Suite à la disparition de Ronit Elkabetz, qui s’entretenait régulièrement avec l’Arche, nous publions ici une de ses interviews où elle évoque son lien à Paris. La grande star du cinéma israélien était à Paris, pour accompagner Yehiel Elkabetz, un des grands pontes de la recherche scientifique. Rencontre entre frère et sœur, à l’occasion du hors-série de l’Arche « Femmes : ni muettes, ni soumises » sorti en mai 2013.
L’Arche : Yehiel Elkabetz, vous êtes présent à Paris, à l’invitation des Amis de l’Université de Tel Aviv que préside François Heilbronn. Vous êtes chercheur dans le domaine du cerveau. Comment vous êtes vous spécialisé dans ce domaine-là ?
Yehiel Elkabetz : Après avoir fait mon doctorat à l’Université de Tel Aviv, je suis devenu chercheur sur les cellules. Tout le travail de ce doctorat consistait à examiner ce qui se trouvait à l’intérieur des cellules. À la fin de mes études, je souhaitais tourner mon attention vers ce qui unit ces cellules et comment elles fonctionnent ensemble plutôt que ce qui se passe à l’intérieur de chacune d’elle.
L’Arche : Avez-vous également été formé à l’étranger ?
Yehiel Elkabetz : Mes trois premiers cycles se sont déroulés à l’Université de Tel Aviv. Je suis donc un pur produit de l’université ! Généralement, lorsqu’on souhaite obtenir son propre laboratoire en Israël, il est très recommandé de jouir d’une expérience à l’étranger. D’accompagner une grande référence dans ces recherches, qui disposerait de moyens les lui permettant. Cela, afin également de développer vos propres recherches. J’ai donc poursuivi mes recherches à l’Institut Sloane de New York.
L’Arche : Comment définiriez-vous ce qui constitue l’aspect innovant de vos recherches ? Quels sont vos buts dans ce domaine ?
Yehiel Elkabetz : Avant tout, celui de trouver des cellules souches pouvant évoluer en d’autres cellules. Le souci majeur est que les cellules peuvent se développer de multiples façons. Mon travail consiste à les orienter dans certains développements précis.
L’Arche : Ronit Elkabetz, vous accompagnez votre frère à Paris. Vous êtes la grande actrice que l’on connaît. Vous êtes une famille d’artistes au sein de laquelle on trouve donc un chercheur.
Ronit Elkabetz : Nous sommes tous des chercheurs. Nous cherchons continuellement. Notre famille met en relief l’étude et la recherche, inculquant ces valeurs. L’étude est une perpétuelle quête à laquelle nous nous adonnons. Cet événement nous a permis de nous retrouver, car mon frère et moi sommes tellement impliqués dans notre travail respectif, que les occasions sont rares. La somme de travail investie par Yehiel ne lui permet aucun repos, qu’il s’agisse du shabbat, du dimanche ou des fêtes. Cela fait des années que ça dure, d’où l’appréciation d’un tel moment de retrouvailles.
L’Arche : Yehiel nous a expliqué comment il est devenu chercheur. Pouvez-vous à votre tour nous expliquer comment vous êtes devenue actrice ? Comme est-ce né ?
Ronit Elkabetz : Ce n’est pas le rêve d’une petite fille. La vie m’ayant attrapé avec tant de force dans cet univers, que je pense qu’il n’y a pas de hasard, qu’en ce qui me concerne c’était écrit. Un jour on m’a appelé et on m’a proposé de participer à un casting. Je pensais qu’il s’agissait d’une publicité, or cela s’est révélé être un film. Un vrai rôle. Un grand rôle. Un premier rôle. Tzaleketh (1995) qui parle de la grande Lilith, une femme qui a eu beaucoup de pouvoir et qui a été marginalisée dans nos textes religieux. Incarner cette femme, qui témoigne de beaucoup de force intérieure et d’un magnétisme qui sortait de ses yeux, fut pour moi une expérience. Je ne mesurais pas l’étendue de ce personnage et la magie de ma rencontre avec lui. En me rendant à ce casting, pensant qu’il s’agissait d’une simple publicité, et certainement pas un premier rôle dans un film, j’étais très émue et confuse. Le lendemain, on m’a appelé pour me dire que j’avais obtenu ce rôle. Ma vie a basculé ce jour-là. Jamais je ne l’oublierai. La vie m’a appelé pour le faire. Je ne m’attendais pas à le faire. C’était le plus grand cadeau de ma vie… Jusqu’il y a un an, lorsque j’ai accouché de jumeaux à qui j’ai donné la vie.
