La commémoration de l’attentat de Pittsburg  |  Israël terre de tourisme !  |  Le monde change. L’Arche aussi. L’édito de Paule-Henriette Lévy  | 
Littérature

Grégoire Kauffmann

Docteur en histoire, secrétaire délégué de l’association opposée aux lois mémorielles Liberté pour l’histoire, présidée par l’historien Pierre Nora. Il est l’auteur de Hôtel de Bretagne (Flammarion).

Le 9 août 1944 au matin, un commando de FFI surgit dans la maison du chef du bureau de placement de l’organisation Todt à Quimperlé (Finistère). Revolver au poing, un F.F.I, dénommé Louis Rivière, arrête Adolphe Fontaine brutalement sous les yeux de sa femme et de son petit-fils. Après avoir été traîné au couvent du Bel-Air transformé en prison, Fontaine est sorti de sa geôle et placé contre un mur de la cour. Une rafale de mitraillette le frappe en pleine poitrine et l’abat. L’été 1944, c’est en effet une explosion de joie qui coïncide avec un intense besoin de punition. Vengeance populaire, règlement de comptes, femmes tondues, exécutions sommaires, indignité de justice. Haute cour de justice, l’épuration bat son plein.

Cette exécution sommaire est le point de départ de l’enquête menée par Grégoire Kauffmann. Il se trouve que son grand-père maternel, Pierre Brunerie, l’un des chefs de la résistance locale de Quimperlé est mêlé à cette « affaire Rivière ». Aussi loin qu’il s’en souvienne, à la fin des réunions familiales, lors d’un déjeuner de baptême ou de communion, il est souvent question de cet épisode « brouillé » survenu à la Libération. Pas un tabou, mais une sorte de mise à distance d’une veille histoire dont on ne sait pas grand-chose de précis. On n’aime pas trop en parler chez les Brunerie. « Cette histoire m’ennuie beaucoup » écrit la mère de Grégoire quand il se lance dans son enquête.

C’est ce flou qu’a eu envie de dissiper Grégoire Kauffmann avec la double casquette de l’historien et du petit-fils. Le cœur de l’action se situe à l’Hôtel de Bretagne, tenu par Imelda, la grand-mère de Grégoire, une belle femme au fort tempérament. Situé en face de la gare de Quimperlé, il est occupé par les Feldgendarm et les employés de l’opération Todt qui travaillent à Lorient à la construction du Mur de l’Atlantique. À l’été 1944, le maquis, dont Pierre Brunerie est un des chefs, tient ses réunions clandestines dans l’hôtel, à la barbe de l’occupant, dans une arrière-salle. Le drame se noue parce que l’argent circule dans Quimperlé entre les Allemands qui paient rubis sur l’ongle et les entrepreneurs de la région, réquisitionnés ou attirés par cet effet d’aubaine qui s’offre à eux. Il y a des profiteurs, il y a aussi des résistants. Que s’est-il passé pour que le grand-père de Grégoire Kauffmann commandite une exécution sommaire ? Pourquoi a-t-il couvert la tonte de deux femmes soupçonnées d’avoir couché avec les Allemands ? Jusqu’à quel point son grand -père, qu’il a à peine connu puisqu’il est mort quand il avait quatre ans et demi, était-il impliqué ?

Seul historien de la famille, ayant publié une biographie remarquée d’Édouard Drumont, Grégoire Kauffmann a eu longtemps mau- vaise conscience de ne pas s’y intéresser, tout en ayant la prescience qu’un jour ou l’autre, il y serait contraint. La découverte dans le grenier familial d’une correspondance, essentiellement amoureuse, sur presque dix ans, entre Pierre Brunerie et sa fiancée, puis son épouse, le décide. Quand il essaie de démêler les fils de cette histoire embrouillée, Grégoire Kauffmann se retrouve face à des « lambeaux d’archives » qu’il numérise et qu’il classe, grâce à son œil aiguisé d’historien. C’est une tâche d’autant plus délicate qu’il s’agit d’une correspondance amoureuse, voire intime. Puis il plonge dans les archives départementales, militaires et judiciaires. Autre défi, solliciter la parole de témoins, « de vieux Bretons » de plus de 90 ans dont la mémoire n’est pas toujours fiable. Il y a aussi des portes qui se ferment. Il n’aura pas le cœur d’insister. Le silence est aussi une réponse à des questions douloureuses et enfouies.

Rien n’est clair. Est-ce que son grand-père a réellement commandité cette exécution ? Fontaine est-il aussi coupable qu’on l’a dit ? Rivière ne l’aurait-il pas arrêté pour des raisons personnelles? N’est-ce pas un simple règlement de comptes? En se parjurant devant la Justice quand les familles des victimes ont porté plainte, a-t-il voulu couvrir les exactions de ses camarades ? Éprouve-t-il du remords ?

Au fur et à mesure de son enquête, Grégoire Kauffmann va de surprise en surprise. « La Résistance a été la grande affaire de sa vie », écrit-il au prix d’immenses sacrifices, gardant des traces indélébiles de cette période, et probablement en souffrant. On est en permanence dans le clair-obscur. Jamais il ne le juge.

D’après lui, son grand-père est un héros et un véritable meneur d’hommes. Indéniablement. Mais il est pris dans le maelström de l’épuration. Il s’affranchit du code de l’honneur pour se solidariser avec ses camarades dans une atmosphère de guerre civile. D’où un magnifique portrait d’un homme happé par le brouillard des évènements dans une période de rare violence. Devenir l’historien de sa propre famille est plein d’embûches. Quand on y parvient en mêlant rigueur et émotion, on écrit un récit haletant, glaçant, et bouleversant.

À LIRE : de Grégoire Kauffmann Hôtel de Bretagne, Flammarion, 2020