Les nouvelles techniques médicales et la halakhah.
Une des techniques médicales qui ont révolutionné le XXe et le XXIe est sans aucun doute la procréation médicale assistée (PMA) qui permet de pallier certains problèmes de fertilité masculine ou féminine. La recherche a commencé par la fécondation in vivo, in vitro (FIV), au sein du couple et par la suite avec un tiers, donneur de sperme. Aujourd’hui on est en mesure de prélever également des ovocytes, de les conserver, de les réimplanter et de permettre à une femme de mener une grossesse grâce aux gamètes (sperme et ovocyte) de personnes qui lui sont étrangères.
Outre les questions éthiques et bioéthiques que l’avancée de la science soulève, la composition de la famille et sa structure s’en trouvent bouleversées et notre société n’a pas fini de mener de sérieuses réflexions sur le sujet. Mais il y a aussi le rapport aux lois religieuses. Ces techniques médicales, aussi extraordinaires soient-elles, sont-elles conformes à la halakhah ?
Pendant les deux premiers tiers du XXe siècle, les poseqim (décisionnaires en matière de lois juives, la halakhah) ont résisté à ces nouveautés qualifiées de « répugnantes » (un terme qui revient souvent dans les responsa) et ont « traîné » derrière les pas de géant que faisait la science en matière médicale. Cette position a changé et aujourd’hui, et les poseqim spécialistes dans ce domaine travaillent en collaboration avec les spécialistes du monde médical. Ils se tiennent à jour des nouveautés et élaborent de nouvelles lois en conséquence.
Une des premières questions à laquelle le judaïsme devait répondre au siècle dernier était celle de savoir si – d’un point de vue halakhique – une FIV avec donneur de sperme constituait une relation adultère lorsque la receveuse était une femme mariée. S’appuyant sur un passage étonnant du traité Hagigah du Talmud de Babylone et deux autres sources médiévales (R. Perez Eliyah de Corbeil et Alpha Beta de Ben-Sira), la réponse halakhique donnée à cette question, notamment par B.-Z. Uzziel, Y. Weinberg et Moshé Feinstein, grands poseqim du XXe siècle, fut négative. Il était donc possible d’autoriser la FIV avec donneur. Néanmoins, certaines précautions s’imposaient : alors que l’anonymat du don de sperme est de rigueur en France, il est strictement interdit par la halakhah, la filiation devant être claire afin d’éviter tout risque d’inceste. En effet, un enfant né grâce à un don de sperme risquerait de contracter une union incestueuse avec sa sœur/son frère, ce qui est strictement interdit d’après les lois de la Torah. En outre, le père halakhique étant le donneur de sperme, certains, à l’instar du rav Feinstein proposaient la tenue d’un registre permettant de vérifier la filiation avant tout mariage. D’autres interdisaient cette pratique tout en reconnaissant que fondement halakhique demeure licite.
Il est important de rappeler que, pendant longtemps, la majorité des poseqim étaient hostiles à ces pratiques médicales ; même le rav Feinstein fut attaqué, de son vivant, pour ses prises de position « ouvertes ». De nos jours – à l’exception des quelques cas rares tels celui du rabbin Kaniewski de Bné Brak, qui s’est exprimé en 2011 – l’attitude des poseqim a changé et n’exprime plus d’opposition de principe à l’assistance médicale à la procréation. Ce changement de direction a notamment pour objectif de permettre aux hommes d’accomplir la mitsvah (le commandement) de procréer, et non aux « couples » comme le disent certains rabbins, notamment de l’Institut Pouah. Les femmes sont dispensées de cette obligation et un homme peut répudier une épouse stérile (le contraire n’est pas possible).
Le débat halakhique n’a pas empêché l’Etat d’Israël d’avoir son premier « bébé éprouvette » dans les années 80 ou de créer des cliniques spécialisées en PMA. Au début du XXIe siècle, on comptait 40 cliniques de PMA, un nombre particulièrement élevé et disproportionnel au nombre d’habitants dans ce pays. Certaines cliniques sont soucieuses du respect de la halakhah et font surveiller les mouvements des éprouvettes de chaque couple dans le laboratoire de manière à éviter les erreurs possibles.
