Il y un an Kiev était le théâtre d’un massacre : une centaine de personnes sont mortes sur la place de l’indépendance « Maïdan Nezalejnosti », symbole endeuillé d’une révolution dite « de la dignité ». Ces évènements avaient finalement précipité la démission du président pro-russe, Viktor Ianoukovitch. Alors que l’Est du pays reste en état d’alerte constant et d’où les nouvelles sont celles d’un front, des commémorations ont eu lieu dans la capitale, durant plusieurs jours.
Ce vendredi soir dernier, sur la place Maidan, plus de barricades, ni d’infirmerie, ni de campement de fortune mais une multitude impressionnante de bougies, rouges, des photos immenses de visages des victimes tombées au cours de ces journées sanglantes, devant lesquelles les gens se recueillent et pour lesquelles ils demandent que justice soit faite. Le nombre exact de disparus n’est toujours pas connu. Plus de flammes sur ce Maidan, ni de pneus brûlés mais des chants, beaux, émouvants, solennels et des fleurs à perte de vue. La foule est nombreuse, éparse : des familles, des couples, des jeunes, des vieux, mais tous ont l’air grave d’un peuple triste. Ils ont écouté Porochenko un peu plus tôt et le Requiem de Mozart, joué par l’orchestre national d’Ukraine. A présent, une voix au microphone, lourde, cérémonielle, nous rappelle que la guerre n’est pas loin et qu’elle fait rage. Le Donbass est proche.
Régina Maryanovska, une réalisatrice ukrainienne et engagée, décrypte : “le message principal est que le peuple ukrainien se souvient et n’oublie pas pourquoi son sang a été versé dans les rues de Kiev il y a un an. Notre peuple continue de se battre aujourd’hui pour construire un pays indépendant et démocratique.”
Au lendemain, avait lieu une lecture d’Hôtel Europe à L’Opéra National de Kiev, par l’auteur lui-même, le philosophe Bernard-Henri Lévy, devant un parterre d’officiels, de diplomates et de citoyens européens : Petro Porochenko, toujours, le Premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, la Présidente de Lithuanie, Dalia Grybauskaité, ou encore Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Le texte de la pièce avait été implémenté des derniers développements politiques et militaires, pour cette représentation unique et commémorative, marquant quant à elle l’anniversaire de la destitution de Viktor Ianoukovitch.
Pour Régina, “la représentation de l’Hôtel Europe à l’Opéra national montre le support français pour l’Ukraine. C’était important pour nous de voir un intellectuel comme Bernard-Henri Lévy monter sur cette scène.”
Olga, une autre ukrainienne, qui attend patiemment les réformes, est venue assister à la séance et pour la première fois à l’Opéra, exulte : « cela nous fait du bien, c’est une bouffée d’oxygène ». L’Europe, Sarajevo, Auschwitz, Marioupol, Husserl, BHL reconstitue notre pessimiste histoire européenne et aimerait que le continent se lève pour crier d’une seule voix : « nous sommes tous des Ukrainiens ! ». Il nous explique qu’il faudrait entendre que l’Europe est “un concept juif noué à un mythe grec”, et qu’il faut combattre les tenants de la « Vague Bleu Marine et de leurs jumeaux de de la Nova Rossia », car « ce n’est pas normal, cette lumière grise »: « Slava Oukraïni…. Heroyam Slava ! »* Et Régina de conclure : “les ukrainiens sont très fatigués de la guerre à Donbass. Ils sont moins optimistes qu’il y a un an. De surcroit, la situation économique est très difficile aussi…”
Le dimanche suivant, une “marche pour la dignité” a rassemblé des milliers d’Ukrainiens sur un parcours symbolique, mais au même moment à Kharkiv, la deuxième ville du pays située à moins de 50 km de la frontière russe, durant la manifestation jumelle pro-Kiev, un attentat a fait 2 morts. Depuis, un journal russe indépendant, Novaïa Gazeta (le journal où travaillait Anna Politkovskaïa, assassinée en 2006), a publié un document transmis à Vladimir Poutine durant les derniers jours de la présidence du président pro-russe Viktor Ianoukovitch : “Ce document est intéressant”, écrit le journal, “car il décrit précisément, pas à pas, les fondements mais aussi la logistique politique et médiatique de l’intervention de la Russie dans les affaires ukrainiennes et de l’arrachement à l’Ukraine de la Crimée et d’autres régions orientales. »
L’état d’alerte est loin d’être levé.