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Cinéma

Pères et fils

Rencontre avec Yuval Delshad, auteur et réalisateur de Baba Joon, ouvrant le Festival du Cinéma israélien de Paris le 29 mars et nommé aux Oscars.

 

L’Arche : Vous venez du documentaire, pourquoi et comment avez-vous choisi ce sujet, pour votre première fiction ?

Yuval Delshad : Mon dernier documentaire remonte à plus de dix ans et, depuis, la télé-réalité a pris le dessus. Quelque chose a changé avec le documentaire, car les gens commencent à être conscients de la caméra, du montage, du rendu. Cela me semblait de moins en moins réel. Je me suis dit que je devais basculer vers le cinéma car, bien que ce soit du jeu, je peux raconter ma vérité, avec exactitude. Quand j’ai commencé à rechercher mon histoire, je voulais trouver l’histoire à l’intérieur de moi-même, car c’est là que je peux être meilleur. Je serai incapable de diriger quelque chose sans y être connecté émotionnellement. Il y avait beaucoup d’évènements et d’éléments dans mon enfance que je voulais raconter. J’ai donc choisi cette histoire, en réunissant de nombreux souvenirs, pour pouvoir la raconter.

 

Comment les jeunes du monde entier, Israël inclus, peuvent-ils trouver un équilibre entre la richesse de leur héritage, de la tradition, et en même temps pouvoir s’émanciper, sans tout rejeter d’un bloc ?

Ce sera toujours un conflit. Il s’agit de deux forces qui s’opposent, deux directions différentes. Comme dans le film, le grand-père représente la vieille génération. Comme cette génération-là a quitté sa terre d’origine, il leur sera toujours difficile de se sentir reliés à la nouvelle culture. Ils se sentent plus à l’aise avec leur culture de naissance, en l’occurrence iranienne. Même s’ils partent pour les endroits les plus somptueux, comme la communauté iranienne de Los Angeles, à Beverly Hills, ils sont toujours en quête d’identité et ont du mal à se sentir connectés. Tout comme ici, en Israël. Alors, ils essayent de conserver leur culture de base, mais la jeune génération n’en veut pas forcément, car ils vivent ici. Ils n’ont pas de racines ailleurs. L’équilibre se trouvera en eux, dans chaque famille. Et parfois, j’observe des jeunes imiter la culture de leurs parents. En Israël, certains jeunes d’origine iranienne vivent à la mode des anciens. Cela arrive, et ça se passe bien. Mais souvent, il y a des conflits où la relève se rebelle. Cela se produit dans le monde entier, en France aussi, notamment autour de la question des réfugiés. Quand on est un immigrant, il est toujours difficile de se sentir relié au nouveau lieu. Et plus la culture est différente, plus le conflit est grand.

 

Croyez-vous qu’il y ait un risque de perdre la culture, que ce soit par la disparition de la langue, la nourriture, la musique, l’humour… ? Comment ne pas tendre vers une homogénéité totale ?

Dans une scène de mon film, lorsque l’enfant chante en persan à son grand-père, il ne se rebelle pas contre la tradition. Si vous lui demandiez, gardes-tu tes traditions, il vous répondra oui. Mais ce qu’il fera de sa propre vie sera différent. Mon opinion est qu’il est préférable de conserver certaines de ses racines, de ses valeurs, cet héritage, mais pas dans sa totalité. Car quand on change de lieu, de pays, bien souvent tout ne correspond pas à ce nouvel endroit, à une certaine modernité. Il faut donc savoir s’adapter, transformer, sans pour autant tout abandonner. Je suis israélien, mais je conserve certaines choses de la culture iranienne. J’en aime sa musique, sa nourriture, ses valeurs familiales. On ne peut être déconnecté, car c’est dans nos gênes. On peux bouger, mais il faut savoir s’adapter, être flexible. Choisir ce qui est bon pour nous, ce qui nous plaît, si cela correspond au nouvel endroit.

 

Dans votre film, c’est le métier qui cherche à être imposé d’une génération à l’autre.

Oui, juste le métier. Lorsque j’ai débuté mon scénario, il y a huit ans, j’étais célibataire. Après quelques années, je l’ai terminé, mais il ne me semblait pas tout à fait au point. Je sentais que si je devais faire un film sur la relation père-fils, je me devais d’être un père moi-même, pour comprendre le point de vue du père. Puis, je suis devenu père… Et le script a changé ! Il est devenu plus compréhensif à l’égard du père et de sa position.

 

Vous étiez plus négatif auparavant ?

