Days of Future Past, le nouveau film de Bryan Singer, plonge les mutants dans l’angoisse de la répétition de l’Histoire.
Breathless, la version américaine d’A bout de souffle (1960), sortie en 1983, évoque les relations compliquées entre un couple de beaux jeunes gens un peu perdus et traversant d’étranges lieux et situations. Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg ont été remplacés par Richard Gere et Valérie Kaprisky, inversant le rapport franco-américain. Sous la couette, les ébats sont intenses et se prolongent en débats lorsque Gere enlace Kaprisky pour partager avec elle sa passion pour le Surfer d’argent, le personnage le plus philosophique de l’Univers Marvel.
En France, à la même époque, dans Viens chez moi j’habite chez une copine (1981), Michel Blanc attend la fin de l’idylle entre Bernard Giraudeau et Christine Dejoux dans sa camionnette. Avec pour seule compagnie un sandwich et un Strange, la revue phare de l’éditeur lyonnais Lug qui publiait les aventures des personnages Marvel. Pas tout à fait la même classe. Marvel n’est plus un sujet de partage, mais la revue qu’on lit honteusement sous la couette à côté des kleenex les soirs de solitude.
Bien que l’Éducation nationale n’ait jamais entrepris d’étude à ce sujet, toute une génération de bambins a découvert la lecture dans les années 1970 grâce à Marvel. Chaque début de mois, ils harcelaient leurs parents pour acheter les revues Strange, Titans, Spidey ou Nova (ou tous les trois mois pour les Spécial Strange). Ce qui motiva cette démarche, fut avant tout les sublimes couvertures made in France, réalisées par Jean Frisano sous forme de tableau et d’une beauté insoupçonnable outre-Atlantique.
Trois époques
La bande dessinée des X-Men traverse trois époques. En 1963, on y découvre le Professeur Xavier, mutant télépathe, réunissant cinq jeunes mutants dans son école : Cyclope (qui projette un rayon avec ses yeux), Angel (doté d’ailes), l’agile et costaud Fauve, l’homme de glace Iceman (en version ashkénaze américaine ou Iceberg en version ashkénaze française) et la seule femme au nom très original, de Marvel Girl (ou en français Strange Girl), possédant un pouvoir télékinésique. Xavier leur offre un sanctuaire loin des haines et préjugés et leur apprend à utiliser leurs pouvoirs. Avec pour ennemi principal Magnéto, le maître du magnétisme, à la tête de la subtilement nommée « Confrérie des mauvais mutants ». Ces premières aventures sont publiées au début des années 1970 dans Strange.
En 1975, les X-Men migrent vers Spécial Strange, opérant un remaniement mutantionnel. Cyclope et Strange Girl restent et se déclarent leur amour, tandis que les autres sont remplacés par des personnages qui ne répondent plus aux critères 100 % Wasp. À l’image de la déesse africaine Tornade, du Russe en acier Colossus, du démon acrobate Diablo et de l’indomptable Wolverine. Cette deuxième période offrira les plus grands moments de la série, avec des histoires telles que la « Saga du Phénix noir », « Dieu crée l’homme détruit », « Days of Future past » et les origines révélées de Magnéto qui reviennent à Xavier souffrant d’un coma et se souvenant de leur rencontre en Israël. Ces changements sont surtout le fruit de l’imagination débordante du jeune scénariste Chris Claremont qui a repris la série.
Le thème principal de ces histoires est la bonne utilisation des pouvoirs face aux volontés de destruction des autres mutants ou face aux angoisses des humains souhaitant contrôler ou emprisonner tous les mutants. Violence et innocence se côtoient. Cela de la manière la plus inattendue lorsque Magnéto blesse la jeune recrue JAP Kitty Pride. Le survivant des camps, désabusé, prônant la lutte armée des mutants contre les humains, commence à changer lorsqu’il voit les effets de sa colère sur le visage aux grands yeux curieux de Kitty. Le maître du magnétisme finira par se rendre aux autorités internationales pour être jugé à Paris et défendu par Gabrielle Heller, ancienne fiancée de Xavier que les deux hommes avaient sauvée des griffes du mouvement néonazi Hydra venu la kidnapper à Haïfa. Les enfants du chef de Hydra, tué par Magnéto lors du sauvetage, attaquent le Palais de Justice de Paris, blessant grièvement Xavier. Ce dernier demande à son ennemi d’hier, Magneto, de devenir le nouveau directeur des X-Men. Commencera ensuite la troisième période, confuse et noyée dans ses univers parallèles.
Stan Lee, le créateur de la plupart des personnages de Marvel, explique que l’évolution des rapports entre Magneto et Xavier est inspirée par les différences de conception perçues dans deux moments de l’Histoire : Martin Luther King face à Malcolm X et David Ben Gourion face à Jabotinsky.
Mêler l’histoire et la fiction
Aujourd’hui, nous n’assistons plus à une confrontation entre « bons » et « mauvais » mutants, mais entre deux générations. D’un côté, celle des quarantenaires qui espèrent tant depuis les regrettés Strange et les regrettables films de héros présentés avec des habits et décors en latex. D’un autre, les ados qui ont grandi avec les dessins animés à la sauce Disney diffusés dans les années 1990.
En 2000, la compagnie Marvel commence donc avec la série des films, avec le premier épisode des X-Men. Et le film s’ouvre sur… Auschwitz ! Éric Lensherr, séparé de ses parents à l’entrée du camp, découvre ses pouvoirs lorsqu’il est pris de colère, faisant plier les barbelés à distance et repoussant quatre soldats. Et cette crainte du « si ça recommençait » hantera le jeune homme qui deviendra Magneto au long des films. Days of Future Past est d’ailleurs l’histoire qui risque de se répéter dans le futur, à condition que Kitty Pride réussisse à retourner au temps présent pour changer le cours de l’histoire.
Les prémices de Days of Future Past se retrouvent dans les éditions US The Uncanny X-Men n°141 et n°142, et en France dans les Spécial Strange n°35 et n°36. L’histoire se déroule en 2013. Les mutants portent des colliers qui inhibent leurs pouvoirs, ils sont désignés par un matricule, portent un signe distinctif, en l’occurrence un « M » sur la poitrine, et ils sont enfermés dans des camps gardés par des robots géants : les Sentinelles. Une résistance formée de mutants est dirigée par Wolverine. Magneto avait donc raison : il se retrouve une nouvelle fois enfermé à cause de ce qu’il est.
Le réalisateur Bryan Singer a été adopté par un couple de Juifs new-yorkais. Il explique que le fait de vivre en tant que minorité a fortement influencé ses films. La famille de Singer était originaire de Pologne et de Russie, et de nombreux membres de sa famille paternelle ont été tués pendant la Shoah.
Enfant, il s’est vite intéressé à la Shoah et il a décrit ses films comme des explorations de sa propre situation et de ses craintes personnelles face à l’intolérance. Son film de 2008, Valkyrie, avec Tom Cruise, raconte la tentative ratée en 1944 par des officiers nazis d’assassiner Adolf Hitler. Un élève doué (Apt Pupil) sortira en 1999 est l’adaptation d’une nouvelle de Stephen King dans laquelle un adolescent reconnaît un ancien nazi joué par… Ian McKellen, qui interprète Magneto dans le premier X-Men (2000) avant de confier le rôle du personnage jeune à Michael Fassbender.