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France

L’entretien : Déborah Loupien-Suarès Présidente de l’Association culturelle du musée juif de Bayonne

Bayonne a son Musée juif

La Fondation du Judaïsme français et quatorze de ses fondations abritées ont participé à la création du Musée juif de Bayonne, qui sera inauguré le 2 novembre. Rencontre avec Déborah Loupien-Suarès, à l’origine de ce projet.

 

Vous présidez l’Association culturelle du musée juif de Bayonne. Comment est née l’idée de faire ce musée ? Existait-il déjà un musée juif ?

Non, ce musée est une création. Voici comment tout cela a eu lieu : Ariel Goldmann m’a invitée, en 2021, au dîner des fondateurs de la Fondation du Judaïsme Français. Ensuite a germé l’idée, avec lui, de faire en sorte de valoriser le judaïsme bayonnais. Les juifs bayonnais sont issus des juifs dits marranes, qui ont fui l’Espagne et le Portugal pendant l’Inquisition. Certains se sont installés à Bayonne. D’autres sont allés jusqu’à Bordeaux, ou encore se sont établis à Amsterdam.

C’est un judaïsme au rite particulier. Nous avons la chance de porter l’héritage de cette communauté ancestrale, et nous pouvons pratiquer notre culte dans une synagogue classée monument historique.

Notre cimetière revêt également des spécificités, et nos plus anciennes tombes datent d’avant 1650.

Nous avons eu le désir de valoriser ce judaïsme bayonnais à travers la culture, pour mieux faire connaître ces juifs portugais et espagnols – qui ont, en particulier, rapporté avec eux le chocolat à Bayonne. Il existe d’ailleurs toujours une chocolaterie à Bayonne, qui a su préserver ces anciennes recettes.

Tout est allé très vite. Quatorze fondations abritées par la Fondation du Judaïsme français ont participé, en plus de la FJF en propre, à la création de ce musée. Un film a également été financé par la Fondation sur l’apport des juifs de Bayonne à la nation. *

Ce musée sera très ouvert, avec une double vocation : faire connaître ce judaïsme bayonnais, mais aussi être tourné vers la cité, en proposant un parcours muséal dans la ville, en lien avec les autres musées existants. Ce musée juif n’est pas un musée fait par des juifs à destination d’un public juif.  J’insiste sur cette notion d’ouverture, qui est essentielle.

 

Comment se compose la communauté juive de Bayonne aujourd’hui ?

Il y a deux cent cinquante à trois cents familles, donc entre mille et mille deux cents personnes. C’est une communauté assimilée, qui a su parfaitement s’intégrer mais qui vit vraiment, et qui a, à sa disposition, tout ce qu’il faut pour mener une vie juive épanouie. Avec ce musée, au-delà de la valorisation de notre patrimoine, qui est essentielle, nous voulons transmettre, passer le relai pour que cette communauté et ses usages ne se perdent jamais.

Nous montrerons tout ce que les juifs bayonnais ont apporté à la vie de cette ville. Il y a différentes strates. Leur apport au niveau architectural, culturel – les fêtes de Bayonne – culinaire, avec le chocolat, politique et.

Rappelons que René Cassin est un enfant du pays.

De la même manière, la communauté juive de Bayonne a toujours entretenu d’excellents rapports avec tous les autres cultes. Le quartier de Saint-Esprit est le berceau de la diversité, et notre communauté continue de s’y épanouir et de maintenir le lien avec les autres communautés.

 

Où se situe le musée ?

Ce musée se situe dans un pavillon de la synagogue, qui lui est désormais complètement dévolu. Notre synagogue est composée de trois corps de bâtiments. La synagogue elle-même, au centre, en fond de cour et deux pavillons latéraux qui donnent sur la rue Maubec.

Le pavillon gauche était vide et devait être entièrement réhabilité sur ses deux niveaux. C’est là que notre musée verra le jour.

