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France

L’enfer terroriste sur la Promenade des Anglais le soir du 14 juillet

Ce jeudi 14 juillet, un poids lourd a fauché des centaines de gens sur la chaussée de la Promenade des Anglais avant d’être immobilisé par les forces de police. La motivation terroriste est avérée pour la Préfecture de Nice et depuis par le Chef de l’Etat, François Hollande. La riviera niçoise est désormais en deuil au moment même où elle s’apprêtait à inaugurer sa pleine saison estivale.

 

Les Faits

Il est 22.30 sur la Promenade des Anglais. Les dernières prouesses pyrotechniques ont conclu cette première partie de la soirée du 14 juillet. L’heure est à la fête populaire.

C ‘est à ce moment précis qu’un camion blanc venu de l’ouest niçois franchit les barrières indiquant le délestage obligatoire à hauteur de l’avenue Gambetta pour cause de feu d’artifice et afin de laisser la chaussée libre pour la population. Un seul homme est au volant du camion et ne répond pas aux injonctions des quelques policiers en faction.

A partir de là commence une équipée sauvage et meurtrière qui va s’étendre sur 2 kilomètres. Un remake tragique des voitures-béliers que connaissent bien les Israéliens depuis plusieurs mois. Mais cette fois, le bilan est à la taille du véhicule : 84 morts, 52 en état d’urgence vitale et plus de 202 blessés. Des chiffres qui pourraient se nuancer au fil des heures terribles que vivent leurs proches.

Le conducteur de l’engin criminel a été « neutralisé » par les tirs de la police appelée en renfort dès les premières minutes de la course-poursuite. Selon des sources policières, l’homme qui aura fauché tant de vies innocentes a été abattu au terme d’échanges de tirs entre le terroriste et des policiers municipaux.

Des documents retrouvés à bord du véhicule donnent l’identité de Mohamed L.B, un franco-tunisien âgé de 31 ans et domicilié dans les quartiers est de Nice. Il n’était pas « fiché S » par les services français du renseignement et ne semblait connus des services de police que pour des faits de délinquance. Pas de revendications encore des mouvements terroristes, mais c’est pourtant la Section Anti-Terroriste du Parquet de Paris qui a été saisi du dossier.

L’enquête commence. Le procureur de Paris, François Molins s’exprime et le Plan Blanc initié en 2004 qui mobilise l’ensemble des dispositifs hospitaliers et services d’urgence et de santé publique a été activé dans la capitale azuréenne.

Sur l’enquête

En l’absence de revendications, il peut paraître difficile d’engager une enquête sur une piste ou une autre. Selon le journaliste Wassim Nasr, spécialiste des mouvements djihadistes, l’Etat Islamiste n’a pas encore revendiqué l’attentat de Nice. Le président l’a dit dès son arrivée à Nice le vendredi après midi, « c’est bien pour toucher la France que cet individu a commis cet acte terroriste ».

Il faut dire qu’après son retour express d’Avignon, François Hollande a du se voir rappeler par ses experts du Conseil restreint de défense et de sécurité  la menace publiée dès septembre 2014 par Mohamed Al-Adnani, porte-parole de Daech « si vous ne pouvez pas faire sauter une bombe ou tirer une balle, débrouillez vous pour vous retrouver seul avec un infidèle français ou américain et fracassez lui le crâne avec une pierre, tuez le à-coup-de-couteau, renversez le avec votre voiture, jetez le d’une falaise, étranglez le, empoisonnez le ».

Car le mode opératoire niçois nous éloigne des propos du « solitaire » ou du « désespéré social » en mal de reconnaissance. Patrick Amoyel, psychanalyste niçois et fondateur de l’association « Entre autres », qui intervient depuis 10 ans dans les quartiers sensibles le confirme : « les causes sociales, c’est à dire le chômage, la relégation, la xénophobie, la petite délinquance, n’expliquent pas tout. Ce n’est qu’une partie de la poudre dans le baril. Ceux qui partent présentent aussi des failles psychologiques. Et le discours islamiste radical auquel ils sont exposés fait le reste. »

Au vu des « experts de la sécurité du territoire » arrivés à Nice depuis jeudi soir, nul doute que l’enquête devrait progresser rapidement.

Sauf qu’à ne s’intéresser qu’à la maladie, le virus terroriste a de beaux jours devant lui. Comme le dit Frédéric Gallois, ancien patron du GIGN « la menace terroriste est protéiforme, décentralisée et peut s’adapter à tout moment. C’est une banalisation de la capacité à frapper dont il est question. On a affaire à des « proto-terroristes », des individus affiliés idéologiquement, mais qui ne participent pas, au quotidien, à une organisation structurée.

Il reste bien sûr l’enquête classique. Depuis la prolongation de l’état d’urgence de 3 mois annoncé à vif le 15 juillet par le président Hollande, les perquisitions, interrogatoires, arrestations éventuelles de suspects sont rendues plus faciles. On va éplucher les indices sur le terrain  du crime, chercher les motivations possibles, la date d’une éventuelle radicalisation de Mohamed L.B. et voir s’il a pu bénéficier de complicités. Ce matin, on apprenait la garde à vue de l’ex femme du tueur. Mais une question demeure lancinante : « bis repetita » ou comment reproduire les mêmes échecs liés aux mêmes faits terroristes, des méthodes d’investigations identiques aux précédentes ou se rassurer au moyen de déclarations à la tonalité guerrière ?

