Le nouvel essai de l’historien et philosophe paru chez Stock propose une radioscopie du mal-être français. L’auteur y explique pourquoi la France est championne du monde du pessimisme et démontre que le déclassement du Pays des Lumières dans le monde en est la première des causes.
Dans ce nouvel essai intitulé Comprendre le malheur français et publié chez Stock, Marcel Gauchet propose d’une pierre deux coups, une fresque historique et un examen de conscience collectif. L’historien veut percer les raisons de notre désespoir et la succession de fractures historiques qui les ont fait naître. Pour ce faire, il commence par introduire sa propre grille de lecture : le mal français trouve sa source dans le déclassement de la France. Ce mouvement dépressif « part de l’extérieur et va vers l’intérieur » et explique ce sentiment de déclin qui nous assaille aujourd’hui. « Le malheur est celui de la France, pas celui des Français », résume-t-il sur France Inter.
En clair, la dépression française s’est développée à mesure que la France a perdu son leadership dans le monde, que les Français ont perdu la maîtrise de leur destin, à mesure que l’Etat et la politique se sont vidés de leur substance. L’auteur identifie plusieurs phases à ce mouvement dans l’histoire. La mort de Louis XIV constitue un premier point de rupture. Puis la Révolution française, l’expérience d’anéantissement durant les guerres mondiales, la montée de l’individualisme, le divorce entre le peuple et les élites, puis la crainte de dissolution dans la globalisation…
Ce n’est pas un hasard d’ailleurs, si la France a intégré de manière spécifique la globalisation : la prétention universaliste du Pays de Lumières ne s’est jamais cachée. La France a toujours voulu influencer la marche du monde et vit douloureusement le fait d’être propulsée hors de l’Histoire. Elle « se croyait universelle et se découvre petite province où elle ne pèse pas grand-chose et ne signifie plus beaucoup » assène-t-il dans l’ouvrage.
Les responsables de cette interminable chute sont donc identifiables. Le déclassement de la France n’est pas l’œuvre du monde, mais bien la conséquence de choix politiques qui ont privilégié l’idée d’une société qui marche toute seule, au profit du néo-libéralisme que promeut la loi du marché et l’Europe. « Depuis le tournant impulsé par François Mitterrand, la défense des intérêts français a été systématiquement minorée par des gens dont le souci était d’apparaître comme les meilleurs serviteurs de l’idée européenne », explique l’auteur dans Le Point. « Résultat : nous ne pesons plus grand-chose en Europe. De l’universalité française, parfois pénible d’arrogance, nous sommes passés à l’universel contre la France. »
Pour sortir de cette longue crise, l’historien propose une solution pour le moins révolutionnaire : « une nuit du 4 aout de la nomenklatura ». En référence à ce fameux épisode, en 1789, où l’Assemblée constituante a mis fin au système féodal, où a été décidée l’abolition de tous les droits et privilèges de classes. L’auteur du Désenchantement du Monde appelle à une reformation des élites, pour une classe plus en rapport avec « le sort commun ». Il promeut l’idée d’initier les réformes « par le haut ». Preuve s’il en fallait, que Marcel Gauchet a le cœur à gauche. Lui qui figure dans la liste délirante des «nouveaux réactionnaires» de Daniel Lindenberg.
