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Cinéma

La Promesse d’une mère

Le roman autobiographique de Romain Gary porté pour la deuxième fois à l’écran.

 

La Promesse de l’aube est à l’honneur : après une bande dessinée de Joann Sfar en 2014, Un certain M. Piekelny de François-Henri Désérable en cette rentrée littéraire, et près de cinquante ans après l’adaptation de Jules Dassin, Éric Barbier, réalisateur du Brasier (1991), du Serpent (2007) et du Dernier Diamant (2014), s’empare au cinéma de ce livre « d’inspiration autobiographique ».

Romain Gary entame l’écriture de son chef-d’œuvre au Mexique – un décor exotique dans lequel le cinéaste inscrit les premières scènes de son long-métrage. Affublé d’un bandage autour du crâne, l’écrivain, incarné par l’ex-sociétaire de la Comédie française Pierre Niney, est conduit au côté de Lesley Blanch à l’hôpital. Tandis que celui-ci s’assoupit, celle qui fut son épouse commence à lire le manuscrit de La Promesse de l’aube dont il tient les pages sur ses genoux. Ces pages que Gary a écrites dans la douleur ponctueront en voix-off la trame narrative de l’adaptation cinématographique. Regard rétrospectif sur vingt ans de la vie de l’écrivain double Prix Goncourt, héros de guerre, consul, ambassadeur, ce roman est aussi un livre sur sa mère.

Dans les rues enneigées de Wilno, la Russe Nina Kacew énonce des prophéties grandioses pour son fils : « Un jour tu auras une voiture et tu seras ambassadeur de France. » La vie se doit d’obéir à sa mère – envahissante, excentrique, obsessionnelle – à laquelle il voue un amour infini. Une mère dont les ambitions pour son jeune garçon sont naïvement démesurées, et qui ne manque pas de le sermonner quand il en a passé l’âge. Une mère qui s’impose, grâce à l’admirable jeu de Charlotte Gainsbourg, fumeuse frénétique à l’accent polonais et à la corpulence étonnante, comme une allégorie de la mère juive.

Si cet amour hors norme entre une mère et son fils constitue le fil rouge du film, en filigrane se dessine comme dans le roman leur amour inconditionnel de la France, où ils émigrent en 1928. Leur France mythique, celle de Victor Hugo, se mue en une France qui ne veut pas d’eux. Pourtant, si Romain Gary revendique une identité, c’est l’amour de la France. Jamais cet amour n’est entamé, même lorsque les galons de sous-lieutenant lui sont refusés – « Tu es israélite et ta naturalisation est trop récente. » Très vite il est mobilisé. Le jeune homme brille par son héroïsme dans de nombreuses scènes d’aviation, à terre comme dans les airs. Pendant ces années de guerre, plane l’ombre de sa mère-dibbuk, qui s’incarne devant lui, et l’enjoint de ne pas mourir et de travailler à son livre. C’est en Angleterre que son œuvre voit d’abord le jour sous le titre Forest in Anger avant d’être publié en 1945 chez Calmann-Lévy sous celui d’Éducation européenne. Et le général de Gaulle de lui décerner la croix de la Libération. Des gloires dont sa mère ne saura rien.

Mais Romain Gary le reconnaîtra : « Je commençai par m’en défendre et je me suis aperçu que cela prêtait à malentendu. Je ne me défends pas contre la véracité de l’histoire que je raconte, je me défends contre l’exactitude de la transposition littéraire que j’ai effectuée. C’est un problème d’honnêteté pour moi que de dire que je ne puis à trente ans de distance, à vingt ans de distance, me porter garant de l’exactitude du dialogue, des instantanés, des physionomies. Je ne puis vraiment dire que c’est une autobiographie parce que précisément le personnage central ce n’est pas moi, c’est ma mère. J’irai plus loin, le diplomate français, le consul général de France, si je puis rappeler tout cela sans paraître vaniteux, le Prix Goncourt, le compagnon de la Libération, ce n’est pas moi, c’est ma mère. En réalité c’est sa volonté prodigieuse qui m’a fait entièrement. C’est une sorte de réalisation d’un caractère et d’une volonté indomptables qui étaient les siens auxquels la vie s’est pliée. La vie semble avoir obéi à ma mère. » Obéi à sa mère mais aussi, sans fausse modestie, à sa volonté d’homme combattant pour sa patrie et contre les nombreuses injustices de ce siècle, les armes militaires puis littéraires à la main.

Dans La nuit sera calme, Romain Gary écrivait : « Ne dis pas forcément les choses comme elles se sont passées, mais transforme-les en légendes et trouve le ton de voix qu’il faut pour raconter. » C’est le 7e art qui présente ses combats aujourd’hui. Éric Barbier a choisi pour sa Promesse de l’aube celui d’une ample fresque au souffle épique – un des plus gros budgets du cinéma français cette année.