L’hebdomadaire Marianne publie un hors-série sur le thème : « Les résistances juives durant la seconde guerre mondiale ». L’Arche s’entretient avec Martine Gozlan coordinatrice du numéro.
L’Arche : Pourquoi avoir choisi ce thème ?
Martine Gozlan : Sur la toile de fond, soixante-dix ans après, les commémorations de la libération des camps et de l’hommage aux résistants, nous constations fin 2014, quand nous avons décidé de réaliser ce hors-série, que les résistances juives étaient largement oubliées du grand public. Une omission tragique qui s’insérait dans le mythe odieux de la passivité des Juifs face à l’extermination. Malgré les multiples travaux des historiens, les témoignages, les recherches, les traces retrouvées d’innombrables chroniques de la douleur et de la révolte, la réalité n’avait toujours pas droit de cité dans la représentation que se faisait l’opinion publique du sort et de l’attitude des Juifs. Il nous a donc semblé utile de rétablir les faits. Tragiquement, la réalisation de ce numéro spécial, en partenariat avec le Mémorial de la Shoah, s’est déroulée dans le contexte des attentats de janvier 2015. Il a donc pris par là une dimension supplémentaire alors qu’une néo-barbarie met au défi toutes les valeurs de liberté et de dignité humaine.
Comment avez-vous travaillé ? Avez-vous privilégié des angles particuliers ?
M.G : L’objectif était de montrer toutes les formes prises par la résistance juive. Il fallait donner à lire et à voir aussi, car l’iconographie constitue un élément important de notre numéro. L’historien Georges Bensoussan, dans un grand entretien qui ouvre le dossier, rappelle que « survivre est la première forme de résistance ». Cette survie, cette volonté farouche de défier l’assassinat programmé, se tissent à travers, parfois, des soulèvements armés, comme dans le ghetto de Varsovie, voire, fait inouï, dans le noyau de feu du génocide, comme à Auschwitz, Sobibor et Treblinka. Mais aussi, quotidiennement, dans la résistance par l’esprit, la culture, la foi, l’information, l’entraide, l’éducation des enfants jusqu’au tout dernier instant, celui où on jetait les orphelins dans les wagons plombés. Comment ne pas évoquer l’immense figure de Janusz Korczak, le pédagogue magnifique de Varsovie, l’homme qui refusa d’abandonner ses petits protégés et tenta jusqu’au bout de les protéger ?
Vous avez donc mis plusieurs figures à l’honneur ?
M.G : Honneur, d’abord, à chaque victime, pour que ne s’accomplisse pas le crime de l’effacement total voulu par les nazis. On sait qu’au seuil des chambres à gaz, s’accomplirent des actes de révolte : ils sont consignés dans « les rouleaux d’Auschwitz », les « Meguilot Auschwitz » qui furent retrouvés, enterrés sous les cendres, écrits par des résistants de la révolte du Sonderkommando qui ne survécurent pas. Mais, naturellement, nous avons retracé, entre autres multiples hommages, les destins d’Emmanuel Ringleblum, le « chroniqueur » du ghetto de Varsovie, des chefs de l’insurrection : Mordekhai Anielewicz, Antek Zuckerman, Marek Edelman. Celui des grands poètes yiddish : Yitzhok Katznelson et Avrom Sutzkever. Grâce à Rachel Ertel, qui consacre sa vie à traduire les écrivains yiddish, nous avons donné la mesure de la grandeur et de l’universalité du yiddish, la langue assassinée, dans laquelle aussi se sont écrits les témoignages. Nous évoquons l’héroïsme méconnu des commandos juifs envoyés depuis la Palestine mandataire dans des missions sans retour, mais aussi celui des résistants juifs en France, des réseaux de sauvetage avec un témoignage de Lucien Lazare. On peut lire la saga de la résistance d’une imprimerie clandestine, celle de Raphaël et Rose Konopnicki, à Nice. Ailleurs, le plus jeune agent de liaison avait dix ans ! Il s’appelait Jean-Raphaël Hirsch.
Le numéro, précisément,est distribué avec le film « Le maquis des juifs », d’Ariel Nathan. Un symbole ?
M.G : Il s’agit d’un documentaire inédit sur le maquis du Tarn, constitué d’éclaireurs israélites, qui prirent les armes, constituèrent une compagnie juive et prirent une part active à la libération de Castres. « Nous sommes juifs ! » lancèrent les jeunes combattants aux Allemands vaincus. Ces derniers les regardaient, hébétés. L’histoire de ce maquis nous a tous bouleversés et fait partie d’une mémoire à transmettre. Ce numéro, c’est de l’Histoire mais pas du passé : nous l’avons réalisé au présent, pour redire la vie et le courage.