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Littérature

Ni idolâtrie, ni exécration

Une histoire de l’argent, selon Pascal Bruckner

Dans « La sagesse de l’argent », son nouvel essai paru chez Grasset, le philosophe défend les vertus émancipatrices de l’argent, véritable instrument de progrès humain et s’attaque à la diabolisation du matérialisme.

Pascal Bruckner est un brin provocateur. A l’heure où Nuit Debout fustige le règne de l’argent, le philosophe publie un essai pour défendre ses vertus. « La sagesse de l’argent » prend de front cette morale silencieuse qui veut que l’argent soit toujours sale, fustige la diabolisation de ce qu’il juge être un instrument d’émancipation et de progrès humain, capable d’arracher tout homme à sa condition naturelle. Pour lui, l’argent introduit une déchirure et brise la perspective d’un monde figé.

Bruckner explore les origines de notre rapport à l’argent pour comprendre cette tradition française – opposée par exemple, à celle des Etats-Unis – qui vomit le matérialisme par principe. Pour cela, il sonde l’héritage religieux français et plus particulièrement catholique, qu’il estime à la source de ce rapport conflictuel : « un catholicisme fantôme continue à imprégner notre rapport à l’argent. Ils le vénèrent comme les autres peuples, mais sur le mode du déni» explique-t-il sur France Inter. Au fond, depuis l’épisode du veau d’or qui considère la richesse comme le visage de l’idolâtrie et le principal concurrent de Dieu sur terre, un fantasme répulsif perdure et ce, outre notre régime sécularisé. L’auteur, reste fidèle à la philosophie anticléricale qui est la sienne, en distillant quelques formules lapidaires comme « La religion est un commerce et Dieu le trésorier général des âmes » ou encore « tout le langage du croyant est un langage d’attente et de retour sur investissement », dénonçant même « un système de pénitence tarifée ». Bernanos, Péguy, Bloy, aucun de ces auteurs catholiques qui ont criminalisé l’argent ne sont épargnés.

L’auteur du Sanglot de l’homme blanc rappelle aussi que sur ce point, le christianisme s’oppose au judaïsme et plus tard à l’Islam, qui perçoivent la richesse comme un don de Dieu dont on peut jouir sans honte, à condition de l’avoir acquis honnêtement et de pratiquer l’aumône. Le roi Salomon avait lui-même insisté sur la nécessité de s’enrichir pour enrichir les autres. L’histoire a voulu qu’en Europe, les juifs interdits d’exercer la plupart des métiers, se sont tournés vers l’usure et que le mot « Juif » soit devenu le synonyme « d’usurier ». Quant à l’Islam, le prophète Mahomet lui-même n’était-il pas marchand ?

L’argent a donc une histoire qui se reflète dans notre rapport à lui. Cette sagesse de l’argent qu’évoque le titre de l’ouvrage, est la faculté de s’interroger sur la richesse tout en plaidant non pour la dictature du quantitatif, mais pour sa désacralisation, c’est-à-dire ni pour l’idolâtrie ni pour l’exécration.  Il défend un rapport apaisé à ce qui relève de l’intime.