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France

Ariel Goldmann : « La loi du pays est la loi »

Le Président du Fonds social juif unifié s’exprime sur le dispositif Sentinelle, l’exemple d’Israël dans la lutte contre le terrorisme, la représentation de l’islam, et les valeurs du Front National.

 

L’Arche : Vous êtes le Président du FSJU et de la Fondation du judaïsme français, vous vous êtes consacré pendant de nombreuses années au service de protection de la communauté juive, estimez-vous que la communauté juive de France bénéficie d’une protection à la mesure des menaces ?

Ariel Goldmann : C’est un vrai sujet et une question centrale. D’une façon générale, on sait au moins depuis Toulouse en 2012, janvier et novembre 2015 et tout récemment avec Nice, et on le voit bien aussi même en Israël, qu’il n’existe pas de risque zéro face aux fanatiques, aux terroristes et aux criminels qui sont prêts à mourir pour semer le malheur.

Pour le reste, la communauté juive a bénéficié depuis janvier 2015 et à la suite de l’attentat de l’Hyper Cacher de la protection hors-norme et exceptionnelle du dispositif Sentinelle. La communauté juive organisée sait qu’elle peut également compter sur ses propres ressources à travers le SPCJ dont vous parlez, qui agit dans toute la France, puisque ce sont des dizaines et des centaines de bénévoles qui encadrent les manifestations communautaires, les offices, et notamment avec le système des parents protecteurs, les écoles juives.

À ce sujet, j’invite tous vos lecteurs à prendre le temps de s’informer, de se former pour participer chacun à son niveau, à la prévention, comme le font les Israéliens depuis tant d’années.

Cela étant posé et pour répondre à votre question, la communauté juive organisée est-elle suffisamment et bien protégée ? Sous réserve de ma première remarque, je pense que oui : nous y travaillons chaque jour un peu plus, j’ai envie de dire chaque minute, et nous y employons des moyens humains et financiers considérables.

Je pense que les pouvoirs publics continueront à fournir comme ils le doivent cette protection à la communauté juive, mais il faut tenir compte bien évidemment d’un nouveau contexte qui fait que la menace s’est généralisée, que les assassinats ne sont plus ciblés seulement sur des journalistes, des policiers et sur la communauté juive. Ils touchent – on l’a vu à Nice et à Saint-Étienne du Rouvray – toute la France, tous les Français, quelle que soit leur confession, quel que soit le lieu où ils habitent, grandes villes ou petites bourgades reculées. Donc, par rapport à cette nouvelle donne, nous faisons de notre mieux pour nous adapter, et je pense que les pouvoirs publics font aussi de leur mieux, dans un contexte et avec des paramètres de généralisation de la menace qui sont mouvants et compliqués.

 

Vous diriez que la menace est générale et que tous nos concitoyens sont ciblés de la même façon ?

Je pense que tout le monde constitue désormais une cible, mais on sait, parce que Daesh le proclame dans ses vidéos et dans ses écrits, que les juifs – comme d’autres catégories de la population – ont été et restent des cibles privilégiées. Tous les Français sont des cibles, mais les Français juifs sont des cibles particulières et ont d’ailleurs été les premières cibles dès 2012 avec l’assassinat de la Famille Sandler et de la petite Myriam Monsonego à Toulouse.

 

Il a été question un moment de modifier les mesures de sécurité en vigueur et de privilégier une protection mobile sur la garde statique des policiers qui était pratiquée dans les lieux de culte, les écoles et les centres communautaires. Y êtes-vous favorable ?

Nous aurions préféré, si cela était techniquement possible, que le système mis en place depuis janvier 2015 puisse perdurer. Mais « nécessité fait Loi » et on ne peut que prendre acte de la nécessité pour les pouvoirs publics de faire face à une généralisation de la menace. Je suis un citoyen responsable et j’entends les autorités de police m’expliquer qu’il faut désormais protéger toutes les écoles de la République, y compris les écoles juives, tous les lieux publics, y compris les lieux juifs.

