Né en Roumanie en 1932, installé en Israël en 1946, Aharon Appelfeld s’est éteint à l’âge de 85 ans. Il était l’auteur d’une cinquantaine de livres, le dernier étant sorti ces derniers jours sous le titre « Des jours d’une stupéfiante clarté ». Nous publions l’article consacré à ce livre par Ariane Bois dans la nouvelle livraison de L’Arche.
Le plus célèbre romancier et poète israélien donne vie à un jeune rescapé qui lui ressemble et raconte son voyage à travers les paysages d’Europe centrale. Un texte qui une fois de plus convoque à la perfection mémoire et résurrection.
Théo Kornfeld a survécu au froid, à la faim, aux coups pendant deux ans de camp. Deux ans à tenir en convoquant le souvenir des siens : d’abord son père, Martin, propriétaire d’une petite librairie dans la ville de Stenberg, sa grand mère Yohana aux vêtements multicolores et surtout sa mère, Yetty, beauté originale folle de Bach et des églises dont il sera beaucoup question. Mais aujourd’hui, alors que la Libération est là, Théo, vingt ans, commence un autre voyage. Dans la plaine, parmi les bouleaux, au milieu des forêts et des ruines, des soldats et des déportés il marche vers la liberté, vers sa famille, qui il en est sûr l’attend. Seul ou en compagnie de compagnons de baraquement, en reconnaissant des amis qui ont survécu, ou en faisant confiance aux étrangers. Il y a des mois de sommeil à rattraper, l’obsession du café chaud, des femmes qui distribuent sandwichs et soupe, des collabos qu’on bat, des hommes qui ont perdu la foi et s’ ‘interrogent. Pourquoi ont-ils eux survécu aux rigueurs du camp numéro Huit et pas d’autres, plus forts ? Certains n’y arriveront pas et se suicident, d’autres croisent un antisémitisme qui ne faiblit pas. A chaque pas, à chaque être croisé, le jeune homme va tenter d’apporter de son humanité, de sa foi en la vie. Madeleine, l’amie d’enfance de son père, fort mal en point, lui permet de comprendre qui fut vraiment celui-ci. Une jeune fille à qui il donne un manteau l’accompagnera un temps, comme le fantôme de Mandel, le pieux, qui s’est sacrifié pour un prisonnier. Comme toujours chez Appelfeld, l’histoire que l’on peine à nommer roman tant la trame est autobiographique, fait résonner les pas des survivants, leurs interrogations, leur incapacité à reprendre le fil de leurs vies et à se libérer d’un passé douloureux. Le prix Médicis Etranger pour « Histoire d’une vie » en 2004 procède par petites touches, esquissant les innombrables questions du retour : faut-il tenter de rentrer chez soi où les familles ne sont plus, fuir en Palestine ou ailleurs, rester soi même et fidèle à sa langue ou en adopter une autre, un thème récurrent dans l’œuvre de l’écrivain , marcher seul ou se fondre dans la communauté des déportés ? « Le camp, nous a changé note Appelfeld. Avant, nous ne savions pas discerner l’éphémère de l’immuable. A présent, nous avons une autre compréhension des choses. »
Théo qui n’est resté vivant que pour revoir sa mère, Yetty, juive à la beauté incroyable, oiseau blessé à la maladie nerveuse a beau faire remonter en lui le souvenir des jours heureux, , il ressent douloureusement les années perdues . Au fur et à mesure de son périple le héros prendra la mesure de ce qu’il a perdu. Comment vivre après la catastrophe ? Le passé peut il être une mine de vie ? Appelfeld, romancier de la sensation, du silence, de l’absence, ne s’intéresse qu’aux victimes, jamais aux bourreaux, et décrit l’ univers intime des premiers, leurs camarades, leurs parents assassinés, un monde qui s’est évanoui . Par petites touches, avec des scènes brèves, des silences éloquents , un ton unique , il décrit la solitude et la solidarité de cet hiver 45 , et sur la route, « le mal dans sa pureté et le bien dans sa noblesse » . L’écrivain israélien le plus lu au monde, petit garçon né prés de Czernowitz en 1932 qui s ‘est retrouvé seul à 8 ans et demi, puis après le ghetto, le camp, caché dans les forêts d’Ukraine, – une enfance racontée de maintes fois – , fait dire à l’un de ses personnages « Ce n’est pas la peine de parler, disent ceux qui ont été dans les camps , la parole ne permettra pas de mieux comprendre.» Après plus d’une quarantaine de livres, la tristesse profonde, de l’homme, son humour sensible, son attention aux êtres et à la tristesse juive, dresse pourtant et encore un autel de mémoire pour ceux dont la Shoah a été l’enfance. Un récit qui touche toujours en plein coeur.
« Des jours d’une stupéfiante clarté de Aharon Appelfeld », Editions de l’Olivier, 320 pages, 22 €