Mohamed Sifaoui est écrivain, journaliste, réalisateur et figure incontournable de la lutte contre le fondamentalisme islamiste . Il s’est rendu pour la première fois de sa vie à Auschwitz-Birkenau, en Pologne, il y a quelques jours. L’Arche vous propose de découvrir l’une de ses chroniques consacrées à son voyage, publiée sur Huffington Post et reproduite ici avec l’aimable autorisation de ce dernier et de son auteur :
« Je suis en Pologne depuis jeudi. Pour l’instant à Cracovie, ensuite j’irai à Varsovie, la capitale. Ce vendredi, je m’apprête à visiter Auschwitz Birkenau, l’un de ces camps de la mort ayant provoqué cette tragédie singulière qui a emporté 6 millions de juifs en raison de la furie antisémite des nazis.
Me rendre à Auschwitz pour approcher le lieu du supplice 70 ans après la Shoah. Voilà une idée qui déplairait forcément à Dieudonné, à Alain Soral et à leurs adeptes. Ou peut-être une idée qui les ferait rire. Probablement ! Les deux oiseaux de mauvais augure qui aiment lancer des ritournelles antisémites, courageusement dissimulés derrière leur légendaire antisionisme, ne sauraient se sentir concernés par ce crime contre l’Humanité, eux qui ne rêvent que de quenelles bien appuyés devant des monuments aux morts. Parce que d’aucuns l’auront compris – et Soral en connait un bon bout – une quenelle devant une stèle commémorative ou un bras d’honneur devant l’entrée d’Auschwitz, ce sont des « trucs » qu’ils enseignent à leurs adeptes, c’est là incontestablement l’expression d’une incroyable témérité. Soral le courageux n’a-t-il pas, à défaut d’un bon salut hitlérien clairement assumé, introduit une bonne quenelle en plein milieu d’un mémorial dédié aux juifs à Berlin. Mais passons.
J’ai visité Cracovie, cette ancienne capitale du gouvernement général nazi durant la Seconde guerre mondiale. Dans cette ville des rois polonais, l’antisémitisme est culturel. Il est même devenu sans méchanceté. On y découvre une sorte d’antisémitisme affectueux. Je sais le mot est osé, mais il n’est guère exagéré. Il est osé, car l’absurde est osé. Et je ne fais que décrire celui-ci. On en vient jusqu’à oublier l’antisémitisme de notre extrême-droite française, désormais si peu capable d’avouer ce qu’elle est vraiment, celui de Dieudonné, caché derrière un prétendu humour qui ne fait rire que les beaufs arriérés ou encore celui de ce déliquescent Soral qui est aussi équilibré, lorsqu’il parle des juifs, qu’un Andréas Lubitz lorsqu’il prend les commandes d’un avion civil.
Ce qui frappe à Cracovie, c’est que personne ne se rend compte de l’antisémitisme ambiant. La chose ne choque pas. Car ici, les antisémites ne choquent pas : ils ne suscitent ni procès ni polémiques. Et je crois même que les choses ont toujours été ainsi. Dieudonné et Soral seraient heureux d’être là, mais le temps d’un voyage seulement tant ils ne feraient réagir personne (ou presque) et récolteraient forcément qu’indifférence.
En déambulant dans les ruelles entre les échoppes des marchands de souvenirs, on peut trouver des figurines. Plus précisément des caricatures de petits juifs. Le must, c’est le porte-clés, représentant un juif, une pièce d’or à la main. Généralement, les Polonais en raffolent. Il paraît que la chose porterait bonheur et que le juif en guise de porte-clés, rendrait son personnage riche comme Crésus… Pardon comme un Juif !
Vénal comme il est, Dieudonné serait capable d’en acheter un. Sait-on jamais ! La superstition pourrait marcher. Surtout chez quelqu’un qui prête aux juifs des pouvoirs surhumains.
A vrai dire, beaucoup de choses choquent à Cracovie. Pendant plusieurs années, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, ce qui fut le quartier juif de Kazimierz était désert, livré aux squatters, aux drogués et aux délinquants. Les maisons, jadis peuplées, étaient alors devenues des lieux où s’entassaient les détritus. Un jour, Steven Spielberg débarqua avec ses équipes et tourna dans le quartier malfamé, mais chargé d’histoire, ce qui allait devenir le très célèbre « La liste de Schindler », inspiré du roman homonyme de Thomas Keneally qui raconte l’histoire d’un polonais qui a sauvé plus de 1000 juifs d’une mort certaine.
A l’époque de la sortie du film en 1993, moins de 200 juifs vivaient à Cracovie. Avant la guerre, il y en avait 68000. Seuls 3000 étaient en vie en 1945.
Le film de Spielberg fit une publicité inespérée à la ville de Cracovie. Les juifs se remirent alors à revenir. Beaucoup d’entre eux sur les traces d’un parent, d’un aïeul ou tout simplement pour entretenir la mémoire. Des entrepreneurs polonais ayant senti le filon, malgré le peu d’empathie pour les juifs, lancèrent alors le « business d’Auschwitz ». Le vieux quartier juif est alors restauré et des restaurants juifs, qui n’ont de juifs que le nom, ouvrent leurs portes, des étoiles de David refleurissent et des voiturettes qui rappellent davantage un centre de vacance se croisent en ville, chargés de touristes. Comme quoi, même un juif en porte-clés peut générer de la richesse. »
http://www.huffingtonpost.fr/mohamed-sifaoui/cracovie-pologne-antisemitisme-ghetto_b_7084532.html