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Le Billet de Alexandre Adler

Le cauchemar islamiste

À présent que le bruit et la fureur de la bataille de Gaza s’éloignent un peu, tandis que la violence insensée des Jihadistes syro-irakiens provoque l’émotion et l’horreur de l’opinion mondiale pour une fois unanime, le temps d’une réflexion plus approfondie sur ce moment extraordinaire que nous vivons à présent s’impose à tous. Sans doute faut-il, pour interpréter correctement la situation, prendre les choses d’un peu plus haut.

On a souvent été tentés d’établir le parallèle entre l’islamisme politique et le nazisme. Certains points sont évidemment tout à fait voisins : l’exaltation de la violence rédemptrice, l’exécration de toute forme véritable de démocratie, la mise au service d’un idéal conservateur (ou même ultra-conservateur dans le cas des islamistes) de méthodes révolutionnaires manifestement inspirées de l’exemple communiste. (Le nom « Al Qaïda » en particulier n’est que la traduction en arabe du concept de « base » inventé par Mao pour propager la guerre populaire). L’antisémitisme à tendance génocidaire est l’aboutissement de toute la dynamique des nazis comme des islamistes, et au passage il ouvre la voie à d’autres pratiques génocidaires, tsiganes et homosexuelles chez les uns, dissidents de l’islam, minorités chrétiennes… et homosexuelles chez les autres. Mais cette phénoménologie, par ailleurs tout à fait exacte, ne suffit pas.

Le point commun essentiel aux deux mouvements réside en réalité dans la forme exacerbée d’un suicide programmé, dont le plan de plus en plus clair s’est déjà mis en marche inexorablement. En 1938, à son apogée véritable, Hitler, après les accords de Munich, avait établi les bases d’une hégémonie allemande durable en Europe, moyennant une sorte d’entente stratégique avec l’Angleterre. Il avait aussi convaincu Staline de la nécessité d’organiser en parallèle une négociation d’armistice avec l’Axe Allemagne-Italie-Espagne franquiste. Trois ans plus tard, en décembre 1941, Hitler combattait la plus puissante coalition de tous les temps, États-Unis et Union Soviétique associés à l’Angleterre invaincue. Et s’était dès 1941 engagé irréversiblement vers un génocide juif total.

Aujourd’hui, on peut dire que l’islamisme politique a accompli la même courbe suicidaire. La victoire d’Obama en 2008 qui semblait invalider toute la stratégie antiterroriste de Bush contre Al Qaïda et ses alliés musulmans avait représenté initialement l’équivalent en Amérique de l’« appeasement » de Chamberlain dans l’Angleterre de la fin des années 1930. Les victoires considérables au suffrage universel de Frères musulmans qui se présentaient volontiers comme plus modérés que Ben Laden venaient d’offrir à cet islamisme le contrôle du plus grand pays arabe, l’Égypte. Et de manière moins assurée le contrôle de la Tunisie et à terme de la Libye. Sans compter l’entrée dans le gouvernement marocain, sans doute bientôt jordanien et l’alliance de plus en plus ferme de la Turquie d’Erdögan.

 

Les Frères Musulmans en déroute

Il aura fallu ici moins de deux ans pour que le Printemps arabe se transforme en débâcle de l’islamisme. Regardons plutôt les faits récents : le même peuple égyptien – ou plutôt cairote – qui avait plébiscité la chute de Moubarak et la victoire des islamistes associés – Frères Musulmans et Jihadistes – se retournait spectaculairement afin de défendre sa sécurité et sa liberté. Il emportait par des manifestations de masses jamais vues dans cette région jusqu’alors la digue en définitive très précaire du gouvernement Morsi. L’armée qui attendait l’occasion, mais aussi se préparait à une longue guerre de tranchées avec les Frères, s’engouffrait aussitôt dans la brèche et installait un nouveau chef jeune et charismatique dans la personne du Maréchal Sissi, qui sembla même de terrasser à terme les islamistes.

Les contrecoups immédiats de cette victoire stratégique ont d’emblée été nombreux et significatifs. À peine Morsi chassé, l’Égypte abandonnait tout soutien au camp islamiste dans la guerre civile syrienne et se rapprochait discrètement de Bachar Assad et des siens. Beaucoup moins discrètement, le pouvoir militaire égyptien reprenait langue avec Israël, et on ne parlait plus désormais de gel des relations diplomatiques mais de coopération intensive pour permettre à l’État égyptien de reprendre pied dans le Sinaï anarchique. Le pouvoir islamiste du Hamas, étroitement allié aux Frères Musulmans égyptiens dont il provient historiquement, devait instantanément subir un blocus intensif de l’Égypte. Cela, dans la mesure où les nombreux tunnels de la bande de Gaza avaient aussi servi à un raid islamiste au Sinaï où 40 gendarmes égyptiens avaient trouvé la mort.

