Le Mahj et la Cinémathèque présentent deux expositions très complémentaires sur le père d’Astérix.
Quarante ans après sa mort, René Goscinny reste un nom familier, notamment grâce aux récentes adaptations à l’écran du Petit Nicolas et d’Astérix. Les expositions qui lui rendent hommage permettent de découvrir en détail sa carrière et de comprendre tout ce qui a nourri son humour.
L’exposition au Mahj retrace le parcours de Goscinny comme scénariste pour la bande dessinée mais en mettant l’accent sur ses origines familiales, son enfance et ses débuts aux États-Unis puis en France : autant d’éléments importants mais peu connus.
Entre un petit écolier vivant dans un environnement urbain rappelant Paris et un irréductible Gaulois, une part importante de l’œuvre de Goscinny apparaît comme une incarnation finement humoristique de la culture française. Pourtant, si Goscinny est bien né à Paris en 1926, il suit deux ans plus tard ses parents en Argentine. Stanislas, ingénieur chimiste, est alors secrétaire de direction à la Jewish Colonization Association. René passe une enfance « agréable » à courir dans la pampa… Le comble de l’exotisme pour lui, ce sont les noms de villes et départements de son pays natal qu’il ne retrouvera définitivement qu’à 25 ans.
Quant à Stanislas Goscinny et Anna née Beresniak, ils ont vu le jour respectivement à Varsovie et en Ukraine au sein de familles juives éclairées et polyglottes – Stanislas ne parle pas moins de huit langues. Ils arrivent à Paris en 1905-1906, Stanislas pour poursuivre ses études, Anna avec ses huit frères et sœurs. Leur père, qui travaille à un dictionnaire yiddish/hébreu, et trois des fils ouvrent bientôt dans le 5e arrondissement une imprimerie qui voit passer des publications en français, russe, allemand, hébreu…
Les Beresniak cultivent les relations avec le monde slave tout en s’intégrant à la vie parisienne. Le Mahj présente de nombreuses photos de famille, des ouvrages et documents relatifs à l’imprimerie. Des pièces rares d’autant plus émouvantes quand on sait que trois des oncles de Goscinny seront tués à Auschwitz en 1942, après l’aryanisation de l’entreprise.
Par l’influence de sa famille et sa vie à Buenos Aires au milieu des Argentins et des expatriés européens, Goscinny apprend très jeune à s’ouvrir au monde et aux autres. Attiré par la bande dessinée et le cinéma, il dévore les aventures du chef indien de Patagonie Patoruzù, un personnage très populaire en Argentine, et découvre en compagnie de son père les films de Buster Keaton et les productions de Walt Disney.
Les premiers carnets exposés datent de 1938. Goscinny dessine Blanche neige et les sept nains et Mickey. On peut aussi découvrir ses collaborations pleines d’humour au journal de son ancien collège et des caricatures d’Hitler, Churchill ou encore d’une famille allemande parfaitement aryenne. L’adolescent à l’esprit vif ne peut être insensible à ce qui se produit dans la lointaine Europe : son père rejoint le comité De Gaulle et sa mère aide une partie de sa famille dont le sort est incertain. Mais le premier drame de sa vie d’adulte est la mort brutale de Stanislas en 1943. La famille se retrouve sans beaucoup de ressources et ne peut rentrer en France. En 1945, René et sa mère partent vivre à New York auprès d’un oncle maternel. Le jeune homme est attiré par le cinéma d’animation mais ne parvient qu’à trouver des travaux d’illustrateur dans une agence de publicité. Il rencontre aussi le dessinateur Kurtzman qui l’initie à l’art du comic et lui présente deux Belges qui allaient compter, Jijé et Morris. En 1951, Goscinny revient en France pour travailler comme rédacteur et illustrateur à l’agence World Press. En peu de temps, il multiplie les collaborations comme scénariste, notamment avec Morris et Uderzo puis Sempé et Tabary avec lequel il imagine Iznogoud.
Les dernières salles au Mahj présentent les œuvres réalisées en duo avec notamment de nombreuses planches originales depuis le premier succès avec Oumpah-Pah en 1958. C’est un pan de la bande dessinée destinée aux petits et aux grands, à la fois populaire, érudite (l’exposition montre quelques-uns des livres d’histoire de Goscinny) et surtout délicieusement parodique qui s’offre aux visiteurs. On y admire des pièces rares comme le synopsis de la première planche d’Astérix le Gaulois mais aussi des planches de bande dessinée moins connues telles Modeste et Pompon écrit avec Franquin ou Dick Dicks écrit et dessiné par Goscinny. Un espace est également consacré à l’aventure de Pilote dont Goscinny est l’un des fondateurs en 1959, avec notamment la maquette entière du numéro zéro.
L’exposition à la Cinémathèque, quant à elle, traite des relations de Goscinny avec le septième art. Chaque salle est consacrée à un univers dans lequel on plonge facilement grâce à une scénographie soignée et inspirée : le Petit Nicolas, avec ses bureaux d’écolier et la diffusion d’extraits de sa première adaptation en 1964, Astérix, qui a le plus grand espace et où sont présentés des éléments de décors et de costumes, et l’univers de Lucky Luke évoqué par une sorte de bar de saloon. A travers de nombreux extraits de films, des scénarios tapuscrits, story board et planches originales, on découvre comment Goscinny travaillait les scénarios avec les dessinateurs, animé par un souci du détail et un désir de perfection. On peut d’ailleurs écouter, non sans émotion, le dernier enregistrement de Goscinny qui, quelques jours avant sa mort, donnait des directives aux techniciens de son studio de dessins animés.
L’exposition revient aussi sur les nombreuses sources d’inspiration de Goscinny et son art consommé de la parodie, qu’il partage avec Uderzo et Morris. La salle consacrée à Lucky Luke met clairement en parallèle des films américains, notamment les westerns avec John Wayne ou des classiques tels Singin’ in the Rain et les versions revisitées par Goscinny et Morris. On peut aussi comparer une scène inspirée du Cléopâtre de Mankiewicz avec celle du dessin animé Astérix et Cléopâtre et celle du film d’Alain Chabat.
Un montage d’extraits montre les évolutions techniques dans les films d’Astérix, offrant ainsi une rapide histoire du film d’animation que complètent des petits reportages sur les étapes de fabrication d’un dessin animé et un espace consacré à Idefix, le studio que Goscinny fonde en 1973 avec Uderzo et Dargaud, leur éditeur. Enfin, pour achever le portrait de Goscinny et le cinéma, quelques éléments sont consacrés au film Le Viager ainsi qu’aux Minichroniques. Cette série satirique, traitant du quotidien des Français moyens, a été diffusée à la télévision en 1976 et 1977. L’exposition propose un extrait des présentations savoureuses que Goscinny faisait de chaque épisode, avec ce sourire malicieux qu’il avait déjà enfant.
Pétris de références historiques et culturelles, les mots de Goscinny ont conquis des millions de lecteurs dans le monde entier. Au-delà de leur caractère français ou nord-américain pour Lucky Luke, ses personnages portent des valeurs universelles. Certes, Goscinny est mort à la fin des Trente Glorieuses et ne pouvait imaginer les conflits de civilisation qui touchent le monde d’aujourd’hui. Mais le succès toujours aussi grand du cow-boy solitaire et justicier, de l’irréductible Gaulois indépendant ou de l’écolier à la fois fragile et plein de ressources prouvent que la leçon de résistance et de cosmopolitisme donnée par Goscinny n’a rien perdu de sa valeur.