Il ne faut pas être un grand mathématicien pour comprendre qu’il y a un problème d’effectifs pour faire face à une telle situation et il nous faut nous adapter en conséquence aux nécessités et aux contraintes qui nous sont exposées par les pouvoirs publics.

Cela ne veut pas dire qu’on ne demande rien, et que l’on renonce à quoi que ce soit mais simplement que l’on prend acte d’une situation donnée nouvelle.

Je pense – et nous le disons sans cesse aux autorités – qu’il faut tenir compte du fait que nous demeurons une cible privilégiée et qu’il y a des endroits où la protection statique demeure indispensable.

Les autorités nous expliquent, et c’est même démontré, que la garde dynamique serait, outre les questions d’effectifs, plus efficace, d’abord parce qu’elle couvre plus de lieux, et ensuite parce qu’elle peut surprendre le terroriste qui ne sait pas par hypothèse vers où vont se diriger les gardes dynamiques. Cela demande malheureusement à être vérifié à l’épreuve des faits, j’allais dire à l’épreuve du feu.

 

Nous consacrons ce dossier de l’Arche à l’Europe et au terrorisme. Diriez-vous que la France est plus menacée que l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne… et les autres pays européens ?

En tout cas, force est de constater que c’est la France qui a payé depuis 2015 le plus lourd tribut en termes de morts et de victimes. Au niveau de la volonté des terroristes de s’en prendre à tel ou tel pays européen, je constate que tous les pays de l’Europe ont été touchés, même la Suisse qui n’est pas dans l’Europe politique mais qui est dans l’Europe géographique et qui n’avait jamais à ma connaissance subi d’attentat, a elle aussi connu cet été un attentat dans un train. C’est dire si le phénomène connaît une ampleur dépassant de loin la seule France. Mais la France, de par ses prises de positions courageuses et ses actions dans la lutte contre le terrorisme international, de par son action au Sahel, en Afrique, de par son histoire et au vu de ce qu’elle représente en termes de liberté, en termes, j’ai envie de dire d’amour de la vie, constitue une cible particulière. Cela prendra du temps pour vaincre les terroristes, les fondamentalistes et les criminels. Mais je suis convaincu que la France, parce qu’elle a des valeurs solides, parce qu’elle a une force de résilience importante, y parviendra.

 

On a vu cet été des délégations françaises se rendre en Israël pour examiner les moyens de protection contre le terrorisme. On a même entendu des responsables politiques plaider pour une « israélisation » de la société française. Pensez-vous que les épreuves traversées par la société française l’ont rapproché d’Israël et ont minoré les critiques sur sa politique ?

Je pense en effet que l’opinion publique a en tête l’exemple d’Israël, au vu de la répétition des actes et au vu de la généralisation de la menace. Parce que tous les Français savent bien qu’Israël est un pays qui vit depuis 70 ans sous cette menace.

À titre personnel, je suis convaincu que l’expérience d’Israël dans la lutte contre le terrorisme, son avance dans ce domaine, devrait fortement inspirer la France dans ce combat et c’est certainement ce qu’ont voulu dire des personnalités politiques comme Hervé Morin (ancien ministre de la Défense), Eric Ciotti ou encore Luc Ferry. Dire que les épreuves subies par la France ont pu faire augmenter le capital de sympathie envers Israël, je n’irai pas jusque-là.

Quand on voit certaines réactions, même de certains ministres du gouvernement de la France par rapport aux méthodes utilisées par Israël dans sa lutte contre le terrorisme, quand on lit certaines réactions sur les réseaux sociaux, on voit bien qu’il y a encore beaucoup de personnes dans notre pays qui, non seulement continuent de critiquer gratuitement Israël, mais ne veulent pas entendre parler d’Israël, même pour une cause aussi essentielle que la lutte contre le terrorisme.

Beaucoup de Français estiment – à tort à mon avis – qu’Israël est un cas à part, parce qu’il a à faire face à un problème politique, un problème de frontières. Ces personnes n’ont pas compris ou ne veulent pas comprendre que c’est une guerre de civilisation, et que les menaces qui pèsent sur Israël au travers du Hezbollah au nord et du Hamas au sud, sont exactement les mêmes menaces que celles qui pèsent sur la France et sur l’Europe.

