Emmanuel Navon, qui dirige le département de science politique au collège universitaire de Jérusalem, analyse la diplomatie franco-israélienne. Dans un entretien accordé à l’Arche magazine, il décrypte la résolution de l’Unesco, la conférence pour la paix et le ressenti du voyage de Manuel Valls en Israël.
L’Arche magazine – Suite à la décision de l’UNESCO de nier le lien entre les Juifs et le Mont du Temple, les relations se sont tendues entre la France et Israël. Pensez-vous que cette fracture sera durable ?
Emmanuel Navon – La politisation de l’ONU et de ses différentes agences (comme l’UNESCO), et leur manipulation politique par les pays arabes dans le cadre de leur lutte diplomatique contre Israël, ne sont pas un phénomène nouveau. Depuis la fin des années 1960, les pays arabes disposent à l’Assemblée générale et dans les agences de l’ONU d’une « majorité automatique » grâce au bloc des pays musulmans et de nombreux pays du Tiers-Monde (tels que le Venezuela par exemple). Après la Guerre de Kippour en 1973, les pays arabes firent un usage systématique de cette majorité automatique pour isoler et harceler Israël à l’ONU. C’est ainsi qu’ils firent passer, par exemple, la résolution de 1975 définissant le sionisme comme une forme de racisme. D’aucuns pensaient que cette récupération de l’ONU et de ses agences allait se calmer ou même prendre fin avec les Accords d’Oslo au début des années 1990. Or cette stratégie n’a fait que reprendre de plus belle avec le déclenchement de la seconde intifada en septembre 2000. Elle n’a jamais cessé depuis. Que certaines démocraties occidentales se prêtent parfois à ce jeu ne leur fait pas honneur. Mais lorsqu’un pays comme la France vote en faveur d’une telle résolution, elle porte atteinte à son image d’intermédiaire neutre et fiable dans le conflit israélo-palestinien, et donc à ses chances de convaincre les parties de participer à la conférence de paix sur le Proche-Orient. Le gouvernement français a certes exprimé ses regrets sur le vote en question, mais on a du mal à croire que le représentant de la France à l’UNESCO ait voté sans s’être avisé auparavant auprès de l’Élysée et du Quai d’Orsay.
L’Arche magazine – Comment la visite du premier ministre français Manuel Valls a–t-elle été perçue en Israël ?
Emmanuel Navon – Manuel Valls a eu la malchance, d’un point de vue médiatique, de se trouver en Israël le jour de l’ouverture de la session d’été de le Knesset et alors que les médias israéliens étaient focalisés sur les négociations entre Benjamin Netanyahou et Avigdor Lieberman sur l’élargissement de la coalition. Autrement dit, la visite de Manuel Valls n’a pas vraiment été « ressentie » car les médias israéliens s’en sont peu fait l’écho. Ceci dit, il a été très bien reçu partout où il est passé en Israël.
L’Arche magazine – Netanyahu a rejeté l’initiative française de relancer processus de paix dans le conflit israélo-palestinien. Quelles sont les raisons de ce blocage selon vous?
Emmanuel Navon – Historiquement, les gouvernements israéliens ont toujours été sceptiques à l’égard des conférences internationales et y ont préféré le modèle des négociations directes. La raison principale est qu’ils craignent une « solution imposée » par le Conseil de Sécurité. Par ailleurs, l’initiative française fut, à l’origine, proposée par Laurent Fabius qui avait déclaré que la France reconnaitrait l’État palestinien en cas d’échec de la conférence sur le Proche-Orient –ce qui consistait à encourager les Palestiniens à ne pas négocier ou à ne pas se montrer flexibles dans les négociations. Jean-Marc Ayrault a certes rectifié le tir en retirant cette « menace ». Mais le scepticisme perdure, surtout après le vote de la France à l’UNESCO. Ceci étant dit, Israël n’a à mon sens rien à perdre en participant à une telle conférence. La géopolitique du Proche-Orient a changé ces cinq dernières années et de nouvelles opportunités se sont créées entre Israël et certains pays sunnites. Il est naïf de songer qu’une conférence résoudra ce conflit centenaire et compliqué. Mais elle peut contribuer à modifier le statu quo de façon graduelle en réduisant les tensions et en créant des intérêts économiques communs.