Anne Sophie Dreyfus et Gilles Rozier: « Notre maison d‘édition sur la vie juive sera tout sauf communautariste »
Ce couple d’intellectuels s’est lancé dans une formidable aventure : créer une nouvelle maison d’édition, drôlement baptisée « Les éditions de l’Antilope » autour de la jewish litterature. Explication de texte.
L’Arche : Pour commencer, décrivez-nous un peu votre parcours, tous les deux ?
Gilles : j’ai dirigé La Maison de la culture yiddish pendant près de 20 ans. A un moment, j’ai pensé que celle ci n’avait plus besoin de moi et j’avais envie d’autre chose. Comme j’ ai traduit plusieurs ouvrages du yiddish au français , édité des livres et que je suis écrivain, ( sept livres publiés et traduit en seize langues dont « Un pays sans amour» , éd Grasset, 2011 le dernier NDLR ) l’idée s’est imposée assez naturellement .
Anne Sophie : j’ai été journaliste pendant sept ans, éditrice chez Dunod, Bordas, puis en indépendante pour de nombreuses maisons d’édition. Quand Gilles m’a proposé de créer notre propre maison, ce n’était pas un coup de tête. Le projet a infusé dans notre couple pendant longtemps et s’est nourri de nos parcours professionnels.
Que recouvre ce terme peu connu en France de jewish literature ?
A S : Vous avez raison, contrairement aux Etats -Unis, à l’Italie ou à l’Allemagne, on connaît mal l’expression en France ou l’on croit, à tort, qu’il s‘agit d’œuvres religieuses. En fait, par ce thème on désigne tout texte qui a un rapport avec le monde juif, vécu et écrit soit de l’intérieur, soit de l’extérieur. Les auteurs, juifs ou non donc, peuvent venir de tous les pays du monde : être français, anglais, israelien, russe, arabe, ou polonais !
Quelle va être votre ligne éditoriale ?
A S : Nous souhaitons un éclectisme de bon aloi : des grands textes yiddish restant à découvrir, des écrivains israéliens contemporains, de la littérature judéo-américaine, de jeunes auteurs polonais, allemands… Le premier roman que nous venons juste de publier est un premier roman d’une Israélienne Rachel Shalita « Comme deux sœurs », qui raconte dans la Palestine mandataire de 1920 l’amitié de deux petites filles, l’une attirée par le socialisme en kibboutz, l’autres par les lumières de la ville .C’est Gilles qui a assuré la traduction.
G : Ensuite, nous publierons le bouleversant journal d’un enfant du ghetto de Wilno, Yitskhok Rudashevski « Entre les murs du ghetto de Wilno 1941-1943 » assassiné en 1943 et arraché à l’oubli par la cousine de l’auteur, seul rescapée de la famille .Ce texte majeur est conservé à l’institut Yivo à New York . Il y aura aussi au printemps un texte de l’humoriste Sholem Aleichem, très drôle : trois nouvelles pour célébrer le centième anniversaire de ce grand écrivain . Un psychanalyste israélien racontera l’influence de l’arrivée de la psychanalyse sur l’homme nouveau voulu par le sionisme Enfin, notre dernier livre pour l’année 2016 vient de Pologne, il a été écrit par un non juif, Igor Ostachowicz qui imagine « La nuit des Juifs –vivants », un roman déjanté sur le thème des morts- vivants .
À qui voulez-vous vous adresser ?
G : À un public aussi large que possible ! Nous voulons éviter à tout prix l’entre soi et l’accusation de communautarisme, pris dans le mauvais sens du mot Beaucoup de gens, juifs ou non, sont intéressés par exemple par les racines du conflit israélo -palestinien : Nous pensons que parler de la Palestine avant la création de l’état d’Israël permet de mieux comprendre la situation actuelle.
Comment travaillez- vous tous les deux ?
A S : dans l’appartement familial ! Nous sommes très complémentaires : Gilles est diplômé de l’Essec, il n’a aucune hésitation pour gérer l’entreprise, et il assure aussi les relations presse, la traduction dans le cas du roman de Shalita. C’est la première fois que nous travaillons ensemble en 23 ans et franchement, on s ‘éclate ! Les éditions de l’Antilope sont notre bébé.
G : Et Anne Sophie édite les textes. Pour « Comme deux sœurs » , nous avons eu de la chance : c’était le premier manuscrit que je lisais en Israël et il m’ a plu, j’ ai donc proposé à l’auteure un contrat avant les Israéliens, donc nous possédons les droits mondiaux pour cette histoire qui devrait remporter du succès .
Pourquoi avoir choisi l’Antilope comme emblème et comme nom ?
A S : C’est un animal vif et gracieux, qui porte le même nom en hébreu, en français, en polonais, en allemand, en anglais, en russe, en yiddish et même en arabe .
G : et c’est un animal qui n’est pas casher pour montrer que nous ne restons pas cantonné au judéo-juif (Rires)
Quelles ont été les réactions jusqu’à maintenant?
G : Beaucoup de gens nous ont félicité de se lancer dans une aventure telle que celle ci, et le sentiment général est plutôt celui de la curiosité, de l’intérêt .Le journal Le Monde vient de publier une critique très élogieuse du premier roman paru, sous la plume de Nicolas Weil, d’autres devraient suivre….
A S : Notre projet n’est ni un combat, ni une réponse aux attentats de 2015 et au climat dans lequel nous vivons, mais plutôt un reflexe d’ouverture, de décrispation sur la culture juive dans son ensemble. Nous allons nous attaquer à pas mal de clichés, sur la Pologne, sur Israël. On ne va pas s’ennuyer !