En réalité, ce que détestent les ennemis d’Israël, ils le détestent également en France et en Europe, c’est cette incarnation du monde libre. Je crois donc que la population pense souvent à Israël. Je crois que les hommes politiques et les journalistes aussi, parce qu’ils se rendent bien compte de l’avance, malheureusement, qu’Israël a pris, dans ce domaine de la lutte contre le terrorisme, mais qu’il y a toujours une poche d’irréductibles qui ne veulent pas entendre parler d’Israël, même pour de bonnes pratiques dans la lutte contre le terrorisme. Ces irréductibles préféreront toujours prendre des risques, ou laisser prendre des risques, plutôt que de s’inspirer d’un pays qui a un savoir-faire et une avance considérable dans ce combat.

 

Comment ressentez-vous le problème de la représentation de l’islam en France ? Estimez-vous qu’il y a un exemple à offrir aux musulmans de France sur la forme de représentation ?

En effet, à plus d’un titre, notre système organisationnel pourrait ou aurait pu inspirer l’islam de France. Mais nous avons des siècles de présence en France derrière nous, et une Histoire (avec ses joies et ses malheurs) qui n’est pas comparable. D’abord parce que le judaïsme s’est organisé depuis des centaines d’années, que les choses se sont faites au fur et à mesure, et que la structuration actuelle de la communauté juive française, si elle peut constituer un modèle, s’est faite paisiblement et au gré du temps.

Par ailleurs, je crois qu’il y a une telle diversité dans la communauté musulmane (diversité d’origines, diversité de pratiques, diversité de croyances) et un tel poids de pays étrangers, si l’on compare à la communauté juive de France, que cela empêche toute modélisation.

Et puis il y a la question de l’attachement à la République, qui a cimenté le judaïsme français à la France au fil du temps et au regard duquel nos compatriotes musulmans doivent encore travailler.

Le grand rabbin de France a proposé au moment de Charlie qu’une prière pour la République soit rédigée et récitée, comme c’est le cas dans les synagogues, dans les mosquées, en l’adaptant aux rites musulmans, Je n’ai pas vu que cette proposition ait eu le moindre écho. Je pense que ce serait une très bonne chose. Il faut proclamer son amour pour la République – cela, les responsables du culte musulman le font –, mais dans la pratique et dans les faits, il faut qu’il y ait des actes symboliques et positifs.

Nous avons toujours fonctionné avec ce précepte religieux contenu dans notre magnifique formule : « Dina Demaklhouta Dina » ( la loi du pays est la loi).

Je crois que c’est cette formule qui a permis à la communauté juive organisée de tenir tout au long de ces années en osmose avec le reste de la nation, d’être structurée de la sorte, d’être regardée de la sorte et même d’être enviée comme une communauté très organisée, très soudée et très unifiée.

Même si nous savons qu’il y a parfois chez nous aussi des tensions, des discordances et des discussions, nous savons rester unis pour l’essentiel, nous bénéficions de cette image et de cette organisation qui reste quand même assez exemplaire et unique au sein de la République.

 

L’année va être dominée par l’accélération de la vie politique avec des élections présidentielles et législatives. L’an dernier, le FSJU s’est associé à une déclaration du CRIF qui alertait ceux qui seraient tentés de voter Front national. Vous maintenez aujourd’hui cette position ?

Je reste très classique dans cette affaire-là, et je continue à considérer que le FN est et demeure un parti dont l’histoire et les valeurs ne sont pas compatibles avec celles portées par le judaïsme. Et donc, je recommande encore une fois pour la présidentielle, et dès à présent, à nos coreligionnaires de ne pas céder aux sirènes de ce parti, quels que soient ses dirigeants et les efforts de ceux-ci pour tenter de se rapprocher de la communauté juive organisée.

J’ajoute que, sur le fond, les dernières déclarations récentes des responsables du FN sur l’interdiction du port de la kipa dans l’espace public ne peuvent que nous inquiéter.