Nice, un territoire djihadiste

Depuis l’affaire du réseau terroriste Cannes-Torcy démantelé par les services antiterroristes en 2012, il n’y a plus de doute à propos de cellules actives sur la Côte d’Azur. Composée de plusieurs personnes établies sur le littoral et en région parisienne, ils sont suspectés d’avoir commis un attentat à la grenade contre une épicerie cachère de Sarcelles. Mais si certains sont arrêtés, deux d’entre eux parviennent à s’échapper et sont considérés comme « très dangereux » par la DGSE. On retrouvera l’un d’eux en février 2014 à son retour de Syrie, où il est soupçonné d’avoir mené le djihad au sein d’une structure liée à Al Qaïda. A l’époque, le recteur de la Mosquée de Cannes parlait de « marginaux »…

Alors que dire d’Omar Omsen – ou Omar Diaby de son vrai nom – qui avait rejoint la Syrie en 2013 pour mener son propre bataillon de volontaires ou « Katiba », affilié au Front Al-Nosra, la branche d’Al-Qaïda dans le pays ? Considéré comme la principale figure de la « djihadosphère » sur le web, il a pu recruter un quart des djihadistes français selon le journaliste David Thomson, 80 selon Omar Omsen lui-même. Mais quelle que soit l’estimation, si Nice est la première ville de France en nombre de djihadistes partis en Syrie, il en est la 1ère cause.

Qu’il soit vivant ou mort, nul doute qu’Omar Omsen ait fait naitre des émules.  En avril 2016, des centaines de personnes se sont livrées à un exercice antiterroriste en plein centre de la ville de Cannes, à un mois du Festival du 7e Art sur la Croisette.  Ce jour-là, l’objectif était de protéger les 200 000 festivaliers attendus. On avait pensé à une simulation d’attaques simultanées au Palais des Festivals et dans un centre de formation d’apprentis dans l’ouest de Cannes. Ce 21 avril, on avait pensé à des tirs de rafales automatiques. Mais quid d’un camion de 15 tonnes ?

Un traumatisme durable

Ce vendredi matin, les niçois étaient pour la plupart d’entre eux encore « groggy » du jeudi noir de la veille. Au CUM, un bâtiment situé sur la Promenade des Anglais et habituellement consacré à la transmission du savoir universitaire, le lieu avait changé de destination et servait de lieu d’accueil improvisé pour les niçois ou étrangers à la ville. On y cherchait ses proches disparus ou de l’aide psychologique ou simplement logistique. L’endroit est symbolique. Paul Valéry, son premier administrateur, écrivait en 1933 : » le Centre Universitaire Méditerranéen est une institution sans modèle, sans exemple et il peut, par conséquent, se créer à lui même sa valeur propre ». Ce vendredi 15 juillet, sa vocation est devenue universelle. Le mercredi 2 mars, j’y organisais avec Patricia Trojman, tous deux cofondateurs de l’UHLCA (Université Hébraïque Libre de la Côte d’Azur), une rencontre avec Stéphane Encel, historien des religions, une rencontre dans le cadre d’un cycle sur les Carrefours des Civilisations. Le thème choisi – et malheureusement – toujours d’actualité : « La généalogie des conflits interreligieux depuis l’Antiquité ». Depuis, l’heure ne se prête pas aux débats dans ce lieu d’échanges intellectuels. Mais demain ?

Un signe. En 1914, la plupart des palaces niçois ont été réquisitionnés par les autorités militaires françaises pour servir de lieux hospitaliers. Ils s’appelaient le Majestic, le Ruhl, le Négresco, l’Alhambra, le Grand Hôtel, le Regina ou le Royal, etc. Ils se sont mis – parfois avec réticence – au service d’une humanité abimée, de ces « Gueules Cassées » blessés ou convalescents. Depuis, la Promenade avait retrouvé le luxe et le tourisme, sa vocation première jusqu’à ce jeudi 14 juillet où elle a accueilli à nouveau nombre de blessés ou gens paniqués. Hasard ou mauvaise circonstance ?

Ce vendredi matin, il y avait certes de la sidération dans les yeux des quelques personnes sur la promenade. Demain, peut-être y aura t-il de la colère. Mais après, verra t-on les niçois renoncer à leur mode de vie, à leur faconde méditerranéenne ?

Si comme le disait Claude Moniquet sur France 24 « un tel attentat est presque impossible à déjouer », le psychiatre Boris Cyrulnik évoque cette résilience qui traduit selon lui cette capacité que montre l’individu à surmonter les épreuves. Et sur ce terrain, les niçois ont de la mémoire. En 1706, ils ont résisté à Louis XIV et ont perdu leur citadelle et leur souveraineté. Mais en 1713, ils retrouvent le Duché de Savoie, leur souverain de choix. Le niçois est « Testard » (expression niçoise), ce sera à lui de le prouver demain. Malgré l’enfer de ce « Jeudi noir » !

Avraham Vanwetter[1]

 

[1] Professeur de Sciences Politiques, Université de Nice et cofondateur de l’UHLCA (Université Hébraïque Libre de la Côte d’Azur)