« JewBu », terme né aux États-Unis, désigne un courant d’adhésion au Bouddhisme, apparu dès les années 1960 dans les milieux Juifs Américains : le musicien Philip Glass, cofondateur de Tibet House à New York, le Dr Kabat Zinn, expert de mindfulness, ou le poète Allen Ginsberg, icône de la Beat Generation, figurent, entre autres, parmi le grand nombre de personnalités du monde de l’art et de la science qui ont incarné leur engagement dans la voie du Bouddhisme. Mais c’est en 1994, avec la parution du best-seller Le Juif dans le Lotus, de Rodger Kamenetz, que ce terme a été officiellement institutionnalisé, mettant en lumière une nouvelle identité philosophique et spirituelle aux États-Unis.
RENCONTRE AVEC RODGER KAMENETZ
« J’ai des racines juives et des pétales bouddhistes », déclarait le docteur Marc Lieberman, directeur du Tibetan Vision Project, à l’initiative d’un périple dans l’Himalaya évoqué dans le livre de Rodger Kamenetz, Le Juif dans le lotus, paru en 1994. Récit d’un voyage en Inde dans les années 1990, l’ouvrage relate la rencontre d’un groupe de rabbins avec le dalaï-lama, à Dharamsala, afin de mettre en miroir les grands principes du judaïsme et du bouddhisme, et d’engager un dialogue entre les deux religions. Rodger Kamenetz, qui ne se définit pas comme bouddhiste mais comme « un poète qui travaille sur les rêves et la façon dont ils nous guident », réside à La Nouvelle- Orléans, où il occupait le poste de professeur d’études religieuses à l’université de Louisiane.
Au-delà du récit de voyage en Orient, l’ouvrage représente un extraordinaire témoignage sur le courant nord-américain des JewBu (contraction de « juif » et de « bouddhiste »), qui a poussé un grand nombre de juifs à étudier le bouddhisme: Leonard Cohen, le docteur Kabat-Zinn, le compositeur Philip Glass, le poète Allen Ginsberg… Autant d’adeptes du bouddhisme aux États-Unis, membres de l’école « Oi Vo Voï », comme s’amusait à la nommer le maître tibétain Trungpa Rinpochée, fondateur de l’université bouddhiste Naropa. Ainsi, le documentaire Jews and Buddhism, des réalisateurs américains Bill Chayes et Isaac Solotaroff, montre l’intérêt, déjà, pour le bouddhisme du Premier ministre David Ben Gourion lors d’un entretien dans les années 1960 avec son ami U Nu, Premier ministre de Birmanie. « L’Homme ne peut survivre que de pain; et, en cela, l’Orient a des enseignements à délivrer à l’Occident« , déclare Ben Gourion. Ajoutant : « Aime l’Autre comme toi-même, est-il écrit dans la Torah: c’est là un des points communs que nous avons avec le bouddhisme, qui prône la paix et l’amour du prochain. » L’ouvrage de Kamenetz souligne les parallèles entre l’exil tibétain et l’exil juif, les points communs entre le pilpoul et la tradition du débat tibétaine, et un certain sens de l’humour comme facteur de résilience face au trauma dans les deux cultures.
Il explique la façon dont ce mouvement de recherche spirituelle et existentielle vers le bouddhisme a créé une nouvelle lecture du judaïsme et sa mise en pratique dans l’univers judaïque, par l’inclusion de la méditation dans les synagogues américaines. Rodger Kamenetz sera prochainement en France pour présenter son nouveau livre, La Logique onirique.
L’Arche : Quel a été, pour vous, l’impact de ce voyage à Dharamsala ?
