Dans son nouvel ouvrage, « Les 22 clés de l’alphabet hébraïque », publié aux éditions DDB, le spécialiste de la calligraphie explore le pouvoir sacré mais aussi la beauté des lettres de l’alphabet. À cette occasion, l’Arche magazine s’est entretenu avec lui.
L’Arche magazine – Qu’est-ce qui vous a mené, dans votre parcours personnel, à vous intéresser à la calligraphie hébraïque ?
Frank Lalou – Aussi loin que je remonte dans ma propre histoire, je me vois toujours armé d’une plume tracer de belles lettres. À l’école primaire dans les années 60, il était obligatoire d’écrire avec des Sergent Major. Pour le gaucher que j’étais, c’était un véritable défi. Cette difficulté d’écrire fut rapidement une source de jubilation. À 10 ans, je découvrais avec émerveillement que les lettres avaient elles-aussi une histoire. L’entrée écriture du grand dictionnaire Larousse en 3 volumes fut un grand choc intellectuel, un tableau quadrillé présentait l’évolution des alphabets depuis les hiéroglyphes, en passant par le phéniciens pour finir avec nos 26 graphes. À 11 ans, quand je commençais à apprendre l’hébreu pour ma Bar Mitsvah, je découvris fasciné un autre système d’écriture. C’est comme si j’avais dans mon imagination enfantine, accès à des codes secrets. Les premières calligraphies que je réalisais, étaient affichées au-dessus de mon piano quand j’avais quatorze ans, il s’agissait de passages de Cantates de Bach en gothique et en allemand.
Quelles sont les lettres de l’alphabet hébreu qui ont la plus forte valeur symbolique selon vous ? Pourquoi ?
La lettre que je préfère est toujours celle que je suis en train d’étudier ou de calligraphier. J’ai toujours du mal à préciser quelle est la lettre la plus forte symboliquement, car toutes méritent une étude approfondie. Lorsque je donne des séminaires sur la Kabbale des Lettres, il peut m’arriver de passer une journée à expliquer toutes les facettes de l’Aleph. La richesse de sa symbolique est extraordinaire, elle passe bien sûr par la culture hébraïque mais aussi par la connaissance des cultures contemporaines et voisines de l’Israël archéologique.
Aleph, c’est le Taureau. Nous savons quelle importance revêt cette figure chez les Égyptiens, le dieu Apis, chez les Mésopotamiens, Alpu et chez les Grecs, le Minotaure. L’Aleph, c’est l’Un, symbole même de la première religion monothéiste. La pensée hébraïque, quand elle nous parle du Un, ne peut jamais éviter d’évoquer le Multiple. Parallèlement à ces significations ALePH est une racine trinitaire liée à l’enseignement comme dans le mot OuLPan. En combinant toutes ces significations le génie hébraïque pousse les interprétations à l’infini.
Le Shin est aussi fascinant. Ses 3 Yod articulent l’aspect ternaire de la Kabbale. En calligraphie, les 3 yods même s’ils tendent à l’identité des formes ne seront jamais les mêmes. Philosophiquement cette triangulation est riche d’interprétations.
Quel lien faîtes-vous entre la calligraphie, l’étude de la kabbale et la méditation que vous pratiquez également ?
Je tiens à préciser que je ne suis pas kabbaliste. J’étudie la kabbale tous les jours, mais c’est en philosophe que j’utilise ses grands concepts. La kabbale a eu la prescience de tant de découvertes qui se réalisent aujourd’hui à l’ère de la psychanalyse, des neurosciences et de la physique quantique. C’est pourquoi, le philosophe, ne peut être que stimulé par cette merveilleuse poésie.
Le rapport que j’ai avec les lettres est complètement différent du penseur qui ne les trace pas. La calligraphie hébraïque me permet de faire un corps à corps avec le corps même des lettres. Chercher à rendre leur splendeur, leur équilibre par la main procure une grande joie. Calligraphier une lettre demande une présence totale pour accueillir sa forme. La calligraphie est une profonde méditation dont on peut vérifier la puissance par ses noirs sur fond blanc. Aucune triche n’est possible. Elle est basée sur la trilogie : un trait, un geste, un souffle. Un maître Zen pourrait comprendre ce que j’avance.
L’Arche magazine – Dans votre livre, « Les 22 clés de l’alphabet hébraïque « , vous expliquez l’impact de la liaison des lettres entre elles. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Les 22 lettres constituent un chemin initiatique. La place de chacune est justifiée symboliquement. Aleph, l’Un engendre le Beth, le Deux, la Maison. La tradition ce signe voit comme un utérus qui accueille l’énergie de l’Aleph. Cette Maison précède le Guimel, le chameau qui est le Voyage, la Séparation (GML), comme si après la maturation au sein du Beth devait s’opérer la libération de cette zone de croissance. Le Guimel nous fait traverser le désert et nous mène à la Porte Daleth qui est la marque même du chemin initiatique, toutes les voies spirituelles divisent leur parcours par des portes. L’alphabet est aussi un système de 22 questions, Hé c’est la question de la prière, Vav, le crochet, celle de l’unification des contraires, Zayin, l’épée, celle de la guerre, ‘Heth, la cloison, celle de nos enfermements. Il est aussi un système de 22 mutations, comment glisse-t-on d’un symbole vers un autre ? Ayin, l’œil représente dans la tradition écrite et le Pé qui le suit, est la bouche, la tradition orale.
Tous les alphabets ont leur codes ou est-ce uniquement valable pour l’alphabet hébraïque ?
Il est intéressant de savoir que l’Alphabet hébreu voyage en clandestin dans l’Alphabet latin.
La suite A.B.C.D.E. est la reprise exacte d’Aleph, Beth, Guimel,Daleth, Hé ; I.J.K.L.M.N. correspondent à Yod, Kaf, Lamed, Mem, Noun ; et enfin les toutes dernières lettres Q.R.S.T. sont Qof, Rech, Shin, Tav. Lorsque on étudie la symbolique du Kaf on étudie le K, ou celle du Mem, le M. L’ordre alphabétique tel que nous le connaissons remonte à la plus haute antiquité, on le retrouve sur la tablette cunéiforme d’Ougarit datant du XVe siècle av. E.C.. Cet ordre est maintenu dans les alphabets hébreux, grecs, latins, étrusque, phénicien. Les arabes l’avaient aussi mais l’ont abandonné pour choisir un système plus pédagogique.
Toutes les civilisations attribuent à leurs signes des origines divines. Ce sont les dieux qui offrent les lettres à leurs peuples, les juifs aussi croient que le dessin des lettres carrées vient d’un don fait par Dieu à Israël. L’archéologie vient contrarier cette poétique. Il n’est pas utile de trancher entre la science et la tradition, toutes deux font appels à des régions différentes de notre âme et toutes deux doivent être acceptées comme complémentaires.
Site internet de Frank Lalou : lalou.net