Oui, plus négatif à l’encontre du père, comme un garçon en rébellion. Mais je sentais que ce n’était pas bien d’être uniquement dans cette démarche-là. Je voulais comprendre l’autre, son point de vue, comme c’est nécessaire dans tout conflit. C’est seulement ainsi que nous pouvons résoudre les choses. Comme ici, avec les Palestiniens. Si nous pou- vons juste comprendre leur point de vue, nous serons plus à même de trouver des solutions. Avec mon script, lorsque je suis devenu père, j’ai tout réécrit car j’ai compris le point de vue du père. J’ai compris que lorsque mon fils va grandir, je voudrais qu’il soit au mieux de ce que je crois possible. Mais ce que je lui souhaite, c’est ce que je veux. Et lui, alors ?! Ses souhaits à lui ? Il commence à désirer, à vouloir des choses. Je veux ceci, cela… Même s’il est encore tout petit. Mais je comprends que le père, ainsi que le grand-père, aient leur point de vue. Le grand-père ne parle pas beaucoup mais il voit tout. Il veut s’assurer que la génération suivante reprenne la ferme avant sa mort. Si c’est le cas, il aura réussi à leur construire une bonne vie.

 

Il y a plusieurs scènes marquantes, dont celle où l’oncle, qui est adulte depuis longtemps, se retrouve confronté à son père. On croirait que rien n’a bougé depuis l’enfance.

Oui, j’ai beaucoup travaillé cette scène, afin que le spectateur ressente que ce sont deux enfants, face à un père qui leur dit encore quoi faire. L’oncle, qui est parti en Amérique, paye le prix de sa liberté, de par sa solitude. Cette famille lui manque, il revient la voir, mais se rend vite compte que rien n’a changé.

 

Parlez-moi des deux scènes qui se déroulent à la synagogue.

Il s’agit de la prière du « Birkat Ha Cohanim » (la bénédiction des Cohen). Les pères de l’assemblée doivent recouvrir la tête de leurs enfants avec le talit. Tandis que les Cohen les bénissent, les pères bénissent leurs enfants à leur tour. Je suis fils unique et je me souviens de mon père qui me recouvrait la tête ainsi. Dans la première scène, le grand-père béni le père, qui lui-même bénit son fils. Mais la seconde fois, le fils étant absent, le père n’a plus personne à bénir. Ce moment, sous le talit, est très intime. C’est pourquoi je l’ai choisi pour faire ressurgir le conflit entre les deux frères. Personne ne les entend, seul Dieu est leur témoin. Alors, ils parlent vrai.

 

Il dit ces paroles très fortes : « Je ne veux pas d’enfant car, si j’en avais un, je serais probablement le même père que toi. »

Oui. Il ne veut devenir, ni comme leur père, ni comme son frère.

 

Mais le personnage du père a bon cœur, c’est un homme bon. Il ne fait que reproduire le schéma.

Oui, il est comme tiraillé au milieu, entre les deux. Il veut une bonne vie pour son fils mais, son père, qui vit avec eux, impose sa loi. Même en silence, juste par sa présence. Le pouvoir qui se dégage du grand-père n’a pas besoin de s’exprimer par les mots, car il habite la maison et il sait ce qu’il veut.

 

Le petit garçon est superbe. Ses silences en disent long sur son ressenti.

Oui, vous savez, ce n’est pas un acteur. Il s’appelle Asher Avrahami. Il vient du même village que moi, près d’Ashkelon. Quand je l’ai vu, je me suis dit, c’est lui. Car il était comme moi, à son âge. Je ne lui ai pas appris à jouer, mais à être lui-même. Quand on dit « action », tout le monde se met à jouer, ou à changer d’humeur. Alors je lui ai demandé de me raconter un incident où il avait pleuré pour un copain à lui. En me la racontant, il était animé par les sentiments. Je lui ai dit, tu vois ce qui se passe quand tu me racontes ton histoire, c’est ça que je veux. Reste toi-même et tu seras libre.

 

La dernière scène est très forte quand, à son tour, le père appelle son fils Baba Joon. Que signifie-t-elle ?

Baba veut dire père. C’est aussi une marque de respect. Ainsi, lorsque le père appelle son fils Baba Joon. Il lui offre cette marque de respect et le voit comme un homme à part entière. J’ai beaucoup voyagé avec mon film et ce conflit central père-fils a résonné avec un public du monde entier. C’était incroyable, j’ai reçu des témoignages très touchants après les projections. De jeunes, qui me disaient que leur père les avait encouragés à voir le film, leur assurant qu’ils le comprendraient mieux. Chaque pays avait une lecture sensiblement différente, en fonction de sa culture. En Inde, par exemple, on comparait la vie citadine, incarnée par l’oncle, à celle de la campagne. Le dilemme qui consiste à rester près de la terre, de sa culture, ou d’y renoncer pour une autre vie. C’était très intéressant.

 

Une anecdote ?

Ce tournage célébrait aussi la première fois qu’un film réunissait des acteurs iraniens, juifs et musulmans. Certains sont venus de Londres, d’autres de Los Angeles. Ils sont tous venus en Israël pour jouer dans un film israélien. Cela a créé un buzz et j’ai ainsi découvert de nombreux articles concernant mon film sur des sites internets iraniens. C’était agréable à voir !