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Si l’armée tunisienne demeure bien trop faible pour réussir une opération « à l’égyptienne », les Frères Musulmans tunisiens avaient néanmoins compris d’où soufflait le vent du boulet et ont fini par traiter avec leur opposition laïque et renoncé à contrôler le pays par des méthodes de moins en moins démocratiques : la chute d’An Nahda, ou au pire sa neutralisation, n’est plus maintenant qu’une affaire de patience, grâce à une opinion tunisienne qui a elle aussi viré de bord. Dans le reste du Maghreb, la situation est encore meilleure avec l’isolement croissant et la domestication institutionnelle du gouvernement Ben Khirane à Rabat, et le redressement spectaculaire de la sécurité militaire du Général Mehdiène, suite à l’aventure jihadiste au Mali et à l’affaiblissement définitif de Bouteflika. En Libye enfin, avec l’appui de la nouvelle alliance Egypte-Arabie Saoudite-Emirats, le Général Khalifa Haftar allié aux Berbères Zenètes du sud de la Tripolitaine semble en mesure d’écraser enfin les islamistes locaux dont la population libyenne s’est également fatiguée.

L’Arabie Saoudite elle-même changeait radicalement de cap : le groupe dirigeant majoritaire au sein de la famille royale craignait avant tout une hégémonie égyptienne basée sur le prestige théologique de la Faculté Al Azhar du Caire. Laquelle se serait combinée avec la puissance financière du Qatar et le soutien, même plus précaire, de l’État turc confisqué par l’Akape. Ce cauchemar a conduit les Saoudiens à assurer la stabilité financière de la junte égyptienne et à commencer discrètement à se replier en bon ordre du front syrien dans un dialogue discret mais réel avec Bashar Assad. Inquiet, à juste titre, de ce développement si rapide, le Qatar accomplissait alors une révolution de palais en douceur, écartant le Premier ministre en charge de la diplomatie jusque-là tout puissant, Ben Jassem, l’oncle du nouveau prince. Mais après avoir tâtonné de la recherche d’une réconciliation avec Riyad, le Qatar se retrouvait malgré tout isolé par le nouveau paradigme moyen-oriental qui est en train de se mettre en place. Il ne lui reste plus guère que le Paris Saint Germain et la prose lyrique de Dominique de Villepin pour se protéger dans un monde où le prix du gaz est en train de tomber en vrille sous les coups du gaz de schiste américain, canadien et bientôt russe.

Pour parachever entièrement la défaite stratégique de l’islam politique, l’efficacité des sanctions économiques contre l’Iran aura permis un renversement pacifique de l’orientation provocatrice de Téhéran, l’élection dès le premier tour et dans un suffrage universel régulier du président réformateur Hassan Rouhani. Laquelle fut bientôt suivie d’un accord intérimaire sur le nucléaire qui pourrait, particulièrement dans le contexte actuel, déboucher à brève échéance sur un compromis définitif qui réintégrerait l’Iran dans la communauté internationale. Cela, au moment même où ses intérêts stratégiques et nationaux essentiels se jouent dans la défense du régime de Bagdad.

 

La volonté du peuple

Nous pouvons donc maintenant revenir au cas allemand de la fin de 1942. Le parallèle est saisissant. L’Allemagne, après une première défaite devant Moscou, vient de perdre sa dernière possibilité offensive à Stalingrad (et secondairement dans le Caucase). Les Anglo-américains ont bien commencé l’offensive de bombardement aérien sur les centres industriels vitaux du pays, et déjà virtuellement rasé Hambourg au sol. Le Japon a été vaincu sur mer et entame une phase de repli qui va permettre à l’Amérique d’installer en Angleterre le corps expéditionnaire le plus nombreux jamais vu. La victoire qui pointe dans la guerre sous-marine de l’Atlantique ouvre déjà la perspective d’un pont continu entre la Côté Est des États-Unis et les îles britanniques. Enfin, l’échec de Rommel, parvenu aux portes de l’Égypte, et le retour partiel dans la guerre de la France ouvrent à brève échéance la voie de liquidation de l’Axe en Afrique du Nord, et ceci pendant que l’Italie mussolinienne commence à crouler sous elle-même.

