La prétention des hommes, cachés derrière des armures, des uniformes, valeurs sures et convictions inamovibles. Secoués un jour par l’apparition d’une muse aux pieds nus, montrant que leurs pieds à eux sont faits d’argile. Qu’ils ont beau parader derrière leurs titres et certitudes, mais que quelques secondes cernées entre deux regards, entre deux imaginations, les rendent tout à coup humains. Ou au contraire font ressortir le pire chez ceux qui, après avoir été enfermés par leur arrogance, veulent enfermer autrui tel un meuble mal acquis. Oui, cela pourrait faire penser à un livre d’un certain Victor Hugo adapté en comédie musicale.
Cela ne peut donc pas être un paragraphe de présentation approprié pour une artiste qui se réinvente avec chaque album, qui ne se laissera jamais enfermer par les prétentions d’autrui, préférant partager ses introspections de scène en scène. Pour les journalistes et autres éditorialistes qui ont essayé de l’enfermer dans un style, dans une ville, ils vont avoir encore plus de mal avec son nouvel album « 7 », où une voix plus grave les secoue. Est-elle donc plutôt Joan Baez ou muent-elle en Janis Joplin ? Ou est-elle plus simplement Shirel avec ce pluriel qui pourrait la confondre avec un groupe nommé les Shirelles ? Mais il vaut mieux vous laisser étourdir par ses mots et sa voix que par des bribes d’aperçu pianotées sur un clavier. Avant de la retrouver sur scène en compagnie de sa mère et chanteuse Jeane Manson les 7 et 8 juin à l’Espace Rachi, rencontre donc avec une voix qui tutoie les anges, pas toujours dans le sens de la plume.
L’Arche : D’où vient l’idée de ce concert ?
Shirel : Il y a plusieurs années, j’ai lu l’autobiographie de ma mère, intitulée Une Américaine à Paris. J’avoue que tout le monde n’a pas la chance de lire une biographie de sa propre mère. En tant que parent, on élève nos enfants, mais on oublie parfois de raconter qui on est. On est trop occupé à faire d’autres choses et à assurer le quotidien. On ne se dévoile pas beaucoup.
Et la lecture de ce livre l’a permis ?
J’ai appris tellement de choses sur ma mère dans ce livre, que cela a changé ma vision et ma relation la concernant. Cette évolution, ainsi que celle de mon âge, provoquent un rapprochement personnel et musical entre ma mère et moi. J’ai beaucoup plus partagé avec elle mes goûts et passions, alors qu’avant j’érigeais une grande barrière entre sa musique et la mienne. Chaque enfant a besoin de couper le cordon et d’exister par lui-même. Pendant des années, cela m’agaçait d’entendre toujours « Vous êtes la fille de Jeane Manson… » En fin de compte, j’ai grandi et je suis devenue très fière de revendiquer ce lien. Une fierté toute basique et toute simple.
Chacune traçant sa route musicale, confirmant de concerts en albums son lien avec le public, cela a peut-être encouragé les retrouvailles sur scène ?
Lors de l’une de mes premières émissions de télévision, le directeur d’Universal, Pascal Nègre, déclara « encore faut-il qu’elle se fasse un prénom ». Lorsqu’on est artiste, on ne peut pas s’empêcher de s’exprimer, à travers la musique en ce qui me concerne. Aujourd’hui, je trace ma route depuis un certain moment. Cela m’a permis d’échanger avec le public et de bâtir une confiance en moi. C’est ainsi que naquit cette idée folle de monter une série de concerts avec ma mère. D’abord en Israël, avec une affiche qui nous représentait avec une photo d’un visage composé à moitié par le sien et à moitié par le mien au même âge. On est monté sur scène et ce fut une expérience incroyable. J’ai fait les chœurs pour elle, que je murmurais avant pour rigoler avec ma sœur. Suite à cela, on a enregistré le single « Une Femme ». C’était un moment familial, professionnel… tout ça en même temps. Ma mère, qui fête ses 40 ans de chansons, organise l’événement à Rachi. Elle m’invite, ainsi que d’autres artistes. Je suis très contente de remonter sur scène avec elle.
Deux artistes, une mère et sa fille, mais aussi une rencontre entre de nombreuses cultures.
Lorsque ma mère chante « Ave Maria » en Israël, cela me met en pleurs. J’en suis si fière. Et cela ne m’empêche pas de chanter avec autant d’intensité « Icha Yehoudiya » sur la même scène. Ma mère est très proche d’Israël aussi. Ce coup de foudre pour ce pays la motiva un soir de concert au Liban à en parler sur scène et encourager ainsi les rapprochements.
On retrouve cela beaucoup en Amérique surtout, l’art de conjuguer les origines et influences. L’héritage notamment de la Beat Generation et de ce que vivent les différentes spiritualités et philosophies dans ce pays.
Quand on fait la paix avec soi, avec autrui, qu’on l’accepte pour ce qu’il est, des choses bouleversantes peuvent se réaliser. Cela peut sembler niais, mais l’Amour peut provoquer les choses les plus magiques.
Pas du tout, c’est même cela qui provoque les plus beaux textes et les plus belles chansons. Votre dernier album présente d’ailleurs une Shirel mêlant voix douce et grave.
C’est lié à la vie aussi. Une Shirel plus tough, plus Shirel !
Jeane Manson, Shirel and Friends. 7 et 8 juin à l’Espace Rachi. Réservations : 01 42 17 10 36