Rodger Kamenetz : Il m’a amené à m’intéresser à la contemplation, à la méditation et à l’exploration des rêves. Car, si la méditation vient en aide, les rêves aussi. Et il y a eu cette question, essentielle, du dalaï-lama : « Quelle pratique avez-vous pour résoudre vos états d’affliction et vos réactions d’anxiété, de colère, de culpabilité, de honte, qui rendent l’existence si difficile et la vie spirituelle impossible ? » Et puis ses questions sur les aspects positifs de notre trajectoire et ce qui, dans nos traditions, nous était venu en aide. Car nous, juifs, sommes souvent très critiques à notre égard… Et la possibilité de porter un regard sur nous- mêmes sous l’attention bienveillante du dalaï-lama a représenté une expérience déterminante.
Le mouvement JewBu se poursuit-il ?
La situation a changé depuis les années 1990. La méditation, aujourd’hui, a intégré le judaïsme, devenant « méditation juive ». Cette pratique méditative silencieuse est à présent courante dans les synagogues ou dans un contexte judaïque. Même si, en vérité, il s’agit objectivement d’une pratique bouddhiste.
Vous écrivez qu’il y a jusqu’à 30 % de juifs qui participent à des groupes bouddhistes. Comment expliquez-vous une telle adhésion ?
Dans la période post-Holocauste, on a été confrontés à la difficulté de croire en Dieu, donc au besoin de chercher des réponses ailleurs. Le rabbin Zalman avait coutume de dire qu’un instructeur en colère contre Dieu ne peut délivrer d’enseignements sur Dieu. Ce qui revenait à dire qu’on ne pouvait plus recevoir d’enseignements émanant d’instructeurs juifs. Les juifs, ayant toujours été des pionniers, doués d’une grande curiosité, se sont mis en recherche.
Quelle est la situation de la communauté juive aux États-Unis aujourd’hui ?
L’action envers Israël a renforcé le sens de la communauté, aux dépens du développement spirituel. Le grand changement, aujourd’hui, c’est l’assimilation, avec l’augmentation des mariages mixtes, mais aussi l’exploration d’autres religions. En fait, nous ne perdons pas des membres à cause du bouddhisme mais à cause de l’absence de religiosité : les gens ne s’identifient plus à rien. C’est la tendance actuelle, et cela s’intensifie.
N’y a-t-il pas un nouveau courant dans le judaïsme, né de ces rencontres avec le bouddhisme ?
Il y a eu, en effet, certaines influences, et un effort pour intégrer la méditation à la pratique religieuse dans le contexte du judaïsme libéral. Mais la méditation ne se limite pas au fait de s’asseoir sur un coussin ; il peut s’agir de prier ou de prendre un moment pour soi afin de ressentir profondément… Car vous pouvez prier trois fois par jour et être un saint, ou bien prier et n’être qu’un assassin ! L’important est la pratique intérieure. Et c’est cela l’influence du bouddhisme: la recherche de la motivation intérieure. La leçon des rencontres de Dharamsala a aussi porté sur la nécessité du dialogue : comment rester ouvert à la vision des autres, même lorsqu’on se trouve en désaccord. C’est cela qu’incarne le dalaï-lama, le respect de l’Autre. Aux États-Unis, en ce moment, nous sommes dans une situation terrible : les différences sont pointées du doigt et divisent tellement le pays qu’il est en route vers une guerre civile. « Aime ton voisin comme toi-même » : c’est cela, le chemin spirituel. Car la pratique spirituelle aide à réagir de façon juste. Or la notion de réactivité est essentielle: ici, les gens se battent à cause d’un masque ! Le sens même de la relation à l’autre disparaît, c’est un vrai problème de société. Le dalaï-lama a dit : « Ma religion, c’est la gentillesse. » Et, en effet, c’est la seule chose qui importe !
À LIRE :
Le Juif dans le lotus – Des rabbins chez les lamas, de Rodger Kamenetz, Calmann-Lévy
Santana – l’Enseignement d’un maître bouddhiste en Inde, de Dominique Godrèche, Albin Michel.
À VOIR :
Jews and Buddhism, documentaire réalisé par Bill Chayes et Isaac Solotaroff, commenté par Sharon Stone.