Don d’ovocyte et mères porteuses
En mai 2015 suite au tremblement de terre qui a dévasté le Népal, la société israélienne a découvert qu’en dépit de la loi qui l’autorise, des couples partent à l’étranger à la recherche de mères porteuses. Il s’agissait de couples d’hommes, homosexuels. De fait, la loi israélienne autorise le recours à une mère porteuse mais uniquement aux couples mariés et hétérosexuels (alors que la GPA est interdite en France). Aussi les couples homosexuels israéliens (mariés ou non) en mal d’enfant se tournent vers l’adoption ou cherchent à conclure une convention de mère porteuse. Dans les deux cas, la démarche n’est possible qu’à l’étranger, dans les pays où ces procédures ne sont pas prohibées. Dans l’état actuel de la législation israélienne (la loi a été amendée plusieurs fois) l’enregistrement à l’état civil des enfants nés à l’étranger grâce à une mère porteuse n’a été rendu possible que suite à la saisine de la Cour Suprême de l’État (Bagatz) et à sa jurisprudence.
Mais le souci de la halakhah en matière de mère porteuse est tout autre : celui de l’identité de la mère, déterminante pour l’identité de l’enfant. Et c’est la question qui s’est posée.
Qui est la mère halakhique ?
Selon la loi juive, le don d’ovocyte et le recours à la mère porteuse pour avoir un enfant n’est pas interdit. Cependant, dans l’état actuel de la recherche et des pratiques médicales en matière de GPA on peut se trouver face 5 à 6 « intervenant-e-s » dans le processus de procréation dont la donneuse d’ovocyte, la receveuse et celle qui mettra l’enfant au monde.
Dans de telles situations, qui est la mère halakhique ? Dans l’état actuel de la halakhah, plusieurs écoles coexistent. Selon l’une, c’est le moment de la conception qui prévaut. La mère de l’enfant serait celle au sein de laquelle l’enfant a été conçu, quelle que soit la suite du processus médical. C’était l’opinion de Shlomo Goren, Grand Rabbin ashkénaze de l’État d’Israël qui s’appuyait une croyance exprimée dans un passage aggadique du Talmud de Babylone (Sanhedrin 91b) selon lequel la neshamah (l’âme) naît au moment de la conception. Cette opinion, restée minoritaire, mérite d’être signalée. Selon une autre opinion, la mère halakhique est celle qui porte l’enfant pendant les 40 premiers jours de la grossesse mais selon une troisième opinion c’est celle qui le porte les deux derniers trimestres de la grossesse. Selon une quatrième opinion c’est la mère génétique (donneuse d’ovocyte) et selon une cinquième opinion c’est la mère biologique (delle qui le met au monde).
De facto, en l’absence de toute possibilité de trancher entre les différentes opinions, et, étant donné la gravité du sujet, on convertit le bébé né dans ces conditions lorsqu’une femme non juive intervient dans le processus de procréation. S’agissant d’une loi de la Torah – dans le doute – on applique le principe de rigueur (safeq de-orayta’ le-humra’),
Il est impossible de parler de PMA sans évoquer le cas douloureux de « stérilité halakhique ». Par ce terme, on désigne un phénomène spécifique aux femmes juives pratiquantes, celles qui après la période des règles attendent, conformément à la halakhah, sept jours puis vont au miqweh (bain rituel) – condition sine qua non – de la reprise des rapports intimes dans le couple. Il s’agit de femmes fertiles dont l’ovulation précoce survient avant le passage règlementaire au miqweh. De ce fait et, par voie de conséquence, avant la reprise des rapports conjugaux. Ces femmes qui ne souffrent d’aucun problème de fertilité se trouvent dans l’incapacité de procréer. Il existe actuellement des traitements de stimulation ayant pour objectif de retarder l’ovulation, certes. Mais ils ne sont pas toujours efficaces et les effets secondaires sont parfois redoutables (dans certains cas peuvent être à l’origine d’une dépression). Des solutions halakhiques existent mais les poseqim hésitent à les appliquer.
Malgré les réponses « de principe » données par la halakhah portant sur l’assistance médicale à le procréation, il est à notre avis vivement conseillé de soumettre son cas personnel à un poseq spécialisé dans ce domaine particulier et de ne pas se contenter des réponses d’un rabbin, voire d’un grand rabbin, fussent-ils en charge de fonctions les plus hautes du pays.
Liliane Vana est spécialiste en droit hébraïque, talmudiste et philologue.