Au rez-de-chaussée, un accueil personnalisé et une formidable table interactive permettant de retracer les parcours de Bayonnais emblématiques. Nous aurons des espaces dédiés à l’apport des juifs de Bayonne à la vie publique de la cité, à la résistance, mais aussi à la maçonnerie. En effet, notre ville connaît une tradition et une histoire maçonne très importante, et de nombreux juifs bayonnais ont été maçons. Ils ont d’ailleurs été mis à l’honneur il y a quelques semaines, lors des 250 ans de la loge « la Zélée », qui fut la première en France à avoir accepté des juifs en son sein.

Nous trouverons de nombreux objets et ouvrages que des familles juives bayonnaises nous ont confiés.

À l’étage, nous recréons un petit temple, avec notre mobilier, classé lui aussi au titre des monuments historiques.

 

Où se trouvaient ces objets ?

Ces objets, classés par la direction régionale des Affaires culturelles (DRAC), ne pouvaient plus être utilisés ou exposés, et nous avons tout mis en œuvre pour y avoir de nouveau accès car ils appartiennent à notre patrimoine. Aussi, nous avons pu obtenir toutes les autorisations nécessaires pour pouvoir réintégrer ces objets dans un musée, moyennant, bien sûr, leur restauration et la garantie de bonne conservation, sachant qu’ils avaient été très dégradés par le temps… Nous sommes en pleine restauration d’un tableau magnifique, d’une arche sainte, etc.

Tout sera prêt pour l’ouverture du musée, dont l’inauguration est prévue le 2 novembre 2022.

 

Vous êtes également impliquée dans la vie de la cité.

Oui. Il m’apparait normal d’être active dans ma communauté et dans ma ville. J’ai la chance d’être adjointe au maire de la ville de Bayonne. L’implication citoyenne est chez moi une histoire de famille. La transmission : encore et toujours.

 

Ce musée a-t-il un nom ?

Il s’appellera « Musée du judaïsme bayonnais Suzanne et Marcel Suarès », le nom de mes grands-parents. Il y aura bien sûr des objets leur ayant appartenu. À titre d’exemple, et comme mon grand-père a été un grand résistant, Compagnon de la Libération, nous avons décidé d’exposer son parachute et des lettres manuscrites du général de Gaulle qui lui sont adressées.

 

Quand vous avez eu l’idée de ce musée, était-ce pour rendre hommage à votre grand-père ?

Non. Au départ, l’idée de ce musée était un souhait de transmission, de partage autour de ce judaïsme bayonnais. Mais, le projet avançant, les membres du Consistoire m’ont dit qu’il faudrait en profiter pour rendre hommage à mes grands-parents, qui ont été des personnalités marquantes de notre communauté et qui ont su participer à sa vie ainsi qu’à celle de la cité – mon grand-père est resté près de cinquante ans conseiller municipal. Ils appartenaient aussi tous deux à la maçonnerie. Ma grand-mère a pris part à la création d’une loge à Bayonne, après la Libération. Donc leur parcours regroupe de nombreux aspects que nous souhaitons mettre en avant, et correspond à l’essence de notre judaïsme : un judaïsme très ouvert vers l’autre.

 

Encadré

Tenue blanche et foulard rouge

C’est le 13 juillet 1932 que se tiennent les premières Fêtes de Bayonne. L’architecte juif Benjamin Gomez, également conseiller municipal de la ville, en avait conçu le programme avec le comité des fêtes dont il était le président, s’inspirant des fêtes de Pampelune. Cette première grande journée basque proposait concerts, pelote basque, courses de vaches dans les rues du Petit Bayonne, corso de voitures fleuries et un concours d’élégance automobile sur les allées Paulmy. Aujourd’hui, durant cinq jours, au cœur de l’été, la ville se transforme en capitale de la Fête et accueille près d’un million et demi de personnes.

 

*À Bayonne, une histoire chocolatée, d’Anne Fonteneau, 14 min. ; « Invitation au voyage », Arte, 2021. En replay sur arte.tv jusqu’au 23/04/2023.