“Il a surpassé toutes nos attentes.” Tels étaient, au début du mois de septembre, les mots du célèbre conseiller de Barack Obama, David Axelrod, pour décrire l’ascension spectaculaire de Bernie Sanders, candidat à la primaire du parti démocrate. Le sénateur du Vermont, âgé de 74 ans, a déclaré début juin au moment où rien ne semblait pouvoir entraver la marche à la Maison Blanche d’Hilary Clinton. Et nombreux sont ceux qui perçoivent, en cette fin d’été, bien des parallèles entre le parcours de Sanders, ce juif de Brooklyn, et celui de Barack Obama, alors jeune sénateur, qui allait faire fléchir la machine d’Hilary Clinton, déjà candidate aux primaires, pour emporter la nomination du parti et, dans la foulée, les élections de Novembre 2008. Mais, si Obama était quadragénaire, c’est depuis plus de quatre décennies que Bernie est présent en politique et qu’il a fait inlassablement campagne pour davantage de justice sociale aux Etats-Unis. Un appel au peuple et un programme virulent contre les inégalités, des attaques frontales contre les milliardaires irresponsables (et donateurs de ses concurrents) lancent un vent de fraîcheur dans le paysage politique américain.
A bien des égards, Sanders apparaît comme une version intelligente et de gauche de Donald Trump. Autoproclamé «socialiste » dans un pays où l’adjectif est, pour beaucoup, anathème, il promet de faire campagne pour une classe moyenne qui se souvient d’un rêve américain et voudrait y croire à nouveau. Le parcours de Sanders, son enfance désargentée, dans un logement misérable (les fameux tenement houses) de Brooklyn et les combats de toute une vie, lui donnent une légitimité pour parler des oubliés de la société. C’est au cœur d’un foyer familial traumatisé, que Bernie a développé une conscience politique précoce : la famille de son père, juif polonais, émigré juste avant l’Holocauste, a été assassinée par les Nazis. « Un type appelé Adolphe Hitler a gagné des élections en 1932. Il a remporté des élections et 50 millions de personnes – dont 6 millions de Juifs- sont mortes pendant la seconde guerre mondiale, à la suite de cette victoire. Donc ce que j’ai appris quand j’étais petit est que la politique est très, très importante. »
Son parcours dans l’Amérique des années 60 l’a conduit à s’engager auprès des socialistes, à militer pour les droits civiques, et à ne jamais oublier de plaider pour les classes. Après un séjour au kibboutz, il s’est engagé en politique en 1971 auprès du Liberty Union Party, né aux lendemains de l’opposition à la guerre du Vietnam. Il s’est donc toujours affiché en indépendant, avant de tenter sa chance pour les élections de 2016 sous étiquette démocrate – puisqu’une candidature indépendante ne saurait aboutir dans un pays organisé en deux partis. Maire de Burlington puis premier représentant à la chambre sous étiquette indépendante, Bernie a choisi d’échapper au bipartisme pour ne jamais transiger sur son agenda politique et de fuir toute pression partisane au moment de votes sensibles, tout en promouvant un message souvent iconoclaste. Et il semble qu’il soit aujourd’hui entendu par ceux qu’il défend: les moins de 30 ans et toute une catégorie aux revenus inférieurs à 30 000 dollars par an (des classes qui traditionnellement ne votent pas, dans un pays où l’abstention aux présidentielles atteint 40% des inscrits), se déplacent par milliers pour ses meetings. Hier quasi-inconnu à l’échelle nationale, il devance Clinton dans un des états-tests, le New Hampshire : tout au long d’un été en chute libre, Hillary peinant à rassembler ses troupes pour ses meetings, pourtant tenus dans des lieux de taille plus modeste. La différence ne pourrait être plus nette : Bernie est l’anti-Hillary. Au cours de l’été 140 000 personnes ont signé pour faire sa campagne en tant que – le soutien vient de modestes contributions de sa base et non de larges chèques de donateurs qui sont la marque de la campagne Clinton, qui multiplie déjà les spots publicitaires. Plutôt que 5 secondes entre deux spots pour des voitures, les responsables de campagne Sanders ont choisi un différent format : un mini-documentaire de 5 minutes sur internet qui raconte l’histoire de Bernie et les raisons de son engagement. Et ses projets pour le pays.
Restent bien des questions. Qui seront les autres candidats aux primaires démocrates ? Alors que le camp républicain a plus de quinze candidats, le champ démocrate est pour le moins clairsemé et, au regard de la chute d’Hilary dans les sondages, certains tournent leurs espoirs vers Joe Biden, le vice-président. Endeuillé par la perte de son fils, celui-ci réserve encore sa décision. Quoi qu’il en soit, Sanders doit aujourd’hui capitaliser sur cet engouement tout en relevant d’autres défis, et notamment un déficit d’adhésion parmi la population noire américaine, acquise à Hilary. De plus, les médias et concurrents vont bientôt dépasser le stade d’observation du phénomène Sanders : Bernie peut se préparer à l’objet d’enquêtes à charge, aux attaques personnelles sur son passé ou sur d’éventuelles zones d’ombre qui sont le lot de tout candidat jugé sérieux. Et surtout, il lui faut convertir cet enthousiasme populaire en vote des délégués. Sur les 700 délégués démocrates, 400 soutiennent Hilary Clinton à ce jour. Mais qui aurait pu soupçonner, au printemps dernier, lorsque la candidate semblait imbattable, que l’élection de 2016 deviendrait aussi indécise au sein même du camp démocrate. Dix mois nous séparent de la convention démocrate de Philadelphie, du 25 au 28 juillet 2016. L’été 2016 sera-t-il, comme celui de 2015, la saison de Bernie?