Le duo composé du clarinettiste Yom et de l’organiste Baptiste-Florian Marle-Ouvrard co-titulaire de l’orgue de l’église Saint-Eustache à Paris, offre avec l’album Prière une transe autant musicale qu’alchimique. D’un seul tenant, cette pièce remarquable qui s’étend en souffle continu, a été enregistrée dans la grande salle de la Philharmonie de Paris. Actuellement, les deux musiciens jouent et tournent Prière partout en France avec un retour à la Philharmonie prévu le 6 octobre prochain. Une musique épousant les grands espaces et qui voyage à travers l’histoire des musiques sacrées, qu’elles soient chrétiennes ou juives, d’orient ou d’occident.
La rencontre entre Yom et l’orgue, est un désir patient qui a su mûrir, par l’attirance du musicien pour les lieux de culte de tous horizons. C’est en la personne de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard, concertiste international et musicien d’Office, que Yom concrétise son rêve afin de jouer ensemble la musique hors du temps qui constitue l’album Prière. Une symbiose se crée entre les deux hommes qui s’enrichit des différences, des histoires et des cultures de l’un et l’autre. Prière est une pièce monolithique divisée en dix mouvements où les compositions et les instruments s’enchevêtrent pour bâtir un temple de sonorités inouïes. Les œuvres des compositeurs classiques tels que Jean-Sébastien Bach ou Pergolèse, ainsi que l’influence des musiques klezmer, s’y invitent et s’y réunissent.
Yom, toujours friand d’expériences et de mélanges musicaux sait à nouveau nous surprendre. Comme ce fut le cas pour son album intitulé Songs For the Old Man (2015) qui mélangeait subtilement musique country et kelzmer en une série de folk songs clarinettistiques. Un album-hommage qui évoquait l’exil américain de son père vers les Etats Unis dans les années 50. On se souvient aussi de The Empire of Love (2013), une fusion improbable entre la disco balkanique et les pulsations électroniques de la french touch ; ou de sa rencontre avec Wang Li autodidacte de la guimbarde chinoise pour un disque traitant de l’impact de l’homme sur la Terre (Green Apocalypse – 2012). Mais c’est avec ses œuvres phares comme Unue (2009) ou Le Silence de l’Exode (2014), que Yom déploie tout son art. Une musique qui explore notre mémoire, nos sentiments et fait vibrer les cordes sensibles de notre âme. Enfin, des duos de Yom, il faut retenir celui avec lequel tout commence : l’initiateur et passionnant pianiste Denis Cuniot (The Golem on the Moon – 2004).
Yom, en compagnie de Baptiste-Florian Marle-Ouvrard, nous bouleversent dans Prières et nous invitent au voyage musical intérieur. Si la sonorité de l’orgue, peut dérouter, il est ici exploité de manière prodigieuse par Baptiste-Florian Marle-Ouvrard qui déploie une impressionnante palette de sons et de timbres. Les tessitures utilisées avec les bourdons basses ou les extrêmes aigües ressortent et détonnent du plan sonore habituel. L’organiste sort brillamment l’instrument du registre liturgique pour lequel il a été conçu afin de l’emmener vers d’autres modes bien plus contemporains. L’orgue se transforme alors en un gigantesque synthétiseur analogique comme venu d’un autre monde.
Avec Prière, les deux musiciens réussissent à modifier notre mode d’écoute que cela soit à la maison avec le disque ; ou en concert comme le 15 mai dernier lors de leur prestation à l’église Saint-Etienne du Mont. Au-delà de son jeu toujours aussi virtuose, Yom parvient à utiliser toute l’architecture de l’église. Empruntant les allées ou les nefs pour se rapprocher puis s’éloigner de l’orgue, Yom joue entièrement avec le son déployé des gigantesques tuyaux de métal. Il faut remarquer à ce propos, le travail remarquable de Ludovic Palabaud à la régie son, et qui œuvre pour que l’expérience d’écoute du public soit totale.
Sur la version disque, c’est une autre ambiance qui en émane. Les grandes orgues modernes de la Philharmonie et les caractéristiques acoustiques exceptionnelles de la salle Pierre Boulez donnent à Prière paradoxalement un ton plus proche, plus intime. Les deux mages du son nous donnent à écouter une musique dans laquelle leurs approches mutuelles à la fois folles et sereines, se réunissent dans une unité de temps, de dynamiques et de tonalités. L’image qui se dévoile lors de l’écoute de Prière, est peut être celle des grands monuments, trésors de l’humanité, comme la Basilique Sainte-Sophie d’Istanbul où le Temple de Jérusalem. Des lieux de pèlerinages, que l’on soit juif, musulman ou chrétien, où viennent se rencontrer et s’y côtoyer les différentes religions et cultures du Monde. L’Histoire et ses récits, le destin des personnes qui la traversent, habitent la musique de Yom et Baptiste-Florian Marle-Ouvrard. Prière, est un rituel sacré et profane, une apothéose exprimée à deux voix avec passion, qui continue de nous fasciner l’espace et le temps d’un point d’orgue.