L’Arche : Et puis, il y a eu Paris, une ville qui a beaucoup compté dans votre carrière. Vous avez monté ici un spectacle sur Martha Graham. Ce fut une étape importante. Paris joue-t-elle encore un rôle important dans votre carrière ?
Ronit Elkabetz : Immense. Je suis amoureuse de Paris. Depuis toujours, je rêve de cette ville, de la langue qu’on y parle. En arrivant en France, je ne parlais pas un mot de français et pourtant je rêvais de jouer dans cette langue. J’ai commencé en travaillant sur le one-woman show consacré à Martha Graham à l’Espace Rachi, qui m’a beaucoup aidé en me permettant d’avoir accès à une salle pour répéter. J’ai commencé avec ce rêve, en allant à Avignon, en apprenant mon texte par cœur et en récitant le tout, seule sur scène. Toutes les portes se sont ensuite ouvertes pour moi. Depuis, je rêve et je réalise et je suis là. Je partage ma vie entre Paris et Tel Aviv et je compte rester ici et y travailler. J’ai pris un arrêt de deux ans pour tomber enceinte, accoucher et être très proche de mes jumeaux. Mais je m’apprête à reprendre rapidement les tournages, aussi bien en France qu’en Israël. Notre prochain film, coécrit avec mon frère Shlomi s’appelle Répudiation. Il s’agit du troisième volet suivant Prendre femme et Sept jours. On commence le tournage cet été.
L’Arche : Vous avez parlé aussi de votre enfance. Quels sont les films qui vous ont beaucoup marqué à cette période et qui vous ont donné envie de faire ce métier ?
Ronit Elkabetz : Le premier qui m’a fait un choc, l’émotion montant en moi, à une époque où j’accomplissais mon service militaire, ce fut Portier de nuit (1974) de Liliana Cavani. On disposait d’un écran où était projeté un film une fois par semaine. Je me suis retrouvée seule dans la salle ce soir-là. Ce film m’a fortement perturbée. J’ai perdu le fil conducteur entre la réalité et ce qui relève de la fiction. Pour la première fois, je me suis projetée derrière l’écran. Il m’est arrivé quelque chose de tellement fort, qu’il m’a fallu quelques années pour réaliser que ma vie se trouvait dans cet univers. Il ne s’agissait pas d’un rêve d’une jeune femme de dix-huit ans souhaitant devenir actrice. Bien plus tard, lorsque la vie m’a appelé pour faire ce métier, je me suis dit : « Oh, ce film ! » Il m’a perturbé pour des raisons profondes et intenses, bien au-delà de l’imaginable.
L’Arche : Yehiel, puisque Ronit a parlé de vous, nous souhaitons vous poser une question à son sujet. Elle a dit qu’elle était dans le rêve et que vous étiez dans la réalité. Est-ce vrai ?
Yehiel Elkabetz : Lorsque j’étudiais en deuxième et troisième cycle, j’ai eu des expériences en tant qu’acteur et danseur. Je faisais beaucoup de choses du genre à l’époque. Mais à un certain moment, vous réalisez qu’il faut choisir une voie. Lorsque je dansais pour une compagnie, j’ai participé à un casting puis je suis retourné à mon travail de doctorat et j’ai dit à ma professeure qu’ils souhaitaient me prendre suite au casting. Elle m’a averti que si j’étais capable de faire les deux à fond, c’était conciliable. J’étais très productif à l’époque, publiant de nombreux articles, ce qui a rassuré ma professeure. On s’est ensuite retrouvés en tournée en Europe. J’ai appelé ma sœur, qui vivait à Paris à l’époque. Je lui ai demandé : « Que fais-tu dimanche soir ? Personnellement, je participe à un spectacle au Théâtre de la Ville ? » Ronit était sous le choc. Son frère, sur la scène du Théâtre de la Ville, pendant trois jours avec mille personnes en salle ! Il m’est donc difficile de savoir ce qui fait partie des rêves et de la réalité. Nous avons tous des rêves, mais à un certain moment dans la vie, il faut se demander quel rêve est le plus important pour vous ? Mon rêve était de faire de la recherche scientifique.