique depuis plus de deux millénaires, elle a été même reprise par le pape et les cardinaux dont on ne peut pas soupçonner qu’ils aient fait tout d’un coup allégeance au gouvernement israélien. Personne ne peut penser une seconde que le caractère fallacieux de ces propos ait échappé à leur auteur, ni ignorer le fait qu’ils sont de nature à entretenir la haine et à attiser les tensions. On peut le créditer au moins de cela, il le fait en toute connaissance de cause. Pour quelle raison ? Le bon mot, la recherche du bon mot, le mot qu’on lance à la volée, le mot qui provoque, même quand il n’a qu’un lointain rapport avec la vérité et même quand il s’agit d’une contre-vérité flagrante.

Exactement comme Jean-Luc Mélenchon qui, devant une foule place de la République à Paris, avance que « c’est la rue qui a mis à bas le nazisme ». Le président de la France insoumise n’est pas le seul à se soucier comme d’une guigne de la véracité des faits, de leur vraisemblance et encore moins de leur conséquence. La liste des méfaits de ce type, chez des personnalités de droite comme de gauche, serait trop longue.

Quant à l’animateur de l’émission où on a laissé l’invité se répandre en inepties, on hésite à qualifier son attitude. Est-ce de l’ignorance ? Un manque de réflexe ? Une absence de réflexion ? Un défaut de présence ? Peut-être tout cela à la fois ? En tout état de cause, on a mille fois raison de blâmer cette forme de journalisme frivole où on laisse passer tous les écarts sans même entendre ce qui se dit. On a raison de considérer que le manque de réactivité et d’imagination est une faute journalistique. Méconnaître, ignorer, sous-estimer les effets de ce qu’un mot peut provoquer, est-ce plus lourd ou moins lourd qu’un mensonge ?

Il faudrait, à l’usage du monde politique et du monde journalistique, dans les grandes écoles qui fabriquent notre personnel politique mais aussi au fronton des écoles de journalisme, mettre en exergue ce mot d’André Breton : « Un mot et tout est sauvé, un mot et tout est perdu. »

Plus grave, un autre amateur de ces mots lancés à la volée, sans vergogne, c’est encore Jean-Luc Mélenchon, insoumis en chef, qui écrit une lettre pour expliquer pour quelle raison il a décidé de claquer la porte d’une mission d’information sur la Nouvelle Calédonie. C’est simple, parce que Manuel Valls a été porté à sa présidence. Suit un tombereau d’injures à l’adresse de l’ancien Premier ministre, qui vont d’ « ignoble » à « nazi », proférées par tweet et à l’Assemblée nationale. Suit aussi, suit surtout une lettre adressée à François de Rugy, président de l’Assemblée nationale, dans laquelle Mélenchon dénonce la proximité de l’ancien candidat aux primaires socialistes avec « les thèses ethnicistes de l’extrême droite ».

La démarche est assez culottée, compte tenu qu’elle émane de la seule personnalité politique ayant refusé de donner consigne à ses électeurs de voter pour le candidat qui affrontait l’extrême droite au second tour des présidentielles, et qu’elle concerne une figure politique dont les positions sur le Front National ont toujours été solidement établies et clamées haut et fort depuis toujours. Mais arrive le « pompon » dans cette histoire. Le Président de la France insoumise en profite pour dénoncer, dans le même élan et avec le même aplomb, la proximité du même Manuel Valls avec « les dirigeants de l’extrême droite israélienne ».

Que vient faire Israël dans une commission sur la Nouvelle Calédonie ? Et où a-t-il pris cela ? Quels sont les propos visés ? On n’en saura pas plus. La vérité, c’est que Valls, dans ce psychodrame grotesque, n’est qu’un prétexte (sauf à considérer que Mélenchon craigne qu’un possible renouveau de la gauche passe finalement par cet homme seul, libéré des partis et indépendant du pouvoir). Ce qui est visé, c’est Israël, avec la volonté de faire un clin d’œil à cette partie de l’extrême gauche qu’on surprend de plus en plus bienveillante dès qu’il s’agit de l’islamisme et de plus en plus véhémente dès qu’il s’agit d’Israël.

Le coup de colère calculé de Mélenchon ressemble effectivement à un adoubement d’une partie de l’électorat sensible à ce discours. C’est plus du cynisme qu’un véritable ralliement, diront ceux qui le connaissent bien. La violence du propos et son caractère incongru suffisent à le disqualifier et ce qui excessif est insignifiant, diront d’autres… Sans doute, mais le lexique de l’antisionisme et de l’hostilité à Israël vient de s’enrichir de nouvelles vocalises.

Israël s’en est toujours tenu à un principe depuis sa création, ne jamais quitter une organisation internationale, pas plus l’ONU que l’Unesco. Même quand l’ONU a voté une résolution infâme assimilant le sionisme à du racisme, Israël n’a pas démissionné, n’a pas menacé de démissionner et n’a pas songé à démissionner. Reste que depuis quelques années maintenant, de façon répétée et systématique, cette organisation née pour favoriser le dialogue des cultures et des civilisations a adopté des mesures très choquantes sur Jérusalem, sur Hebron, sur le Mont du Temple, sur le tombeau des patriarches. Ces résolutions vont à l’encontre de la mémoire, de l’histoire, et du simple bon sens.

La nomination d’Audrey Azoulay est-elle de nature à corriger ces erreurs du passé et à ouvrir une nouvelle page ? Il faut dire que la bonne volonté hypothétique d’une directrice générale ne suffira pas. À preuve, Irina Bokova, qui n’a pas manqué de courage ni de détermination, n’a pas été en mesure de modifier la série de résolutions calamiteuses obtenues grâce au vote automatique de quelques délégués dans les commissions. La première déclaration de l’ancienne ministre de la Culture de François Hollande, dont la nomination a été saluée par Emmanuel Macron, est de bon augure. « C’est justement dans les moments de crise de l’Unesco qu’il faut rester engagés, soutenir l’organisation et agir pour réformer, mais ne pas quitter l’organisation. »

L’Unesco reviendrait-elle à sa mission première, celle qui consiste à s’occuper du dialogue des cultures et du développement du patrimoine mondial plutôt que de passer son temps à condamner Israël ? Réussira-t-elle à restaurer la confiance et à retrouver une crédibilité ? On verra.

Nous publions ce Hors-série sur Israël bien avant tout le monde, avant le 70e anniversaire de l’État d’Israël et avant le lancement de la Saison croisée France-Israël (dont Cécile Caillou-Robert, commissaire général de la Saison, nous donne la primeur dans ces colonnes). Pour une raison, c’est que nous souhaitions, avant le flot des articles, reportages, publications qui ne manqueront pas de marquer cet anniversaire, parler d’Israël autrement. Évoquer l’innovation, la recherche, la technologie, les neurosciences, la coopération, le cinéma, la littérature, les séries télévisées… Autant de domaines où Israël est à la pointe et dont nous rendons compte dans ce numéro.

La couverture que nous avons choisie correspond très exactement à la visée qui est la nôtre. Une jeune fille munie d’un casque à réalité virtuelle regarde vers l’avenir pendant qu’en arrière-fond se détache la Tour du roi David à Jérusalem. C’est cet extraordinaire et difficile mélange de tradition et de modernité, avec ses acquis et ses limites, que nous avons voulu mettre à l’honneur dans ces pages et qui nous paraît être la marque de l’Israël contemporain.