Retrouver le cinéma des frères Coen, en ces temps d’actualité cinématographique apportant chaque semaine son lot de superproductions vaines, est toujours, ou presque une joie. Que ce soit pour les fans de la première heure amateurs de leur cinéma plus sombre et expérimental (Barton Fink, Fargo, Serious Man, No Country for Old Man) ou pour un plus large public (O’Brother, Burn after reading, True Grit), la sortie de leur nouveaux films est toujours suivi avec attention. « Hail, Caesar ! », bêtement francisé en « Avé César » est plus à ranger dans la catégorie des comédies Coeniennes que celle de leurs polars aux intrigues complexes dont ils sont passés maîtres. Cette facette de leur filmographie est souvent et injustement qualifiée par la critique d’œuvres mineures, ce « Hail, Caesar ! » en fait-il parti ? Hé bien il semble que ce ne soit pas si simple.
Les deux frères nous invitent à suivre une journée dans la vie d’Eddie Mannix (inspiré par le producteur de la MGM du même nom), joué par l’excellent Josh Brolin, à travers les coulisses d’un grand studio hollywoodien, le bien nommé « Capitol », dans les années 50. Son travail de « fixer » consiste à régler tous les problèmes inappropriés des stars à chacun de leurs films afin que ceux-ci ne soient pas connus du grand public. Il doit ainsi gérer aussi bien les susceptibilités des différentes communautés religieuses pour pouvoir valider leur adaptation de la Bible en Technicolor, que celles du très précieux réalisateur vedette Laurence Laurentz (Ralph Fiennes) qui n’apprécie pas vraiment qu’on lui ait attribué un jeune espoir du western (Alden Ehrenreich). En plus de sauver la réputation et la carrière d’une Scarlett « Marilyn » Johansson, reine du ballet nautique, Mannix va se retrouver confronté a un problème d’un autre ordre: l’enlèvement de la plus grosse star du Studio en plein tournage du péplum « Hail, Caesar ! », Baird Whitlok, joué par un Georges Clooney toujours aussi bon en contre-emploi et empêtré dans son costume de ceinturon romain.
Cette « folle journée » offre aux frères Coen l’opportunité de nous présenter une comédie qui se situe entre parodies, pastiches et hommage un bon brin nostalgique à l’âge d’or d’Hollywood. Dans ce fantasme d’usine à rêves parfaitement reconstituée, les techniques de tournage employées sont précisément les mêmes qu’à l’époque, les vedettes ne sont que des seconds rôles et l’humour ne se trouve pas nécessairement là où on l’attend: l’hilarante scène avec la monteuse jouée par Frances McDormand, l’apparition brève et réussie d’un improbable Christophe Lambert. Ironie de l’histoire ce film est produit par Universal, et nous montre comment les Coen sont les rares cinéastes américains, avec Tarantino ou Scorsese, à posséder encore un Final Cut sur leurs réalisations.
Tout s’enchaîne donc, mais sans véritable choix ni logique usant d’une théorie du chaos toujours aussi bien appliquée, mais cette fois-ci avec un rythme moins soutenu que dans leurs précédentes comédies désormais cultes: « The Big Lebowski » ou « Rising Arizona ». Les Coen se sont-ils assagis ? Certains reprocheront au film un manque d’audace et d’inspiration. Sans atteindre les sommets d’humour des comédies de Mel Brooks telles que « Les Producteurs » ou « la Folle histoire du monde » cet aller-retour entre nostalgie et ironie nous offre pourtant une profonde relecture du film dans le film. Les scènes de tournage nous y entraînent comme celle où le jeune premier fait ses entrées maladroites sur le plateau, l’inévitable numéro de claquettes joué par Channing Tatum en parodie de Gene Kelly et d’agent russe infiltré, ou bien encore les balais nautiques chorégraphiés en hommage à Busby Berkerley.
Il y a dans les films des frères Coen, inévitablement, ce sens de l’absurde qui cache au final non pas mille significations possibles mais bien une multitude de chemins pour y parvenir. A l’image d’Eddie Mannix, véritable fil tendu du film, qui emprunte portes, escaliers, rampes et passages pour trouver ou dénicher les problèmes des stars, voir les stars elles-mêmes. Le film prend alors une tout autre dimension, tout comme la musique composée par Carter Burwell qui évoque plus son travail sur « Miller’s Crossing» qu’un « Singing in the rain ». Mannix semble progressivement passer de « fixer » à « privé » et la vérité émerger des océans…
Le cinéma de Joel et Ethan Coen va en ce sens, s’il y en a un, qu’il navigue entre des comédies qui ne nous forcent jamais à rire mais plutôt à penser, et parfois vers des drames tellement tordus et insolites qu’ils viennent soudainement nous rattraper d’un fou rire. Leur patte se trouve dans ce « Hail, Caesar ! », mais cette fois entre deux eaux, comme l’entracte du précédent et prochain film. The Hollywood Reporter a annoncé récemment que les deux frères travaillent à l’adaptation d’un polar de Ross Mac Donald, intitulé « Black Money », mais d’ici là, ils peuvent bien encore et toujours changer d’avis !