Force est de constater que le cinéma israélien connait un véritable essor. Des figures comme Amos Gitai, Assi Dayan ou Menahem Golan (production), ayant ouvert la voie à d’autres réalisateurs : Dover Kosashvili, Ronit Elkabetz, Eran Riklis, Eran Kolirin, Ari Folman ou Eytan Fox; une nouvelle génération, toute aussi prometteuse, a vu le jour : Asaf Korman, Nadav Lapid, Nir Bergman, Shira Geffen et Joseph Cedar. La diversité des thématiques explorées n’est d’égale que le multiculturalisme qui s’y trouve. Que l’on parle à travers le prisme communautaire, identitaire, politique ou personnel, la matière demeure la même : l’humain.
Dans ce paysage, figure également Hanna Azoulay Hasfari, plus connue en tant qu’actrice, elle a signé un premier film : Ch’ror et plus récemment : Orange People. Nous l’avons rencontrée dans le cadre du Festival du Film Israélien, où elle venue présenter son dernier film.
L’Arche : Avant d’aborder votre dernier film « Orange People » (Anashim Ketumim), parlez-nous de votre premier film Ch’Khour, réalisé par votre mari Samuel Hasfari.
Hanna Azoulay Hasfari : Avec Ch’Khour, c’est la première fois que la famille Mizrahi, plus spécifiquement la Marocaine, n’est pas présentée de façon caricaturale ou stéréotypée dans le cinéma Israélien. On y suit une famille qui effectue son Alyah (montée) en Israel, en la suivant sur dix ans. Ce film a également lancé la carrière de Ronit Elkabetz, qui a été récompensée pour son rôle de femme un peu « simple d’esprit », mais qui possède certains pouvoirs. On y parle de superstition, de mystique et de magie.
« Orange People », votre dernier film, comporte des paysages magnifiques. Ou a-t-il été tourné ?
Entre Israël et le Maroc. Pour toutes les scènes de flashback, les séquences se déroulaient dans les montagnes de l’Atlas, à deux heures et demi de Marrakech.
La lumière y est extraordinaire et les regards de vos personnages sont chargés de ces paysages d’un autre temps.
Merci. J’ai obtenu beaucoup de soutien de la part des Marocains, y compris de Monsieur André Azoulay, conseiller du Roi.
Quel est votre attache au Maroc ?
Familiale. De tous mes frères et sœurs, je suis la seule qui soit née en Israel. Ma mère m’a eue assez âgée. J’ai fréquenté un internat et j’essayais coûte que coûte d’oublier, de cacher, mes origines Marocaines. Comme pour la plupart de ma génération, nous voulions oublier. Nous ne souhaitions pas être identifiés à cette image, cette réputation, soi-disant primitive.
Dans les années cinquante on parlait même de Marocaï-Sakin (Marocain-Couteau), n’est-ce pas ?
Le sionisme fut inventé par les ashkénazes, donc toute cette attitude à l’égard des autres communautés fut entretenue par ces derniers. J’effectue actuellement un grand travail de recherche à ce sujet. Le colonialisme et cette manière de penser comme quoi l’Europe est au centre du monde a vraiment affecté et infecté le traitement à l’encontre des nouveaux venus des pays arabes. Ils les considéraient comme étant de culture inférieure. Le monde entier les envisageait ainsi. Ce qui n’est pas européen est inférieur, pas assez bien, pas assez développé …
On aurait pu croire que les juifs, d’ici et d’ailleurs, ayant connu la discrimination sous une forme ou une autre, se seraient soutenus, compris d’emblée, et ce, au-delà du langage.
Les ashkénazes fondateurs incitaient les juifs orientaux à l’Alyah. Mais ils ne les traitaient pas en égaux. Ils les jugeaient primitifs. Alors que les Marocains ont tant de couleurs, une culture si riche, et des classes sociales différentes. Si vous étiez proche de la culture européenne, on vous considérait comme une personne plus importante. Si vous ne parliez pas le français, si votre « culture » était « faible », vous étiez mis au second plan. Ils voulaient bien accepter et recevoir ces juifs de « classe inférieure », mais ils voulaient également les éduquer. Ils étaient pleins de mépris à leur égard.
Je suis pour la diversité et une richesse pluriculturelle. C’est le seul moyen pour les gens de vivre en paix, côte à côte. Je ne dis pas que je n’ai aucune critique à l’égard du Maroc. Mon film, « Orange People », aborde un sujet difficile, à savoir le mariage infantile. C’est encore un problème important à l’heure actuelle, dans le monde dans lequel nous vivons. Je suis allée présenter mon film aux Nations-Unies, il y a un mois, sous les auspices du Comité pour les Droits de la Femme. J’en suis très fière et il nous faut poursuivre dans cette direction.
Ch’ror est une jolie fable aux accents autobiographiques. La scénariste y aborde avec beaucoup d’émotion les enjeux individuels au sein d’une famille marocaine modeste, emigrée en Israel, et les déchirements qui s’en suivent. Entre désir d’émancipation et devoir familial, chacun cherche à revendiquer sa place et ce n’est simple pour personne. Là où la modernité et les aspirations de jeunesse se confrontent à l’autorité parentale et un savoir-faire ancestral, où les problématiques amoureuses font face à des formes de résistance, intervient dès lors la magie mystique, ou le Ch’ror, qui distille ses bienfaits réparateurs en jetant nombres de sorts, plus ou moins vertueux. Un film touchant et original qui prouve, une fois encore, que le particulier, lorsqu’il est appréhendé avec sincérité, n’a aucun mal à rejoindre l’universel.
Orange People est un film sensuel, sur le désir au sens large, les plaisirs de table liés à l’appétit de vivre, les actes manqués, la transmission inter- et transgénérationnelle (déjà présent dans Ch’rur). L’animosité familiale, la question du pardon, de l’expiation et d’une éventuelle réconciliation y sont aussi traitées. De beaux paysages s’ajoutent à un joli film qui brouille merveilleusement les frontières du réel et de l’imaginaire. Fantaisie, rêve et inconscient y surgissent de toutes parts pour catalyser et libérer.