Parvenu à ce point, un régime doté de la moindre raison se serait débarrassé de la dictature hitlérienne et aurait commencé à traiter avec les uns et les autres une paix, même sévère ; il aurait dû par ailleurs mettre fin à sa politique génocidaire, comme par exemple les généraux roumains y auront procédé un an plus tard. Mais le suicide était présent dans la matrice dès le déclenchement de la guerre et l’obstination psychotique de Hitler à subir désormais la guerre totale n’explique pas tout. L’Allemagne contemporaine est née en 1813 d’une insurrection nationale victorieuse contre la France, mais aussi de l’affirmation démentielle de constituer à elle seule une alternative toute à la fois révolutionnaire et conservatrice aux idées des Lumières et de la Révolution française sous sa forme humaniste et universelle.

Malgré des percées louables en direction de la démocratie et du Droit – les révolutions de 1848 et l’éphémère république de Weimar entre 1918 et 1933 – l’Allemagne est malheureusement restée fidèle à ce programme de révolution conservatrice du Metternich du Congrès de Vienne à Bismarck puis à Guillaume II et à son grand État-major. Dans l’histoire de l’Allemagne conçue sur le temps long de ce siècle et demie (1810-1945), c’est donc une onde puissante et continue qui a poussé inexorablement l’Allemagne vers l’autodestruction. Ce n’est pas Hitler qui a précipité une nation fondamentalement saine dans la catastrophe, c’est bien plutôt cette catastrophe de longue durée qui a rendu possible Hitler.

Et ici le parallélisme avec la révolution islamique de toutes ces dernières années au Moyen-Orient est saisissant. Les puissances occidentales, Angleterre et France essentiellement, avaient détruits l’indépendance et souvent la dignité du monde musulman classique de 1815 à 1918 avec la vigueur et l’imprévoyance de Napoléon, empêtré dans les affaires d’Allemagne. La réponse de longue durée de ces sociétés aura été l’essor d’une puissante « révolution conservatrice » qui alliait l’idée apparemment démocratique d’une restauration des indépendances et des dignités nationales, mais aussi la pulsion destructrice d’un plein rétablissement de la société traditionnelle, avec tout ce que ce rétablissement implique en matière d’oppression.

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Dès l’abolition du califat ottoman, la tension est immédiatement palpable entre une révolution kémaliste qui se voulait laïque, pro-européenne et même favorable au peuple juif et une insurrection du Désert menée par Ibn Saoud depuis les terres natales du Prophète et qui entendait préparer le retour à un islam intègre et libéré de toutes les influences modernes, l’islam des ancêtres ou salafisme. La suite est connue : après une montée au premier plan de mouvements autoritaires et nationalistes mais modernisateurs, l’inconséquence de ces régimes vis-à-vis de l’Islam et de sa tradition ont entraîné leur effacement progressif ou leur capture (cas iranien de 1979) par des forces islamistes renaissantes. Les nassériens sont devenus Frères musulmans, les baasistes ont déployé l’étendard du Jihad au Liban ou face à l’Iran, le terrorisme palestinien a emprunté les méthodes des « Assassins » du Vieux de la montagne, et pour finir ces différents mouvements révolutionnaires-conservateurs ont tenté de s’unir à l’échelle du continent musulman depuis le Maroc jusqu’à l’Afghanistan.

Nous avons assisté en l’espace de trois ans au même tournant qui signait l’effondrement définitif du projet nationaliste allemand en 1942. Mais une différence de taille, et très encourageante sur le fond, se manifeste entre l’islam d’aujourd’hui et l’Allemagne d’hier. Terrorisé et hypnotisé par l’apocalypse hitlérienne, le peuple allemand n’a pris virtuellement aucune part à la destruction de ce régime cancéreux que seule la victoire totale des Alliés aura permis d’abolir. Mais ici, nous assistons en direct à la résistance victorieuse d’à peu près toutes les sociétés de cette aire géopolitique pour extirper d’elles-mêmes l’infection islamiste qui les mine. Le point de départ aura été la résistance vaillante et pluraliste d’une majorité d’Algériens à la volonté sanglante des islamistes du FIS de confisquer le pouvoir politique dans les années 1990. Depuis lors, blessée, meurtrie, mais toujours en vie, l’Algérie a commencé un relèvement moral sans précédent, dont l’œuvre d’un Boualem Sansal est le témoignage le plus admirable.

