Le jeudi 29 mai, à 20 heures, l’AIU présente une conférence illustrée sur les liens entre Gotlib et la musique. Avec la participation de Jean-Luc Muller, Richard Gotainer et Jean-Claude Kuperminc. Ce dernier répond à nos questions concernant Gotlib, un artiste qui influença toute une génération de dessinateur et d’humoristes et qui révèle ici ses influences du monde de la scène, en commençant par son ami Brassens.
L’Arche : Pourquoi l’aspect musical est-il aussi important dans les influences sur Gotlib ?
Jean-Claude Kuperminc : Gotlib dit avoir un regret : celui de ne pas avoir su rendre dans ses dessins l’émotion procurée par la musique. Marcel Gotlieb est un grand amateur de musiques, et elle a exercé une influence sur sa vie : il a découvert la musique classique lors de son séjour à l’orphelinat des Juifs Hongrois au Château des Groux après la seconde guerre mondiale. Quand il rencontre Georges Brassens dans les années 50, c’est une vraie révélation, et il va chercher à imiter son idole qui lui donne confiance dans sa vie sentimentale en particulier. Plus tard, la révélation des Beatles le rendra fan à vie des Quatre de Liverpool.
Tout cela apparaît dans ses dessins, les exemples sont nombreux de planches où Brassens apparaît. Quand les Beatles annoncent leur séparation en 1970, Gotlib se paie le luxe d’une double page de Pilote, pleine de textes pour dire au revoir au groupe anglais qui lui a procuré tant de bonheur.
Plus tard, alors qu’il est encore à Pilote, à la veille de créer l’Echo des Savanes, il dessine la série de Hamster Jovial, ce chef scout influencé par les musiciens de son époque : les Who, Alice Cooper, Jethro Tull, et tant d’autres, marquent alors l’esprit de Gotlib, qui conclut chaque planche par le leitmotiv : « C’est complètement con la pop musique ».
Une autre grande production musicale de Gotlib sera la coopération avec Jean Solé et Alain Dister pour « Pop et Rock et Colégram », illustrations foutraques de grandes chansons de Frank Zappa entre autres.
On le voit, la musique est omniprésente dans l’oeuvre gotlibienne. Elle fait bien sûr l’objet de parodies, les victimes étant en particuliers les groupes de musiques folkloriques, moqués à de très nombreuses reprises.
Il semble avoir bien connu Brassens, dont la photo est présente dans son bureau.
Là encore, la timidité maladive de Gotlib lui joue des tours. Il admire inconditionnellement Georges Brassens, il se procure une guitare pour s’essayer à jouer et chanter ses chansons, il parle de la première écoute d’un nouveau disque de Brassens ou de ses concerts comme de cérémonies religieuses. Et pourtant, alors que Maxime Le Forestier lui offre l’opportunité de rencontrer son maître, Gotlib se défile : il n’ose pas se retrouver face à Brassens, et refuse l’invitation. Donc la rencontre Brassens / Gotlib n’aura jamais lieu. Mais quand Marcel joue un morceau au cours de l’émission radio « Le Tribunal des Flagrants délires » sur France Inter, il choisit « Le temps ne fait rien à l’affaire » (quand on est con).
Quels sont les autres artistes dont il est proche ?
On l’a évoqué, Marcel Gotlib est un grand amateur de pop et de rock, il possède une discothèque impressionnante sur le sujet. Après les Beatles, sa plus grande influence est sans doute Frank Zappa, ce génial guitariste qui dynamite les codes de la musique populaire du 20e siècle. Avec Zappa, on entre dans une autre catégorie de musiques adorées par Gotlib, ce qu’on peut désigner sous le nom de musiques « déconnantes ». Le maître en la matière est Spike Jones, qui dans les années 1940 et 1950, parodie et détruit toutes les sortes de musique, du classique au jazz et aux standards de Broadway. Spike Jones perdra de sa popularité avec la montée en puissance du Rock’n’Roll, une musique qu’il jugeait si mauvaise qu’il n’était plus nécessaire de la parodier.
Par ailleurs, Marcel Gotlib est proche de plusieurs musiciens français qu’il apprécie : Maxime Le Forestier, Richard Gotainer, avec qui il fera un album musical « Vive la Gaule », Eddy Mitchell, et surtout le guitariste Marcel Dadi, introducteur de la technique du picking en France, pour lequel Gotlib réalisera plusieurs pochettes de disques.
Enfin, on sait peu que Gotlib a composé des chansons, qui ont été enregistrées par Albert Montias. Ce dernier nous fera le plaisir d’être présent à notre soirée du 29 mai.
Enfin, on sait peu que Gotlib a composé des chansons, qui ont été enregistrées par Albert Montias. Ce dernier nous fera le plaisir d’être présent à notre soirée du 29 mai.
Richard Gotainer, qui participe à votre soirée, semble appartenir à ce même groupe d’artistes que Gotlib et les Marx, sensible à l’absurde.
Richard Gotainer est d’abord un fan du dessinateur Gotlib, il a lu avec passion toutes les séries, des Dingodossiers à la Rubrique-à-Brac, de Hamster jovial à Momo le Morbaque, et tout l’Echo des Savanes et Fluide Glacial. Comme je l’ai dit, il fait appel à Gotlib pour un disque illustré sur les Gaulois. Gotainer partage avec Gotlib le goût de l’absurde, du non-sens britannique, mais également celui des mots de la langue française. Il est un des auteurs qui aiment le plus s’approprier les expressions désuètes, tout le monde se souvient de sa publicité pour un fromage, dont l’égérie « baguenaude dans les pâturages ». Gotainer est devenu ami avec Marcel Gotlib, et leur proximité, si elle découle d’abord de leurs oeuvres respectives, tient sans doute aussi à leurs origines proches, celles de petits juifs parisiens issus de l’immigration d’Europe centrale et orientale, imprégnés d’humour juif et de références à la langue yiddish.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué à l’expo du MAHJ ?
Tous les amoureux de Gotlib doivent voir l’exposition du MAHJ, ils y retrouveront son humour hilarant et ses parodies explosives. Pour ceux qui le découvriront, ils auront la chance de faire connaissance avec un artiste qui a bouleversé le paysage de la BD française, par ses productions, mais aussi par sa création en tant que directeur de la publication de Fluide Glacial, donnant leur chance à plusieurs générations de grands noms de la BD française : Binet, Edika, Goosens, et tant d’autres.
L’exposition s’intéresse, et c’est une grande première, aux origines familiales de Gotlib et au sort de sa famille pendant la Shoah. Ce qui en fait une visite indispensable, c’est surtout la profusion de planches originales, qui démontrent, s’il en était besoin, que Gotlib est un grand artiste.
Peux-t-on retrouver des éléments importants à la bibliothèque de l’AIU qui nous aident à mieux comprendre l’oeuvre de Gotlib ?
Dans son désir de couvrir au maximum le champ des productions culturelles liées au judaïsme, la bibliothèque de l’Alliance israélite universelle s’est intéressé depuis de nombreuses années à la production de bandes dessinées, à une époque où ce n’était pas encore la mode. Plusieurs rencontres avec des grands dessinateurs, comme Will Eisner, Joann Sfar, l’israélien Uri Fink, le New Yorkais Ben Katchor, nous ont poussé à créer une collection particulière autour du thème « BD et judaïsme ». Amateur à titre personnel de ce genre littéraire, j’ai été contacté par les commissaires de l’exposition Gotlib au MAHJ pour rédiger deux articles dans le catalogue qui vient de paraître. Je me suis intéressé à la musique, et également à la présence du yiddish dans l’oeuvre de Gotlib.
Gotlib et la musique