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France

Dîner du CRIF : face à l’antisémitisme, « le temps est venu des actes tranchants et concrets »

« Comme chacune et chacun, j’aurais souhaité que ce dîner, le deuxième auquel j’assiste en tant que Président de la République, se tienne dans des circonstances plus sereines ».

Le discours d’Emmanuel Macron était particulièrement attendu ce 20 février lors du 34ème dîner annuel du CRIF, ce dernier s’inscrivant dans une séquence de multiplication d’actes antisémites sur tout le territoire.

Dans la matinée, Emmanuel Macron avait fait le déplacement à Quatzenheim (Bas-Rhin), où près d’une centaine de sépultures du cimetière juif ont été profanées et recouvertes de croix gammées dans la nuit. Il avait promis : « On prendra des actes, on prendra des lois et on punira. »

Le ton et le visage graves, le Président a souligné dans son allocution ce mercredi soir devant plusieurs centaines d’invités au Carrousel du Louvre, dont plusieurs représentants du gouvernement et de l’opposition,  des élus de la République, des Ambassadeurs, des dirigeants d’institutions et d’associations, des membres des communautés religieuses et de la société civile, une résurgence de l’antisémitisme « inédite depuis la seconde guerre mondiale ».

« Le temps est venu des actes tranchants et concrets. Je ne veux pas m’habituer à ces maux », a-t-il poursuivi en préambule, citant notamment Charles Péguy : « il y a quelque chose de pire qu’une âme perverse, c’est une âme habituée ». « Nous n’avons pas le droit de devenir des âmes habituées », a-t-il dit.

Francis Kalifat, président du CRIF, dans son discours précédant celui du chef de l’Etat, avait appelé au « sursaut national et au refus de la résignation », rappelant que si la France était « sous l’émotion d’actes antisémites à fort pouvoir symbolique », « des Français juifs souffrent, eux, depuis des années et souvent dans l’indifférence », invoquant également les derniers chiffres du Ministère de l’Intérieur : 541 actes et menaces antisémites ayant fait l’objet d’une plainte en 2018, soit une hausse de 74% par rapport à 2017.

« Un constat terrible : les Juifs, moins de 1% de la population, sont la cible de la moitié de tous les actes racistes », a t-il déclaré.

En réponse, Emmanuel Macron a annoncé plusieurs mesures visant à palier les « échecs » des politiques de lutte contre l’antisémitisme en France, au premier rang desquelles l’adoption d’une définition de l’antisémitisme élargie à l’antisionisme. « Qui ne voit que l’antisémitisme se cache de plus en plus sous le masque de l’antisionisme? (…) C’est pourquoi je confirme que la France, comme elle l’a endossée en décembre avec ses partenaires européens, mettra en oeuvre la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance Internationale pour la Mémoire de la Shoah (IHRA). Il ne s’agit de modifier le code pénal (…), il s’agit de préciser et de raffermir les pratiques de nos forces de l’ordre, de nos magistrats, de nos enseignants, de leur permettre de mieux lutter contre ceux qui cachent derrière le rejet d’Israël, la négation même de l’existence d’Israël, la haine du Juif la plus primaire. »

Emmanuel Macron a également promis que plus « aucune complaisance à l’égard des pratiques de boycott et du BDS, plusieurs fois condamnées en France », ne serait tolérée.

Le Congrès Juif Européen et son président Moshe Kantor ont salué au nom des communautés juives de l’Europe « le discours historique du Président français et sa détermination à lutter contre l’antisémitisme et l’antisionisme avec tous les moyens mis à sa disposition par la République. L’annonce par Emmanuel Macron de l’adoption par la France de la définition de travail de l’antisémitisme est une des réponses nécessaires au déferlement de la haine dont les expressions se sont libérées à l’encontre des citoyens français juifs. »

Emmanuel Macron s’est aussi engagé à s’atteler à la reconquête républicaine de certains territoires et à « l’insupportable exode interne » : « un plan de lutte contre la radicalisation »,  sans céder « à l’opposition bloc à bloc dans laquelle certains voudraient enfermer la société française, une religion contre l’autre. La république protège tous les citoyens. »

Traquer et punir ceux qui se rendent coupables d’actes antisémites ?  Tout sera mis oeuvre pour accompagner les victimes qui portent plainte, « les choses ont été simplifiée dans le droit », et pour recueillir les preuves, assure le Président. Ariel Goldmann, le président du FSJU ( Fonds Social Juif Unifié) s’était exprimé à ce sujet, demandant « des sanctions plus fortes » sur le plan pénal, pour les actes et les discours de haine.« La société s’est habituée à une forme de bruit de fond » avait-t-il indiqué à l’AFP dans la journée.

Concernant la question de la violence antisémite et complotiste sur les réseaux sociaux : le chef de l’Etat promet de porter un projet exigeant au niveau européen, « sans attendre ». « Dès le mois de mai, une proposition de loi sera déposée au Parlement ». Le président a toutefois explicité que l’anonymat en tant que tel ne serait pas légalement levé à priori. En revanche, l’identification des auteurs de délits racistes et antisémites sur internet et le retrait des contenus haineux seront juridiquement renforcés. « La honte sur ces sujets d’urgence doit changer de camps ». 

« La France doit tracer de nouvelles rouges », insiste-t-il  : l’état s’est engagé à dissoudre plusieurs groupes d’extrémistes (Bastion Social, Blood & Honour Hexagone, et Combat18, « pour commencer »).

Nommer, Poursuivre, punir, mais aussi, éduquer : « Ne pas perdre de vue le temps long de l’éducation, de la culture, de l’élévation morale et spirituelle de tous. Ce que nous vivons, dit beaucoup de nos échecs passés, de ce que nous avons laissé s’installer. L’état soutiendra d’avantage qu’il ne le fait le Mémorial de la Shoah ». (…) Dans ces quartiers gangrenés par l’islamisme radical, une équipe de réaction a été mise en place dans chaque rectorat pour accompagner les enseignants. (…) Un grand audit sera organisé par le Ministère de l’éducation nationale, pour préciser et agir, auprès de tous les établissements marqués par le phénomène de déscolarisation d’enfants de confession juive.

« Voilà pour les actes, il faudra en rendre compte », a-t-il conclu à la fin de ces annonces. « Ce combat ne se gagnera pas en un jour mais nous ne nous habituerons jamais ».

Aline Le Bail-Kremer

Photo : Cimetière profané de Quatzenheim, le 19 février 2019 (@Elysée)