Michel Bacos, l’un des héros de la prise d’otages d’Entebbe, est décédé ce 26 mars à Nice, à l’âge de 95 ans. L’Arche avait rendu hommage à son courage dans les colonnes du numéro de juillet dernier, à l’occasion de la sortie du film « Otages à Entebbé » de José Padilha, dans lequel la musique du chorégraphe Ohad Naharin accompagne la scène de l’assaut mythique de Tsahal. Michel Bacos, pilote de l’Airbus A300-B4 d’Air France détourné le 27 juin 1976 avait refusé d’abandonner les otages juifs alors que les terroristes proposaient de le libérer.
« Chaque mouvement est chargé de sens, capable d’hypnotiser avec une simple rangée de danseurs vacillants. A priori insignifiants », dit Ohad Naharin, le directeur de la Batsheva Dance Company de Tel Aviv, à propos de sa chorégraphie qui fit couler beaucoup d’encre lors de sa représentation dans le cadre des festivités entourant le jubilé de la création de l’État d’Israël 1998. Mais Echad Mi Yodea, qui connaît ? Cette danse reprend un des chants de la Hagada de Pessah et est devenue l’œuvre la plus connue du chorégraphe israélien. Ce ballet contemporain est également à l’honneur dans le dernier film consacré à l’Opération Thunderbolt (ou Opération Entebbe) du brésilien José Padilha, sorti sur les écrans français en mai dernier : Otages à Entebbe.
Si ce film n’a pas fait l’unanimité parmi les critiques, c’est en raison de partis pris scénaristiques légitimement critiquables (comme celui d’engager le point de vue des terroristes) et de quelques mots maladroits mais aussi par incompréhension et méconnaissance du sens même de cette chorégraphie, autour de laquelle une partie forte du scénario est construite, et de ce qu’elle charrie de symbolique pour le peuple juif. José Padilha, mondialement connu pour ses images d’actions sur fond de chasse aux narcotrafiquants d’Amérique latine, l’a choisie comme le thème musical récurrent de son film jusqu’à l’acmé de sa fresque : le raid mythique de Tsahal qui mettra fin à la prise d’otage des groupes terroristes du FPLP et de la Fraction Armée Rouge, soit d’une alliance germano-palestinienne sur le sol ougandais en 1976. L’assaut lancé sur ces paroles bibliques, précisément, est une audace cinématographique et politique. Loin de banaliser ce fait d’armes historique ou de constituer une « faute de goût »(selon la chronique du Monde consacré au film), lui confère à l’écran le souffle symbolique qu’il mérite. La danse ici, loin de diluer la tension dramatique ou d’ajouter du superficiel, accompagne les événements jusqu’à un vrai grand moment de cinéma, au plus près des faits, l’équipe de la production ayant conçu la scène finale avec plusieurs vétérans de l’opération.
Le film aborde également de façon plutôt fine le désaccord plus ou moins feutré entre Yitzhak Rabin (Lior Ashkenazi), Premier ministre, et Shimon Pérès (Eddie Marsan), ministre de la Défense, qui entoura la prise de décision du déclenchement du raid. Fallait-il accepter de négocier avec les terroristes réclamant la libération de plusieurs prisonniers ? Ou mener l’assaut au risque d’une hécatombe de civils ? L’option inouïe retenue fut de faire semblant de se plier aux exigences des preneurs d’otages, avant de lancer l’action militaire sur Entebbe, dans la nuit du 3 au 4 juillet 1976, après sept jours de crise mondiale.