 

Les mauvais paris du Qatar

De proche en proche, les autres États du Maghreb sont en train de réaliser, avec des sacrifices moindres, cette reprise en main nécessaire. Si le pouvoir chérifien s’active à noyer la contestation islamiste sous le débordement de la croissance économique qui rétablit les chances de long terme d’une nouvelle bourgeoisie entrepreneuriale, la société civile républicaine, démocratique, laïque et féministe que Bourguiba aura légué à la Tunisie est en train de reconduire gentiment à la porte les Frères musulmans d’An Nahda, même si l’absence de guerre civile vaut bien l’accomplissement de cette révolution par étapes et avec des concessions inévitables.

Mais surtout la quasi-simultanéité, pour la première fois, des bouleversements égyptiens et iraniens – juin 2013 – est en train de provoquer l’émergence d’une équation absolument nouvelle dans la région. Une sorte de loi de la physique politique s’était en effet instaurée depuis 1945 où les deux grandes puissances de l’Islam que sont l’Iran et l’Égypte alternaient leurs places respectives de pôle de la révolution ou de pôle du modernisme modéré. La révolution nationaliste de Mossadegh domine l’Iran de 1945 à sa chute en 1953, et depuis la fin de 1952 Nasser aura pris le relais au Caire avec son mouvement des Officiers Libres, nationalisant le Canal de Suez après que Mossadegh aura ouvert la voie avec le pétrole britannique en Iran. Et le Chah M. Reza Pahelevi s’effondrera en 1979, tout juste après que Sadat aura signé avec Israël les accords de Camp David et définitivement rangé l’Égypte dans le camp occidental, dans une alliance américaine solide que Moubarak aura prolongé jusqu’à sa chute de 2011.

Si cette logique s’était poursuivie, on aurait pu penser que la dérive modérée de l’Iran post-islamiste vers la réconciliation avec l’Amérique, et à terme Israël, aurait coïncidé avec une nouvelle radicalisation égyptienne, et ce fut bien le cas lors des deux années d’anarchie qui s’installèrent au Caire avec les Frères Musulmans. Mais aujourd’hui, pour la première fois, une convergence égypto-iranienne se dessine. Sissi ne veut décidément pas davantage la victoire des jihadistes que Rouhani, déjà fortement engagé en Syrie derrière Assad, ne peut le tolérer. Si l’Égypte a déjà accompli le premier geste décisif en renonçant à toute participation à l’insurrection sunnite syrienne, l’Iran, selon les déclarations mêmes de Rouhani, pourrait engager le deuxième pas en signant avec l’Arabie Saoudite une paix des braves anti-jihadiste. Dont la première victime bienvenue serait l’émirat subversif du Qatar, sa télévision Al Jazeera et ses campagnes d’achat de politiciens impécunieux depuis la France jusqu’à la Turquie.

Il va de soi que de tels développements, pourtant annoncés à de nombreuses reprises par nos Prophètes, saisissent la société israélienne sans que celle-ci ne les ait véritablement compris. C’est pourtant sous l’effet de ce bouleversement sans précédent que le Hamas en Palestine aura multiplié les erreurs de plus en plus fatales jusqu’à s’abandonner ces dernières semaines à la logique démente d’une offensive purement propagandiste. Les islamistes palestiniens en effet n’ont pas pu se retenir, pas plus que Juppé et Fabius d’ailleurs, de tirer un trait que la survie du régime syrien, qui pourtant les protégeait. Au milieu de l’insurrection, le chef militaire du Hamas Mechaal déménage donc de Damas « à la cloche de bois » et fait basculer son mouvement dans un anti-chiisme radical qui lui vaut durablement la méfiance de l’Iran et l’hostilité d’une Russie dont les relations avec Israël ne cessent de s’améliorer. Quelques semaines après seulement et c’est encore le grand arrière égyptien qui s’effondre, et bientôt après l’agression islamiste au Sinaï, les tunnels qui se bouchent. Sans qu’Israël n’ait particulièrement insisté pour qu’émerge cette nouvelle fermeté égyptienne.

