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Littérature

Des interrogations en tonneau

Feld, le petit cordonnier venu de Pologne, rêve de marier sa fille, lectrice avide, à Max, l’étudiant prometteur. Kessler, l’ancien mireur d’oeufs à la retraite, refuse de quitter l’appartement miteux de l’East Side, dont il n’arrive plus à payer le loyer. Mitka, écrivaillon à la peine, s’éprend de l’auteure d’une nouvelle, qui ne correspond en rien à ce qu’il avait imaginé d’elle. Telles sont quelques-unes des situations imaginées par Bernard Malamud dans le Tonneau magique : un recueil de treize nouvelles paru pour la première fois en 1958 à New York, que les éditions Rivages ont eu l’excellente idée de republier en français, dans une nouvelle et lumineuse traduction de Josée Kamoun.

Maître du roman juif américain aux côtés de Bellow, Bernard Malamud (1914-1986) décrit comme nul autre les conditions de vie difficiles des petits immigrants juifs de Brooklyn et de leurs descendants. C’est notamment le cas dans « Pitié », où une veuve sans le sou a décidé d’ouvrir une épicerie pour pouvoir élever ses deux filles. Hélas, l’échoppe, située dans une rue à l’écart de tout passage, périclite irrémédiablement, et les tentatives répétées du compatissant Rosen, pour venir en aide à sa propriétaire n’y changeront pas grand chose. Malmenés par la vie, résistant comme ils le peuvent aux vents contraires, les personnages de Malamud font bien souvent figure de Job des Temps modernes, enchainant épreuve sur épreuve, obstacle sur obstacle. Loin de verser dans le misérabilisme ni dans la glorification de leur souffrance, le romancier souligne l’obstination de ces êtres à attendre que la roue tourne en leur faveur, à espérer que leurs efforts pour s’en sortir soient enfin couronnés de succès. Dans la Précieuse clef, un jeune doctorant ayant échoué à faire financer sa thèse, investit ainsi toutes ses économies pour partir à Rome avec sa femme et ses enfants afin de poursuivre ses recherches. Ses difficultés à se loger et son entêtement à vouloir trouver coute que coûte un appartement où ses proches puissent vivre convenablement mettent les nerfs du lecteur à rude épreuve.

Père littéraire de Philip Roth, Malamud, qui reniait comme lui l’étiquette d’écrivain juif à laquelle les critiques de l’époque le réduisaient souvent, puise pourtant constamment au coeur des textes et de la tradition juive pour donner à ses nouvelles la forme de paraboles. Qu’il revisite l’histoire de Laban, faisant patienter Jacob pendant sept ans pour lui donner la main de Rachel (les Sept premières années), ou qu’il imagine un ange gardien juif et noir veillant sur la destinée d’un couple de vieux tailleurs juifs (l’Ange Levine), le récit biblique et le Midrash infusent ses textes, qui se lisent comme les héritiers directs des contes yiddish, mais avec une forte résonnance universelle. Vieille question qui le taraudait depuis qu’il avait épousé une femme d’origine italienne et catholique, Malamud interroge constamment le rapport à l’identité juive. Ainsi dans la formidable nouvelle intitulée Dame du lac, un jeune homme juif s’étant épris d’une belle Italienne, sur une île du lac de Côme, décide de lui cacher sa religion. Bien mal lui en prendra, et l’histoire d’amour qui lui tendait les bras s’envolera, entre le mensonge et le déni.

Malamud confirme ici qu’il est un magnifique peintre des tourments de l’âme humaine. Il a le génie de placer ses protagonistes, en peu de phrases et avec un humour aussi noir que subtil, face à leur culpabilité et à leurs responsabilités d’homme. Ces nouvelles, dont certaines annoncent de futurs romans (le Commis, Portraits de Fidelman) disent avec force la solitude de l’être humain, tout comme son penchant irrésistible à vouloir réparer un monde bancal. Il offre ici de bouleversantes tranches de vie, brossées par une écriture d’une remarquable intensité.

Le tonneau magique, de Bernard Malamud, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun, éditions Rivages.