Pour ces deux figures de l’État hébreu, le succès de l’Opération Entebbe restera « une fête », « inscrite dans l’histoire militaire, la légende et la tradition nationale d’Israël ». Dans les archives, il demeure également de fascinantes réactions internationales à relire ou entendre, comme celle de l’Ambassadeur de France, Jean Herly, basé alors à Jérusalem, au soir de la libération des derniers otages israéliens le 4 juillet 1976 : « Cela prouve que la force brutale ne doit pas gagner et quand elle ne gagne pas, c’est une satisfaction sur le plan de la morale. Je pense que nous sommes tous ici prodigieusement admiratifs de la façon dont s’est déroulée cette opération. Il y a de quoi être à la fois soulagés, heureux, fiers et confiants dans l’avenir. »
L’opinion saluait cette année-là une contribution historique d’Israël dans la lutte mondiale contre le terrorisme. Le message au monde, au-delà de la résonance sur la scène internationale de l’opération : « Si vous êtes juif et que vous êtes en danger, l’État d’Israël ne vous laissera pas tomber. »
Mais parmi tous les héros de cette tragédie devenue une réussite militaire et géopolitique, nous retrouvons évidemment dans Otages à Entebbe (quoique dans un second rôle), sous les traits d’Angel Bonanni, le seul militaire tué au cours de l’opération, le colonel Jonathan Netanyahou, dont le frère, 35 ans après, allait prendre la tête du pays. Qui connaît les trop peu illustres Michel Bacos (Brontis Jodorowsky), pilote d’Air France, et Jacques Lemoine (Denis Ménochet), ingénieur-mécanicien, qui refusèrent d’abandonner les otages aux terroristes après que les passagers aient été séparés en deux groupes distincts : juifs et non juifs ?
« À un moment, les pirates ont pris nos passeports et cartes d’identité, ont lu les noms de chacun, et ceux qui avaient des noms juifs ont été séparés des autres. Les passagers non-juifs ont été libérés. Les Allemands m’ont annoncé que nous allions aussi être libérés. J’ai rassemblé mon équipage et leur ai dit qu’il n’était pas question que nous quittions l’appareil et que nous allions rester avec le reste des passagers pris en otage. » « Je savais parfaitement ce que cette séparation voulait dire. Je savais ce qui attendait les otages. Je n’allais pas m’enfuir et abandonner mes passagers à leur sort même si moi-même je pouvais être libéré. Pour moi, ce n’était pas seulement un devoir mais des valeurs essentielles de décence et d’humanité », déclarait l’ancien pilote de 94 ans en 2016 à la presse, alors qu’étaient commémorés les 40 ans de l’Opération Thunderbolt, renommée plus tard Opération Jonathan en hommage à l’officier israélien disparu. Dans son témoignage tardif, Michel Bacos, également ancien gradé de l’aéronavale et ayant combattu aux côtés des Forces françaises libres du Général de Gaulle, livrera également une séquence inconnue du grand public jusqu’à son récit : dans la nuit du 3 au 4 juillet 1976, avant que le commando de l’armée israélienne ne débarque par surprise à bord de trois avions C 130 Hercules et ne reprenne le contrôle de cette partie de l’aéroport et alors que tous les otages sont allongés au sol : « Un des terroristes palestiniens a tué une Israélienne, avant de vider son chargeur de mitraillette et de blesser d’autres otages. » Il contredira enfin quelques-unes de ses premières déclarations convenues, après la libération, quant à l’aide apportée par le président ougandais aux prisonniers, au «petit confort matériel décent pour que l’on puisse dormir» : «Amin Dada était un fou, un imbécile et un hypocrite. Il nous disait : “je suis votre ami”. Mais il menaçait de faire exécuter deux otages chaque jour si Israël n’acceptait pas l’ultimatum des Palestiniens. »
Après cet épisode, Michel Bacos ne prendra que 15 jours de repos et remontera à son poste dans le cockpit d’un vol pour Tel Aviv. Trois otages israéliens perdirent la vie lors de l’opération : Jean-Jacques Mimouni, Pasco Cohen et Ida Borochovitch. Dora Bloch, une anglo-israélienne de 73 ans, admise à l’hôpital de Kampala, suite à un malaise avant l’Opération israélienne, fut assassinée le lendemain du raid par des soldats ougandais.
Michel Bacos a notamment été décoré de l’Ordre national de la Légion d’honneur par le Président de la République française en 1976. Puis, il a reçu la médaille de l’héroïsme du gouvernement israélien, une Menorah d’Or du B’nai B’rith International en 2008 ou encore une médaille du mérite de l’American Jewish Committee en 2016.
Mais il ne se voit pas comme un brave et préfère dire : « Les vrais héros sont ceux qui nous ont libéré au péril de leur vie ». Les vrais mots d’un Juste.
Aline Le Bail-Kremer