« N’oubliez pas les petits ! »
Tout le monde se rappelle encore la magnifique colère de Jean-Luc Mélenchon, en février dernier, lorsque M. Le Pen avait cité un poème de Brasillach à la fin d’un de ses discours : «Collabo
! Fasciste !! » hurlait-il de sa belle et forte voix de baryton. Jean-Luc Mélenchon nous fit alors nous souvenir de l’appel de Brasillach, lors des déportations des juifs en 1942, « à ne pas oublier les petits ». La phrase exacte de Brasillach, dans Je suis partout, était « Il faut se séparer des juifs en bloc et ne pas garder les petits » Mais qu’importe, car la question, aujourd’hui, est moins dans l’exactitude des propos rapportés que dans le sérieux de cette colère. En effet, par une coïncidence temporelle stupéfiante – et qui n’est sans doute pas une simple coïncidence – Mohamed Merah, en pénétrant dans l’école Ozar-Hatorah, en y assassinant d’abord deux enfants juifs, puis en poursuivant une troisième, en la prenant par les cheveux et en la tuant d’une balle de pistolet en pleine tête, a appliqué à la lettre, le mot d’ordre attribué à Brasillach par Jean-Luc Mélenchon quelques semaines auparavant, et qu’il stigmatisait justement « N’oubliez pas les petits ! »
Était-ce sérieux ? Sans doute pas tout à fait car Jean-Luc Mélenchon n’a eu pour ce crime que les mots, les pauvres mots, qui aujourd’hui traînent dans tous les journaux, dans les innombrables tribunes d’intellectuels : un simple acte de folie, un crime absurde, ne stigmatisons pas… Or, je crois que l’amnésie de Jean-Luc Mélenchon – cette amnésie à l’égard de propos qu’il avait pourtant tenus seulement quelques semaines plus tôt – n’est que le symptôme d’un déni extraordinairement profond qui touche, hélas, une grande partie de la classe intellectuelle. Oui, sans doute, y a-t-il des actes fous. Ces sont les actes illisibles. Illisibles parce qu’on ne veut pas les lire. Je ne sais si Mohamed Merah était ou non un psychopathe. Je sais seulement que, tout comme pour un nazi ou un « collabo » de 1942 abreuvé de propagande antisémite, pour quelqu’un qui regarde aujourd’hui sur internet les prêches quotidiens de certains imams du Moyen-Orient, tuer des enfants juifs n’est en rien un acte de folie puisque les juifs y sont décrits comme des porcs, des singes, des êtres inférieurs, doués d’obscurs desseins contre les musulmans et passant leur temps à tuer, à empoisonner, à corrompre, à torturer, à vouloir l’asservissement de l’humanité entière. La charte du Hamas n’incite-t-elle pas à tuer les juifs et à faire de leur meurtre un acte sacré ? Pour qui baigne dans un tel climat de haine, est-il si anormal de passer à l’acte ? L’idée que l’État israélien est un État criminel est si familière à l’opinion qu’on a pu laisser dire à Leïla Shahid, sans réagir, qu’en tuant des enfants juifs pour venger « les enfants de Gaza », Mohammed Merah n’avait fait que les assassiner une seconde fois, comme si les morts occasionnées par les guerres pouvaient être, un seul instant, comparées aux meurtres délibérés, individuels, intentionnels de Toulouse.
Mohammed Merah a tué cette enfant à cause des mensonges, des innombrables et quotidiens mensonges dont Israël est l’objet.
Pourquoi Mohamed Merah s’est-il rendu à l’école Ozar-Hatorah pour y tuer des enfants ? D’autres disent aujourd’hui que c’est par hasard. Ce serait faute d’avoir trouvé la cible qu’il avait choisie (deux policiers) qu’il se serait rabattu sur une école juive. Peut-être. Mais est-ce par hasard s’il a poursuivi dans la cour de l’école sa dernière victime, cette petite fille qu’il a pourchassée pour la tuer au nom des « enfants de Gaza » ? Les psychologues, comme M.Mélenchon, ont sans doute mille idées là-dessus : « fou furieux », « dégénéré », « criminel absurde ». Moi, je dis une chose très simple : Mohammed Merah a tué cette enfant à cause des mensonges, des innombrables et quotidiens mensonges dont Israël est l’objet, à cause des appels au meurtre visant les juifs… Et tout le reste est littérature.
Que Jean-Luc Mélenchon, et tous ceux qui, nombreux, le suivent et l’écoutent, se souviennent de la colère qui s’est emparée de lui au nom de Brasillach, à cause de cette lecture provocatrice du poème d’un homme qui avait appelé « à ne pas oublier les petits », qu’ils réfléchissent à cette colère, qu’ils en approfondissent l’origine, le sens, la portée, sans doute alors un peu de cette colère trouvera les chemins de la vérité qui ne se dit jamais si bien qu’au présent.
Éric Marty, professeur de littérature contemporaine à l’Université Paris-Diderot.