Suite à la sortie israélienne, le 31 Décembre 2015, du très beau film La Dune, de Yossi Aviram, nous avons pu discuter avec l’acteur, auteur, réalisateur et homme de théâtre Niels Arestrup. Il y tient le rôle principal, en compagnie d’une belle pléiade d’acteurs français et israéliens.
L’Arche : Comme le personnage de Hanoch dans le film, interpreté par Lior Ashkenazi, vous avez une double culture. Votre père étant Danois, parlez-vous le cette langue ?
Niel Arestrup : C’est une langue qui est parlée uniquement par les Danois, par cinq à six millions de personnes. A l’époque où j’étais enfant, mon père ne voulait sans doute pas m’embêter avec une langue qui était si peu internationale. Ensuite, quand j’ai commencé à le regretter et à avoir envie de connaître cette langue, il était un peu tard. Donc je n’en parle que quelques mots.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de jouer dans ce film, de participer à cette histoire ?
J’avais été très séduit par l’écriture, le scénario, et je trouvais qu’il y avait beaucoup de poésie. Au-delà de la métaphore, éternellement humaine, du fils qui cherche son père, parce que ça n’est pas uniquement une histoire biologique. On est tous à la recherche d’un père, ou de quelqu’un qui puisse vous aider dans l’existence, et quand il est absent, quand on ne le connaît pas, c’est un manque considérable. Je trouvais vraiment que Yossi Aviram avait écrit quelque chose de très juste, de très simple. Un scénario dans lequel, en effet, il y avait beaucoup d’images, qui étaient décrites dans le texte. La difficulté, bien sûr, restera toujours de transposer l’image écrite à la plume, à une image qui devient poétique, face à la caméra. Ce qui n’est pas forcément la même chose, et qui entraîne d’autres contraintes. J’avais été séduit par Yossi, un type extrêmement intelligent, très doux et attentif aux autres. Ça suffisait pour que je puisse me lancer dans cette aventure. Autant je peux faire des films, de temps en temps, qui sont plus « commerciaux », autant j’essaye de garder une certaine curiosité par rapport aux gens qui écrivent des scénarios, qui ont, peut-être, besoin d’un acteur un peu connu, pour arriver à le produire.
Ce double-tableau, avec votre personnage qui vient d’Israël, mais qui réside en France, et Hanoch, qui vit là-bas, avant de partir pour la France… Etait-ce important, comme élément dans le film, ou un peu anodin, juste pour créer une séparation géographique entre les deux personnages ?
Dans mon souvenir, dans les conversations que j’ai pu avoir avec Yossi, c’était un fait. La séparation de mon personnage à sa terre de naissance, à Israël, était très ancienne et il était totalement intégré à la société française. Ayant, aussi, mené toute une carrière de policier, ici, en France. Donc, sans contact particulier à Israël. Je crois qu’il ne faut pas chercher plus loin. Il faudrait demander à Yossi, mais, il me semble, que c’est simplement un étrange étranger.
Suivez-vous le cinéma israélien, les séries israéliennes ?
Dans la mesure où les films nous parviennent ici en France, oui. Je suis ouvert et disponible au cinéma en général.
En voyant la figure de Hanoch, déchu sur la plage, qui vit avec l’absence du père, puis votre personnage, qui a tiré un trait sur son passé, je n’ai pu m’empêcher de songer à la question actuelle des réfugiés, notamment en Syrie… La notion de l’étranger, de cette identité, en mal de reconstruction… Qu’en pensez-vous ?
J’essaie d’avoir une forme de pudeur par rapport à ce sujet, n’estimant pas que, parce que je suis acteur, ou qu’on peut me voir dans un film ou deux, j’aurai une opinion ou un avis plus intéressant. D’autant que je ne connais peut-être pas tous les tenants et les aboutissants de la question. Les réfugiés, c’est un phénomène très fort, très présent en Europe, et qui a des incidences, y compris dans les élections françaises. Je crois saisir, dans une certaine partie de la population, une vraie peur, une vraie appréhension. Est-elle justifiée, certainement pas. Est-ce qu’elle est compréhensible, oui, bien sûr. Parce que la situation économique, politique, de cette Europe qui balbutie, et qui a beaucoup de mal à se trouver, entraîne forcément une fragilité par rapport à ce qu’on considérerait comme l’étranger, par rapport à cette moitié, ou petite, structure Européenne. Donc, qu’il y ait une peur, une panique, je le comprends. Maintenant, moi, je ne la crois pas justifiée. Je suis un mondialiste absolu et je n’ai absolument pas ces réactions épidermiques, même si je peux les concevoir. Quand je dis épidermique, ça veux dire derme, la peau, et ça veut dire des formes de racisme.
Nous parlions tout à l’heure de la difficulté de transposer un scénario, avec ses descriptions, ses mots, en images. Ayant vous-même écrit et réalisé, pourriez-vous développer un peu ?
Il s’agit de traduire des pensées d’écriture, en images, à l’intérieur de notions qui sont très différentes, des notions de rythme, d’efficacité. C’est très difficile. Comme il m’est souvent arrivé de faire cette expérience, enfin d’être dirigé par de jeunes réalisateurs qui n’ont pas beaucoup d’expérience, je leur conseille toujours de ne pas faire cette erreur. C’est à dire, de considérer que l’écriture est une source d’inspiration, mais que ça doit être, d’une certaine manière traduite, par une caméra, par un metteur-en-scène et par un réalisateur. Donc, je crois que c’est, un petit peu, une erreur de confier à celui qui a écrit, la réalisation. Parce que la transposition est difficile et parce que l’art de la réalisation, le travail de la réalisation, est très différent de celui de l’écriture et nécessite une grande expérience.
Dans « Un Prophète », il y a cette scène très forte, dans la cour, où votre personnage se rend compte que le pouvoir a été renversé, et qu’il ne lui appartient plus. Vous sembliez, à la fois dans votre corps et votre regard, tel un animal humilié, blessé. Vous étiez vous inspiré d’un animal ?
Je n’ai pas particulièrement pensé à un animal, j’ai pensé à ce que tout homme peut ressentir dans une situation d’abandon. Parce qu’il avait l’impression, en effet, que son pouvoir s’arrêtait là et que, d’une certaine manière, il était aussi abandonné par le personnage que jouait Tahar Rahim. Et donc, ce constat, ce moment, où l’on réalise ça, où on voit cet abandon arriver devant ses yeux, ça provoque toujours une émotion, qui est peut-être comparable à celle d’un animal abandonné. Un animal abandonné par son maître, parce que ce dernier est mort, et pas d’autre raison. Le chien, par exemple, j’en ai vu totalement détruits par la disparition de leur maître. Donc, c’est une chose que je n’ai pensé dans le conscient, mais qui est sans doute présente dans le souvenir et dans la mémoire.