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Arts

« Field Hospital X », l’oeuvre de l’Israélienne Aya Ben Ron, présentée à la Biennale de Venise

Field Hospital X, l’œuvre de l’artiste Israélienne Aya Ben Ron, présentée au Pavillon Israélien de la Biennale Internationale d’Art de Venise, veut faire entendre les voix de populations muettes. Conçu comme un véritable hôpital, -avec une salle d’attente, un sas de décompression- («salle de cri»), cet «hôpital de terrain» transmet les témoignages filmés d’acteurs sociaux Israéliens habituellement réduits au silence, le concept global de l’installation s’articulant autour du trauma subi par Aya Ben Ron dans son enfance. L’asepsie du lieu, le caractère clinique du site, plongent le visiteur dans une situation d’enfermement, où seules les déambulations des «infirmières» brisent la  monotonie de l’espace. Artiste multidisciplinaire, Aya Ben Ron enseigne à l’université de Haïfa et au collège Hadassah de Jérusalem, collaborant régulièrement avec des hôpitaux et des institutions médicales. Field Hospital X, destiné à voyager, adaptera les futures vidéos selon les pays d’accueil, et la selection des artistes locaux, mettant en avant les maux inhérents à chaque société. Avec cette installation, Aya Ben Ron souhaite donner une voix à des populations silencieuses, dans un monde, où, selon elle, l’écoute aurait disparu. Métaphore d’un malaise social, Field Hospital X se fait le porte parole d’anxiétés individuelles et collectives, dans un contexte artistique international. Rencontre avec l’artiste.

Pourquoi avez vous choisi d’exposer ces aspects de la société Israélienne: abus, kidnapping, cruauté…Dans cette installation, Israël est montrée comme une société malade: vous y  abordez, entre autres, le kidnapping des enfants yéménites…

En tant qu’artiste, j’utilise les outils me permettant d’aborder des sujets personnels: l’idée centrale de cet hôpital de terrain est née de mon film “No Body», réalisé en 2017, sur l’abus que j’ai subi dans ma famille. Ce film ayant été refusé partout, j’ai décidé de créer les conditions optimales pour le montrer, et j’ai conçu cet hôpital, où les vidéos sont visionnées avec la concentration souhaitée. En effet, cet hôpital fait état de maux sociaux, et offre un espace de parole à des individus habituellement muets, les artistes ayant sélectionné des  témoignages  qui reflètent un aspect de leur société. En Israël, cet hôpital sera accueilli à l’université de Haïfa, notre lieu de recherche et de développement, et ne sera pas limité à un contexte artistique. Par la suite, «Hospital Field» voyagera, et fera appel aux artistes locaux, pour créer des œuvres  mettant en lumière les symptômes spécifiques de leur société. Mais mon film, «No Body», demeurera dans toutes les futures installations, car il constitue la fondation de cet hôpital.

«Hôpital de terrain» : en quoi ce lieu est-il thérapeutique?

De même qu’un vrai hôpital, où on ne guérit pas toujours ! (rire) On y délivre des médicaments, en espérant que ça marche, ce qui ne signifie pas que les patients soient guéris. Dans cet hôpital, on écoute, puis on s’exprime : aujourd’hui, avec  les portables, les réseaux sociaux… Les gens manquent de patience et n’écoutent plus. Mon souhait est qu’ils écoutent.

Et quelle est l’idée derrière la salle de cris?

Avant d’écouter les voix des autres, on apprend à se servir de son corps et de sa voix, à s’écouter, et à développer sa capacité de crier, en suivant les instructions. Dans mon cas, crier était difficile.

Les infirmières sont très directives…

En effet, car les gens viennent ici pour vivre une expérience, et non se lancer dans des discussions. Elles ne sont là que pour informer, et suivent un protocole rédigé par moi: elles savent ainsi comment répondre aux visiteurs, dans chaque situation. Nous avons anticipé les questions, en simulant diverses situations.

Quel est  le statut de la personne allongée sur le divan?

Tout d’abord celui de patient qui reçoit un traitement correspondant au symptôme qu’il a sélectionné au moment où il fait le choix d’une vidéo, à l’accueil. Puis celui de médecin, lors de la phase d’écoute, pendant laquelle il se forme une opinion, et prend ensuite connaissance  des expertises des spécialistes.

Avec cette installation, souhaitiez vous opérer des changements dans la société Israélienne? Car il s’agit bien d’une oeuvre politique?

Absolument, et sociale, qui reflète ce dans quoi j’ai grandi. Je suis née avec l’occupation il y a 51 ans, et la même histoire se poursuit; je n’ai jamais connu la paix. En tant qu’artiste, je ne peux pas changer la société, mais je peux réaliser une œuvre. Et la plateforme internationale que représente la Biennale de Venise est  le meilleur endroit où la démarrer. Ce lieu permet d’observer les réactions des visiteurs du monde entier : Field Hospital X représente un espace de sécurité, où il est possible de s’exprimer, et d’être à l’écoute.

 

FIELD HOSPITAL X, de Aya Ben Ron 


Curator: Avi Lubin

« May you live in interesting times »

Dirigée par Ralph Ruggoff

Giardini de la Biennale

Pavillon Israélien jusqu’au 24/11/2019

www.fieldhospitalX.org

Photo: FIELD HOSPITAL X 
, Elad Sarig