Des milliers de personnes ont accompagné Simone Veil au Panthéon ce premier dimanche de juillet. Le long de la rue Soufflot, ils guettent derrière les barrières, aux fenêtres, sur les petits balcons. Elle arrive du Mémorial de la Shoah, point de départ du protocole et de beaucoup, sur la place Edmond Rostand où sont posés les catafalques. Portée par la garde républicaine, elle remontera les pavés jusqu’au temple des héros républicains, où quatre chevaliers de notre Histoire l’attendent déjà dans le caveau numéro 6. Elle reposera désormais auprès de René Cassin, Jean Moulin, André Malraux, et Jean Monnet, comme elle, “des maîtres d’espérance” selon les mots présidentiels.
Mais elle demeurera aussi aux côtés de son fidèle “chevalier servant”, comme l’a qualifié Emmanuel Macron dans son discours, Antoine Veil, qu’elle emmène avec elle en ce lieu d’immortalité.
Simone Veil est la cinquième femme accueillie au Panthéon, et la première a y faire entrer son homme, à l’image de sa vie entière, comme destinée à ouvrir la voie à ses sœurs et à égrener des premières fois de femmes là où les positions étaient fermement tenues les maris. C’est l’histoire d’une survivante devenue icône, qui aura éclairé le chemin des autres.
Première femme à entrer dans l’administration centrale de la Justice, place Vendôme.
Première femme Secrétaire du Conseil supérieur de la magistrature.
Première femme ministre de plein exercice dans l’Histoire de la cinquième république.
Première femme “homme politique” de l’année en 1974.
Première présidente du Parlement européen en 1979, l’une de ses plus belles victoires.
Et surtout, peut-être, l’une des premières à avoir embrassé une telle carrière, autant d’amour et de combats essentiels.
“Pour que justice soit faite aux femmes, à toutes les femmes”, évidemment, et l’anaphore du chef de l’état de raisonner longuement avec force, rappelant son engagement politique et ses conquêtes en droit pour nous autres, convoquant également le nom d’Yvonne Jacob, la mère tant chérie et perdue, morte à Bergen-Belsen quelques semaines avant la libération du camp. De l’interdiction des humiliations carcérales infligées aux détenues, à la création de centre de soins pénitentiaires, aux prisonnières algériennes, des Affaires civiles à l’évolution du droit de la famille, de l’autorité parentale partagée à l’égalité dans la gestion des biens des ménages jusqu’à ce qui la propulsera à la postérité, l’acmé de son immense carrière nationale et ultime conquête arrachée après une âpre bataille, le droit pour les femmes de décider, un droit salvateur et civilisationnel : celui pour les femmes d’avoir recours légalement à l’avortement.
L’Europe est aussi au cœur de cette cérémonie, cette conviction intime pour laquelle Simone Veil s’est tant battue, “Elle qui avait vécu l’indicible expérience de la sauvagerie et de l’arbitraire savait que seul le dialogue et la concorde entre les peuples empêcheraient que Auschwitz ne renaisse sur les cendres froides de ses victimes”, a dit le président.
“La vérité du martyre juif fait aujourd’hui partie intégrante de l’histoire de France, comme en fait partie l’épopée de la Résistance. Simone Veil reposera au côté de Jean Moulin, le héros de la Résistance, le supplicié de Klaus Barbie qui ne livra aucun secret sous la torture la plus abjecte. Elle, Simone Veil qui martyrisée par les S.S ne renonça jamais à sa dignité. Ils sont pour nous deux exemples d’humanité profonde, lui héroïque dans son sacrifice, elle admirable par son courage et par son témoignage. Elle qui, sur le bras gauche, portait le stigmate de son malheur, ce numéro de déportée à Birkenau dont un jour un Français lui demanda si c’était son numéro de vestiaire. Ce numéro 78651 était le viatique de sa dignité invulnérable et intacte. Il sera gravé sur son sarcophage, comme il avait été tatoué sur sa peau d’adolescente. Car en Simone Veil, c’est enfin la mémoire des déportés raciaux, comme le disait elle-même, des 78 500 Juifs et Tziganes déportés de France qui entre et vivra en ces lieux.” a -t-il poursuivi.
