Dans le cadre du dossier « Avoir 20 ans » paru dans le nouvel Arche, une rencontre en ligne s’imposait. Celle avec un site culturel juif qui rencontre un immense succès : Jewpop. Alain Granat, son fondateur et dirigeant, revient sur l’aventure de ce site que les Américains pourraient nous envier…
L’Arche : Jewpop marque a la fois les jeunes et leurs parents. Comment expliquez vous ce succes ?
Alain Granat : Nous publions un maximum d’articles sur la drogue et le sexe, 2 sujets fédérateurs quelles que soient les tranches d’âge. Et idéalement, lorsqu’il s’agit d’un sujet drogue ET sexe, c’est le carton absolu ! Tout le monde s’y retrouve, parents et enfants. Plus sérieusement, les statistiques du site, vu aujourd’hui par plus de 120 000 lecteurs mensuels, nous confortent dans notre ligne éditoriale : mixer l’humour, la dérision, des chroniques « lifestyle », avec des sujets plus profonds, touchant à l’Histoire, à la politique ou à la religion. 70% de notre lectorat a moins de 35 ans, je crois que nous avons comblé un vrai besoin, celui d’un média juif dans lequel une partie de la jeunesse juive puisse se retrouver. Et ce succès est évidemment du à la qualité et à l’originalité des chroniqueurs du site. Ma plus grande fierté est sans aucun doute d’avoir permis de révéler des plumes telles que The SefWoman, Jackie Schwartz, Jonathan Aleksandrowicz, Marie R., Jérémie Boulay… mais aussi de voir des signatures comme Gérard Rabinovitch ou Rubin Sfadj publiées sur Jewpop.
La culture juive est-elle populaire aupres des personnes non juives ?
L’un des objectifs du site est de créer des ponts. Bien sûr, la majorité du lectorat de Jewpop reste centrée sur la communauté juive, mais nous recevons régulièrement des messages de lecteurs non-juifs, même si, objectivement, ils restent minoritaires. Le plus souvent, ces lecteurs arrivent sur le site via des liens externes sur des articles « polémiques », qui peuvent constituer une porte d’entrée sur les contenus culturels du site. A titre d’exemple, les articles les plus lus sur Jewpop (plus de 50 000 lecteurs en moyenne) concernent L’antisémitisme sur Twitter, des photos inédites d’un ghetto en Pologne, la première chronique de The SefWoman sur les rapports entre ashkénazes et sépharades, et… Booba ! Réseaux sociaux, antisémitisme, Shoah, identité juive et hip hop, voilà un cocktail assez emblématique des possibles centres d’intérêt « culturels » des non-juifs. Et ce qui rassemble tout le monde, c’est évidemment notre rubrique « charme » !
Avez-vous rencontré des difficultés en traitant de certains sujets ?
Des difficultés, non, mais des réactions outragées, bien sûr ! Nous nous faisons un devoir de rire (gentiment, et souvent avec empathie) de toutes les composantes de la communauté juive, tant politiques, institutionnelles, que religieuses ou associatives, et ce sans aucune exception ni parti pris. Je suis toujours sidéré de voir des lecteurs prendre systématiquement au premier degré certains articles, au point qu’il faudrait afficher en préambule de la parution « attention humour ! ». Nous avons publié ainsi un article sur l’univers des juifs libéraux qui nous a valu un droit de réponse sur le site. Et même frisé un procès de la part d’une personnalité très en vue du côté des institutions, qui s’estimait diffamée dans une chronique. Tout cela nous fait sourire, c’est la preuve que notre fonction de « poil à gratter » a de beaux jours devant elle !
Quelle personnalité d’hier que vous aimez particulierement merite d’etre plus connue ?
En toute équité, j’en choisirai deux, un ashkénaze et un sépharade. J’ai une admiration sans bornes pour le rabbin Jacob Kaplan, dont la vie et le parcours extraordinairement courageux représente à mes yeux l’essence même d’un judaïsme français ouvert, solidaire et généreux, ancré dans le respect de toutes les cultures et de toutes les obédiences. Il est certes une personnalité connue, mais il serait bon, me semble-t-il, de rappeler son héritage aujourd’hui. Certains feraient bien de s’en inspirer, alors que l’on se dirige vers une communauté de plus en plus refermée sur elle-même, sans leaders charismatiques et qui fassent autorité, tant moralement que dans une dimension plus politique. Côté sépharade, en fait, je ne vois pas. Trève de plaisanterie, j’ai été ravi d’assister au retour sur scène, à plus de 80 ans, d’un artiste injustement méconnu aujourd’hui, Philippe Clair, comédien, auteur et réalisateur de films totalement déjantés. Et tant qu’on y est, si l’on pouvait également remettre un coup de projecteur sur René Cousinier, grandiose humoriste des années 60 et 70, ce serait parfait.
Et d’aujourd’hui ?
James Deen mérite vraiment d’être connu. Bibliquement parlant.