 

Le challenge d’Israël

La réponse militaire, au total mesurée, d’Israël a certes donné lieu aux criailleries propagandistes des antisémites et des antisionistes européens, mais sur un registre nettement atténué. Manque en effet à l’appel les habituels mollahs allumés de Téhéran, les staliniens nostalgiques de Moscou et la conjonction de Régis Debray et de la veuve Hessel ne fait décidément pas le poids face aux nouvelles de génocide, celui-là parfaitement réel – qui s’amorce en Irak et en Syrie contre chrétiens et chiites. Churchill avait déclaré au lendemain du 22 juin 1941 que « si Hitler décidait d’envahir l’Enfer, le Premier ministre de Sa Majesté n’hésiterait pas à faire l’éloge de Satan à la Chambre des communes ». Il annonçait ainsi avec son humour coutumier le grand tournant de l’alliance anglo-soviétique, bientôt étendue aux États-Unis. Ici, la poussée du jihad qui n’est que la poussée suicidaire d’un islamisme politique parvenu jusqu’au bout de l’impasse est en train de créer sous nos yeux médusés le rapprochement de tous les modérés sous l’impulsion de l’Égypte et de l’Iran qui pousse l’Arabie Saoudite à cesser de soutenir le salafisme où que ce soit.

Sur le terrain palestinien, le grand vainqueur n’est autre que l’Autorité palestinienne. Juste avant la crise de Gaza, la rue arabe bruissait de rumeurs sur l’imminence d’un coup d’État du Hamas dirigé contre l’Autorité palestinienne en Cisjordanie. Au lendemain de la trêve négociée par l’Égypte, c’est pourtant les solutions prônées par Abbas et son gouvernement qui sont en train de triompher dans un Gaza qui respire enfin et qui espère de toute évidence retrouver pour de bon une normalité véritable. Et sans doute demain de meilleurs rapports avec une Égypte militaire qui a jeté tout son poids, en conjonction avec Israël, dans la défense de Mahmoud Abbas. Ce sont là des changements d’une incommensurable portée.

Petit à petit, l’ensemble du monde musulman classique depuis Casablanca jusqu’à Kaboul et est en train de sortir du piège étouffant de la révolution conservatrice dont on peut dater le début de l’abolition du Califat ottoman en 1818. Parmi les conséquences imparables de cette grande mutation qui s’amorce, il y a de toute évidence la reconnaissance non seulement d’Israël mais aussi du sionisme comme une partie intégrante d’une nouvelle identité de la région. Il y a dans ce genre de domaines des marqueurs très fins qui valent beaucoup mieux que de longs discours. Pendant que la guerre civile faisait rage pour le contrôle du territoire syrien, les Druzes du Golan, qui jusqu’à présent faisaient montre d’une identité syrienne soit disant indéfectible, commencent à demander partout des cartes d’identité israéliennes que Medinat Israel leur refuse d’autant moins que la communauté druze de Galilée demeure indéfectiblement fidèle au sionisme.

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Dans une Syrie pacifiée demain, il y a fort à parier que le djebel druze, de l’autre côté de la frontière du Golan se tournera beaucoup plus que l’on imagine vers Jérusalem. Pendant que Boko Haram se lance au Nigeria dans la même offensive désespérée que nous avons vu se déployer au Mali voisin en utilisant pour un temps la dynamique Touareg, nous constatons un peu partout en Afrique le développement beaucoup plus rapide de phénomènes de prosélytisme juif. Dont le récent et remarquable livre d’Edith Bruder, Black Jews (Éditions Albin Michel) nous montre l’importance très sous estimée au Nigeria en particulier, l’identification de la communauté Ibo beaucoup plus puissante en nombre que les groupes jihadistes du Nord à l’État d’Israël est dors et déjà une réalité géopolitique. Le basculement vers le judaïsme de dizaines de milliers d’Africains depuis la république sud-Africaine jusqu’au Rwanda et au Nigeria aura certes été rendu possible par la générosité et l’esprit d’ouverture d’Israël vis-à-vis des Falashas d’Éthiopie.

Mais c’est aussi le marqueur indélébile d’un basculement de tout l’ancien Tiers-monde vers des relations apaisées avec l’État hébreu. Lequel se taille aussi en Inde et en Chine une position très remarquable dans le commerce et le partage des nouvelles technologies. Dans ces conditions, l’autre victime collatérale de l’islam politique n’est autre que l’actuelle classe dirigeante israélienne, dont la médiocrité intrinsèque ressort encore plus violemment de la retraite définitive du dernier père fondateur de la génération de Ben Gourion, Shimon Pérès. Tout est donc en tain de s’améliorer spectaculairement au Moyen-Orient et Israël est en train de conquérir une place sans précédent dans l’économie mondiale. Un seul élément manque à l’appel : l’existence d’une classe politique unifiée et résolue qui donne enfin ses chances à l’Autorité palestinienne et rétablit à grandes enjambées les relations, non pas de compromis mais d’alliance stratégique enfin possible avec l’Iran comme avec l’Égypte, avec le Maghreb comme avec une nouvelle Arabie Saoudite en quête d’une nouvelle identité.