Et de la transmission de la mémoire de la Shoah, Simone Veil s’est faite dépositaire absolue : de la fondation jusqu’à son épée d’immortelle, son matricule 78651 est inscrit à jamais. A partir de sa notoriété et sa popularité, elle s’est faite porte-voix de ceux qui, “à nos côtés, tous ces morts qui nous furent si chers, connus et inconnus, se tiennent en silence. Je sais que nous n’en n’auront jamais fini avec eux. Ils nous accompagnent ou que nous allions formant une immense chaîne qui les relient à nous autres, les rescapés”, selon ses propres mots, publiés dans son livre autobiographique “Une vie”.
Marceline Loridan-Ivens, l’amie de toujours et camarade du pire, citera aujourd’hui à une consœur : « Je suis émue et fière. Une fille de Birkenau est entrée dans cette maison. Elle nous honore toutes« .
Simone Veil avait déjà prononcé un discours lors de l’Hommage de la Nation aux Justes de France en ces même lieux en 2007. N’oubliant rien, ni les silences, ni l’indifférence, ni les lâchetés, les bourreaux, les complices, elle avait honoré le courage de ceux qui avait sauvé, résisté. Justice, toujours. Et à gauche du caveau numéro 6, sur le mur de la crypte sont inscrits les noms de ces Justes.
La matière du panégyrique présidentiel tient sûrement du roman pour celui qui confiait il y a peu son interprétation littéraire du goût du peuple français. Ce peuple qui aura plébiscité cette entrée au sein de la “confrérie d’honneur”, est ému, aux larmes. Beaucoup de femmes, d’hommes, de tous les âges et des enfants. Quelques groupes scolaires sont visibles. Applaudissant les cercueils à chaque étape de cette remontée solennelle sur un tapis bleu roi, la foule témoigne d’un profond respect et d’un amour historique. La minute de silence suivant le discours présidentiel confine au mutisme sous ce soleil de plomb. Presque une communion, puis le son, à nouveau, des applaudissements par milliers, presque bousculés qu’ils sont ensuite par les sons de l’aube et de ses oiseaux enregistrés le 17 juin 2018 à Birkenau, à 5h du matin.
Le long de ce parcours, tentant de résumer l’un des plus tragiques, dignes et beaux de notre histoire républicaine, la voix de Simone Veil en aura également jalonné le dessin et la cérémonie a offert quelques extraits de ses témoignages. “Je suis juive”, entend l’assistance. D’autres paroles suivront, bouleversantes, en ce qu’elles possèdent d’intelligence irrévocable. Autant que ce kol Nidré entendu au bas de la rue, que le “Pavane” de Gabriel Fauré, que Rachmaninov, que cette “Marche vers Césarée”, “L’ode à la joie” de Beethoven, devenu européen, et puis “Le Chant de marais”, à propos duquel il n’est plus de mot pour décrire l’émotion qu’il suscite en ces instants, si ce n’est de constater une fois encore que le motif aura inspiré l’hymne féministe des années 70 remplaçant l’ordre de piocher par celui d’être debout. Cette ressemblance acoustique, en ce jour, et pour elle, ne lui confère qu’encore plus l’éclat du fragile diamant d’espérance qu’il fut pour tant de déportés, cette élégie née des marécages pour l’éternité.
Simone Veil est devenue un symbole infini à partager, dont les signes surgissent, dans tous les registres. A ce 1er juillet par exemple, correspond de façon feutrée cette année un jeûne du calendrier hébraïque, aux interprétations bien différentiées selon le degré d’orthodoxie des observants. La plus jolie, au bas de ces colonnes corinthiennes néo-classiques : cette date, le 17 Tamouz, commémorant cinq catastrophes de l’histoire juive, ouvre une période de deuil communément appelée « Les trois semaines », et voudrait aussi qu’en cette journée en particulier, Dieu soit accessible. Cette séquence ne serait donc pas seulement triste, mais un temps suspendu au cours duquel nous serions investis du pouvoir de réparer les choses. Pour certains sages, Le 17 Tamouz est un des quatre jeûnes mentionnés dans le livre des Prophètes dont le but est d’éveiller un sentiment de perte sur le temple détruit.
Qu’en dire alors ? Si ce n’est qu’en ces jours sacrés pour les uns, le grand récit national et les immenses figures dont fait partie Simone Veil, croiseront la modeste route de ma famille qui dira au revoir ce mardi à l’une de ses grands-mères, Marie-Jeanne Kremer, née Jacob, en Lorraine, elle aussi, partie rejoindre selon ses mots sa petite-fille Fanny, décédée le 13 novembre 2015 dans les attentats de Paris.
Aline Le Bail-Kremer