En annonçant la constitution d’un gouvernement d’union avec le parti Kadima, Benyamin Netanyahou a pris de court la classe politique. Quelles explications donner à ce retournement de situation ? Quelle politique attendre de cette méga-coalition désormais au pouvoir ?
La surprise était de taille, l’une des plus grandes sans doute de l’histoire politique israélienne, pourtant peu avare en retournements de situation. Le 8 mai dernier, la Knesset s’apprêtait à voter son autodissolution. Des élections législatives anticipées étaient prévues pour début septembre. Le coup de théâtre s’est produit dans la nuit, lorsque le bureau du Premier ministre annonçait, à la stupeur générale, l’entrée au gouvernement de la plus grande des formations de l’opposition, le parti centriste Kadima.
Coup de théâtre d’autant plus retentissent que le scénario d’un scrutin législatif pour la fin de l’été était des plus cohérents. Sous l’injonction de la Cour suprême, le gouvernement se devait de trouver une alternative à la fameuse ‘loi Tal’. Conçue à l’origine pour faciliter l’insertion des ultra-orthodoxes dans le monde du travail, elle n’était parvenue qu’à institutionnaliser les exemptions du service national dont bénéficient, automatiquement, les jeunes censés consacrer leurs vies à l’étude en yeshiva. Tout changement radical de cet état de fait aurait provoqué le départ des deux partis ultra-orthodoxes – le Shass et ses 11 sièges, le Yahadut Hatora et ses 5 mandats. À l’inverse, le parti Israël Beitenu du ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman – 15 députés – ne se serait pas contenté de changements cosmétiques. Dans les deux cas de figure, la coalition aurait été menacée. Et puis, répétaient à l’envi les observateurs avant la nuit du 8 mai, Benyamin Netanyahou avait tout à gagner à des élections anticipées en septembre. Les sondages donnaient le Likoud largement en tête, avec une trentaine de sièges, loin devant chacune des formations de l’opposition : le parti travailliste, crédité de près de vingt mandats ; le Kadima, en chute libre avec un peu plus de dix sièges, soit autant que le nouveau parti fondé par l’ancien journaliste-vedette Yaïr Lapid. Sans véritable concurrent, le Premier ministre pouvait en outre espérer contrer, en annonçant des élections dans les quatre mois, la résurgence du mouvement de contestation sociale qui avait marqué l’été 2011. L’une de ses principales figures, le leader étudiant Itsik Shmuli, n’avait-il pas affirmé qu’en cas de consultation électorale la contestation s’exprimerait « dans les urnes » et non pas ‘dans les rues’? Or les manifestations de l’an dernier n’avaient en rien menacé, dans les sondages, la suprématie du bloc droite-partis religieux, socle de la coalition. Le Premier ministre avait par ailleurs tout intérêt à se présenter devant les électeurs avant l’élaboration du budget de l’Etat 2013 : baisse des revenus fiscaux oblige, le prochain budget s’annonce en effet comme particulièrement sévère. Enfin, sur le plan international, l’éventuelle réélection, en novembre, de Barack Obama, pourrait permettre à un président américain libéré des contraintes électorales de faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il consente à des compromis censés favoriser la reprise des négociations avec les Palestiniens. Raison de plus, expliquaient les commentateurs, pour que Benyamin Netanyahou opte pour des élections à la Knesset avant les présidentielles américaines.
