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Littérature

Un ouvrage sur l’Exode, par Simon Hazan et Antoine Mercier

Dans « Une Nouvelle Lecture Biblique ; Les Braises Incandescentes » publié aux éditions Lichma, Antoine Mercier et Simon Hazan évoquent l’Exode. Ce deuxième tome de la série tend à familiariser le grand public aux commentaires des sages concernant cette époque de l’histoire biblique. Montrer combien ceux-ci sont modernes et universels. Les auteurs se sont entretenus avec l’Arche magazine pour évoquer la façon dont ils ont sélectionné et compilé les éxégèses et ce afin de servir le plus fidèlement les textes.


L’Arche magazine – Quels sont les thèmes principaux abordés dans ce tome sur l’Exode ? En quoi cette période biblique est-elle spécifique par rapport aux autres ?

Antoine Mercier – Les événements rapportés dans l’Exode sont universellement connus : la naissance de la vocation de Moïse, la sortie des Hébreux d’Égypte et les miracles qui l’ont accompagnée, le don de la Torah au mont Sinaï et la fabrication du veau d’or, la construction du Tabernacle dans le désert. Mais, tout en suivant pas à pas la trame du récit biblique, nous avons cherché dans ce livre à proposer une nouvelle lecture qui puisse intéresser un public plus large qui ne serait pas familier des textes de la tradition. Notre conviction est que l’étude biblique, telle qu’elle est pratiquée dans le judaïsme, doit pouvoir s’adresser au plus grand nombre. Dans ce but, il convient d’actualiser les problématiques pour les rendre compatibles avec les questions éternelles que l’homme s’est toujours posé sur le sens de sa vie et la destination de l’histoire de l’humanité. Ainsi, le livre de l’Exode peut être vu comme un récit mettant en scène la manière dont l’infini et le fini trouvent un moyen de coexister. A priori, aucun contact n’est possible entre ces deux notions. Car, soit l’infini affirme sa présence dans le fini et l’absorbe inéluctablement, soit il se perd lui-même dans la finitude de celui qui le reçoit. Comment, malgré cette opposition radicale concevoir un rapport entre les deux qui soit en même temps une mise à distance ? On peut y voir le thème principal du livre de l’Exode. Prenons trois épisodes qui traitent explicitement de cette question. D’abord celui du buisson ardent. Moïse assiste à un phénomène extraordinaire : un buisson qui brûle mais ne se consume pas. C’est une première image qui donne une idée de la manière de résoudre la contradiction : une flamme peut venir dans une matière et ne pas la détruire. C’est ainsi que Dieu agit vis-à-vis de l’homme, avec force et délicatesse. Le second épisode raconte le célèbre passage du don de la Torah. On y voit les Hébreux incapables de supporter la parole divine et demander à Moïse de leur servir d’intermédiaire dans cet échange qui dépasse et bouleverse les données a priori de la conscience. Dieu parle donc et Moïse rapporte au peuple ses paroles. Voilà une seconde façon d’être en rapport avec une transcendance : par la médiation du prophète. Enfin, le troisième exemple concerne la construction du tabernacle. Il y a plusieurs sections de la fin du livre de l’Exode qui concernent l’édification du « Michkan », la fabrication des ustensiles nécessaires au service divin et la confection des habits sacerdotaux. Elles paraissent souvent techniques. Cependant, elles entrent en cohérence parfaite avec le thème général du livre puisqu’il nous est précisé de quelle manière les hommes peuvent faire une place dans ce monde où puisse résider la présence divine. Nous sommes encore une fois dans la question de savoir comment rendre possible une rencontre entre l’homme et Dieu qui respecte les deux « partenaires » de l’échange.

Simon Hazan – Nous nous sommes fixés comme objectif, de commenter dans l’ordre les cinq livres du pentateuque. Après notre premier livre sur BERECHIT, la Genèse, nous abordons ici le deuxième livre sur CHEMOT, l’Exode. Dans l’Exode, se trame la constitution du peuple hébreu. Comment une famille de soixante-dix personnes devient après quelques générations un peuple spécifique ? Quelles sont toutes les étapes de cette mutation ?
Nous avons passé en revue tous les événements survenus pendant cette période : l’esclavage en Egypte, le passage de la mer Rouge, la Révélation au mont Sinaï, la construction du Tabernacle, le code civil et moral proposés à ces hommes à peine affranchis de leur esclavage, l’épisode du veau d’or qui risquait de tout remettre en cause, sans oublier le rôle éminent de Moïse dans toute cette évolution. Tous ces thèmes ont été commentés à la lumière de l’exégèse midrachique et talmudique traditionnelle.
Notre livre étant censé s’adresser à un large public, nous avons essayé de montrer comment ces « vieux » commentaires pouvaient être compris aujourd’hui, et surtout combien ils étaient actuels. Suivant en cela l’enseignement d’Emmanuel Lévinas, nous avons essayé de souffler sur des vieilles braises couvertes de cendre, pour faire jaillir leur incandescence morale et universelle.

