L’Arche : Comment se présente cette année le dîner annuel du Crif ?
Francis Kalifat : Il se présente de la meilleure façon puisque cette 33ème édition fera partie, je crois, des grands crus des dîners du Crif. Nous avons une affluence très forte, tant du monde politique que des personnes qui souhaitent assister à ce dîner, que ce soit au niveau associatif, politique, religieux, syndical, société civile, le monde des affaires… Tous les pans de la société française sont représentés à un très haut niveau ce mercredi 7 mars, et c’est pour nous une véritable satisfaction.
Est-ce qu’on peut parler, si on s’en tient aux chiffres, d’une baisse au cours de la dernière année des agressions antisémites ?
Si on veut réellement analyser ces chiffres, on ne peut que constater une baisse. Il est évident que les chiffres qui nous sont donnés aujourd’hui par le Ministère de l’Intérieur constatent une baisse, et aussi minime soit-elle, on ne peut que s’en réjouir. Une fois qu’on a dit cela, il faut affiner notre regard sur ces chiffres et se rendre compte que la baisse des actes antisémites ne suit pas la baisse générale des actes racistes puisqu’elle est inférieure. Les actes racistes ont baissé de 16% mais les actes antisémites n’ont baissé que de 7%. On voit bien que l’antisémitisme est réellement installé dans notre pays depuis maintenant de nombreuses années. Et si on veut avoir encore un regard plus approfondi sur ces chiffres, on s’aperçoit également que les actes violents sont en augmentation. Cela veut dire qu’il y a aussi un changement dans l’expression de ces actes d’antisémitisme qui s’attaquent beaucoup plus à des personnes aujourd’hui qu’auparavant. Ce qu’il est important aussi de voir, c’est que finalement, les chiffres que nous avons aujourd’hui ne recensent que les actes antisémites qui font l’objet de plaintes en commissariat, alors que nous savons que de nombreuses personnes ne vont plus déposer plainte parce qu’ils ont le sentiment que cela ne sert plus à rien. C’est une première chose. Et deuxièmement, nous savons que l’antisémitisme s’exprime aussi par un autre biais que les actes antisémites qui donnent lieu à des dépôts de plainte, et notamment à travers Internet. Je crois que ce qui rend incomplète cette analyse des actes antisémites dans notre pays, c’est que tout ce qui se produit sur Internet n’est pas pris en compte. Et c’est pour répondre à cette lacune justement que j’ai décidé, au Crif, d’installer un observatoire de la haine sur Internet. Cet observatoire va bien sûr traiter de la haine antisémite, mais avec un objectif à moyen terme de pouvoir être étendu, lorsque nous aurons rôdé les choses, à toutes les haines, au racisme, aux actes anti-musulmans, à l’homophobie, à la haine d’Israël, et également à la haine de la France. Je crois que c’est important pour nous parce nous savons aujourd’hui que ceux qui haïssent la France sont aussi ceux qui sont les auteurs de ces actes antisémites.
Dans l’affiche qui se trouve derrière vous, il y a : « Pour Sarah Halimi, je ne me tairai pas ». On a tardé, c’est le moins qu’on puisse dire – même si c’est fait aujourd’hui – à qualifier l’agression d’antisémite. Est-ce que, aujourd’hui encore, on tarde pour certains faits à accoler le qualificatif d’antisémite ?
Vous faites allusion à cette tribune que j’avais écrite dans « Le Figaro » il y 11 mois déjà. Durant tout ce temps, nous n’avons pas cessé d ‘utiliser tous les moyens qui sont en notre pouvoir pour obtenir justement cette reconnaissance antisémite de ce crime odieux. Alors, oui, je crois, on a du mal aujourd’hui encore à reconnaître d’emblée qu’il y a de l’antisémitisme lorsqu’on attaque des juifs. Je crois qu’il faut que cela change. Et pour cela, il faudrait faire évoluer les choses. Il ne devrait plus être de la responsabilité de la victime de démontrer qu’elle a été victime d’un acte antisémite. A chaque fois qu’un juif, identifié comme juif par son agresseur, est agressé, on doit automatiquement inclure dans cette agression le caractère antisémite de cet acte, quitte ensuite à faire la preuve qu’il n’y a pas d’antisémitisme. Cela donnerait une image plus fidèle , parce que rares sont les actes antisémites qui sont qualifiés comme tels. Nous avons eu un exemple très récent avec ce garçon qui a été agressé à la sortie de la synagogue à Montmagny, qui portait une kippa sur la tête. L’agresseur passe en flagrant délit et déclare au juge tout simplement qu’il n’est pas antisémite, et le juge accepte cette déclaration et considère qu’il n’y a pas eu d’agression antisémite. C’est un cas qui s’est produit ces derniers jours.
Qu’attendez-vous du discours du Président de la République ?
Il y a quelques points importants que moi-même vais soulever dans mon discours. Ce sont des demandes et des questions que je vais poser au Président, et bien évidemment, j’attends des réponses, notamment sur Internet, parce qu’il y a des possibilités aujourd’hui de responsabiliser les géants d’Internet. Une des possibilités, c’est peut-être de les considérer comme des éditeurs et leur faire porter la même responsabilité que les éditeurs de presse-papier. Je pense que s’ils avaient ce couperet de la responsabilité, ils seraient plus vigilants dans la surveillance de ce qui circule sur leurs différents réseaux. Je vais demander également au Président de la République, dans le cadre de ce nouvel antisémitisme qui avance masqué derrière l’antisionisme, partant du constat que le législatif français n’est pas outillé pour lutter contre cela, s’il ne faudrait pas répondre positivement au ¨Parlement européen qui a vote une loi demandant aux Etats membres d’inclure dans leur législation la définition de l’antisémitisme telle qu’elle a été donnée. C’est une définition en 11 points qui prend en compte cet antisionisme militant qui confine plus à la haine d’Israël qu’à la contestation d’une politique. Il faudrait peut-être inclure, comme l’ont fait le Royaume Uni ou l’Allemagne ou la Roumanie, cette définition de l’antisémitisme telle qu’elle a été donnée par l’IRAH ( International Holocaust Remembrance) en France, pays qui tout de même a joué un rôle de leader dans la lutte contre l’antisémitisme. Cela permettrait à notre pays de conserver ce rôle parce qu’il y là un manque dans la législation française qui doit évoluer au moment où cet antisémitisme évolue également dans notre pays , puisque maintenant il avance à travers l’antisionisme et à travers tous ces mouvements de boycott , boycotts culturels, boycotts économiques , tous ces mouvements qui véhiculent la haine d’Israël . C’est une véritable israélophobie qui s’installe aujourd’hui avec ces mouvements de boycott, et cette israélophobie se transforme finalement en judéophobie.