Le scénario d’un vaste rassemblement
Comment expliquer, dès lors, qu’il ait finalement préféré l’option d’un large gouvernement d’union ? Désormais à la tête d’une méga-coalition de 94 députés sur 120, le Premier ministre peut raisonnablement espérer plus d’un an de stabilité gouvernementale, et se rapprocher sans trop d’encombres de la fin de l’actuelle législature, prévue pour octobre 2013. Repousser les échéances électorales, c’était aussi un moyen de couper l’herbe sous le pied de ses principaux rivaux : la chef de file travailliste Sheli Yechimovitz, en constante progression dans les sondages, et Yaïr Lapid, qui aurait pu séduire une partie de l’électorat jeune, en majorité acquis aux formations de droite. Mais, paradoxalement, c’est l’évolution interne du propre parti de Benyamin Netanyahou qui a été décisive. Trois jours avant l’entrée du Kadima au gouvernement, la convention du Likoud se réunissait à Tel-Aviv, pour, entre autres, élire son nouveau président. Parmi les candidats, le Premier ministre lui-même, qui a eu la mauvaise surprise de constater qu’une grande partie des délégués exigeaient à cor et à cri un vote à bulletin secret. Le scrutin a été repoussé, et il aurait pu aboutir à la défaite de Benyamin Netanyahou : or sans la présidence de la convention du Likoud, le Premier ministre n’aurait pas eu les coudées franches pour modeler à sa guise la liste de son parti aux élections législatives, en réservant des places éligibles à des personnalités extérieures au parti, comme le ministre de la défense Ehud Barak, bête noire de l’aile droite du Likoud. Cette même aile droite dont les représentants avaient donné de la voix au cours de la réunion du 6 mai, fournissant une preuve supplémentaire de leur influence grandissante au sein des instances du parti au pouvoir. Ces militants, souvent issus des milieux sionistes religieux et des implantations de Judée-Samarie, sont minoritaires mais bien organisés : ils constituent désormais une force incontournable, risquant de radicaliser le Likoud et de lui couter son électorat de centre-droit. En repoussant la date des élections à la 18e Knesset, Benyamin Netanyahou espérait sans doute pouvoir inverser la tendance. Le scénario d’une nouvelle recomposition politique susceptible de neutraliser les radicaux en portant le chef du gouvernement à la tête d’un vaste rassemblement coalisant le Likoud, le parti Atsmaout – Ehud Barak et 4 autres transfuges du parti travailliste – et le Kadima est de plus en plus évoqué.
Kadima, en avant dans la coalition
Tout dépendra naturellement de la performance de cette méga-coalition. Elle devra relever plusieurs défis de taille, certains exigés par le Kadima. Le parti centriste et son leader, Shaul Mofaz, jouent leur crédibilité : si une alternative sérieuse à la loi Tal n’est pas élaborée, si une réforme conséquente du système électoral n’est pas adoptée, la formation fondée il y a près de sept ans par Ariel Sharon aura bien du mal à justifier son ralliement au gouvernement. En acceptant de rejoindre la coalition, Shaul Mofaz a sans doute évité une déroute électorale cruelle à son parti – si l’on en croit les sondages, le Kadima aurait perdu jusqu’aux deux tiers de ses 28 sièges en cas de législatives anticipées – , mais la débâcle sera plus grande encore si les centristes ne parviennent pas à peser sur les décisions du gouvernement.
L’entrée du Kadima au gouvernement a eu pour effet de propulser Sheli Yechimovitz à la présidence de l’opposition. Une fonction plus qu’honorifique qui donnera une véritable caisse de résonnance aux valeurs sociale-démocrates de la chef de file travailliste. Mais elle devra également s’exprimer sur les dossiers de politique étrangère, dans lesquels elle est nettement moins à l’aise. Sa tâche sera tout sauf aisée, d’autant plus que l’opposition est numériquement faible – 26 sièges en tout – et qu’elle est morcelée. Peu de points communs idéologiques en effet entre le parti travailliste, les radicaux du Meretz à gauche, ceux du groupe Unité nationale à droite, et les trois « partis arabes ».
King Bibi
Benyamin Netanyahou est donc, incontestablement, en position de force : « King Bibi » comme l’a récemment titré, en première page, le ‘Time’. Peut-être considère-t-il qu’une coalition aussi large lui fournira toute la légitimité nécessaire s’il parvient à la conclusion qu’une opération militaire s’impose pour éloigner la menace du nucléaire iranien. Même si le nouveau venu au cabinet restreint chargé des questions sécuritaires et diplomatiques, l’ancien chef d’état-major et ministre de la Défense Mofaz, est considéré comme un opposant à l’option militaire. En définitive, c’est cette question du nucléaire iranien qui reste au centre des préoccupations du Premier ministre israélien. Une véritable obsession selon certains, à l’aune de laquelle s’expliquerait la plupart de ses décisions, y compris en matière de politique intérieure.