L’Arche magazine – Comment avez-vous procédé pour sélectionner et compiler les commentaires de la michna, de la guemara contenus dans votre livre ? Comment vous êtes-vous réparti le travail?

Antoine Mercier – Nous sommes assez complémentaires. Simon enseigne régulièrement à la synagogue de la rue Michel-Ange. Il a repris la tradition du lieu où Levinas commentait, après l’office de Sabbat, les gloses de Rachi. C’est à partir de son enseignement que j’ai mis en forme ces exégèses en y intégrant parfois d’autres sources quand elles venaient en appui du propos. Les commentaires de la Torah sont effectivement innombrables. Nous n’avons pas voulu en faire une synthèse. Je n’avais pas d’ailleurs la connaissance qui l’aurait permis. Mais nous avons choisi ceux qui venaient illustrer notre propre manière de ressaisir le texte pour aujourd’hui.

Simon Hazan –  Les commentaires des seuls quatre premiers versets du livre de Chémot, s’étalent sur plus de quatre pages du traité talmudique Sota. Ajoutez à cela les éclairages de Yéchayaou Leibovich, de Samson-Raphaël Hirch et d’autres auteurs qui nous ont inspirés, il était donc impossible de passer en revue la totalité des interprétations. Comme tout choix, le nôtre comporte aussi une part de subjectivité. Mais je crois que notre choix reste néanmoins cohérent. Nous n’avons retenu que les idées que nous jugions susceptibles de mettre en lumière le message éthique que nous voulions transmettre, en écartant par exemple toute trace de commentaire cabalistique. Toutes les idées développées étaient choisis d’un commun accord, il revenait à Antoine leurs rédaction.

L’Arche magazine – La traduction et l’explication des textes ne comporte-t-il pas un risque de dénaturer leur signification première ?

Antoine Mercier – S’il existe ce que l’on appelle un pchat des versets, un sens premier ou obvie, je ne crois pas que l’on puisse parler de signification première. Il n’existe pas de sens qui s’imposerait comme supérieur ou antérieur à un autre. Le judaïsme a la vertu de pas essentialiser le réel. L’essentiel réside toujours dans l’interprétation. A ce titre, La guemara utilise la méthode phénoménologique. Elle évoque des cas particulier à partir desquels le lecteur est convié à rechercher les concepts qui la traversent. On part toujours du manifesté et des différents points de vue qui permettent de le représenter pour tenter de conceptualiser la situation. Cela dit, le judaïsme a une autre règle qui vient contrebalancer la première et brider sans doute les velléités d’interprétation erronées. C’est celle qui veut que ceux qui ont parlé en premier sont censés mieux percevoir la vérité des textes que ceux qui viennent après. On ne peut remettre en cause l’opinion d’un maître reconnu par la tradition. Il faut proposer un système interprétatif qui ne l’exclut pas. Le fait que des milliers de grands maîtres nous précèdent est une garantie contre les interprétations fantaisistes. Pour ce qui nous concerne, je crois que nous sommes parvenus à tenir les deux bouts : apporter notre propre regard en nous appuyant sur le savoir accumulé. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons repris dans le titre du livre l’image des braises incandescentes : il faut souffler sur les enseignements des maîtres pour faire monter une flamme nouvelle. Sans les braises, pas de lumière. Mais sans le souffle qui les ranime, pas de renouvellement de l’interprétation. La flamme qui s’élève alors des braises est une coproduction de l’ancien et du nouveau.

Simon Hazan –  Toute traduction est quelque part une trahison, dit-on communément. Je ne pense pas qu’il y ait une signification première, ou du moins une signification prépondérante et exclusive. Selon la tradition juive, chaque parole biblique peut être comprise et interprétée par chacun de nous au moins sur quatre niveaux. Il y donc autant d’interprétations que quatre fois plus d’individus. Le Talmud n’est plein que de divergences de vue et d’interprétations différentes de nos sages. Même lorsque deux interprétations sont diamétralement opposées, et paraissent irréconciliables, le Talmud ne rejette jamais l’une ou l’autre ; tout au contraire il précise dans sa conclusion : « Ellou vé éellou divré Elohim haïm », ce qui peut se traduire par : «  celles-ci et celles-là sont des paroles du Dieu vivant ».