Amos Oz : « Ses fantasmes, ce fut sa grandeur »
Il est né en 1923, dans une petite ville, Vichnev, qui appartenait à la Pologne, aujourd’hui la Biélorussie. Son père, Itzhak Pereski, était commerçant. Sa mère, Sarah Melzer, était bibliothécaire et lui a donné l’amour des livres. Il disait : « Si vous mangez trois repas par jour, vous serez gros. Si vous lisez trois livres par jour, vous serez intelligent ». Tous deux étaient descendants de familles religieuses – le grand père était rabbin -, mais vivaient comme des laïcs. Le petit Shimon portait la kippa et se voulait observant. Il disait souvent qu’il jugeait les gens à leur front. Un front haut était synonyme d’intelligence. Le sien était bien doté de ce point de vue.
Il a souvent raconté comment, dans ce petit village de 1500 habitants, les juifs avaient été émus le jour où un homme a rapporté d’Eretz Israël une orange. « Je n’oublierai jamais les résidents juifs de ce petit village observant bouche bée cette petite orange qui représentait pour eux le sommet des espérances et des désirs enfouis dans leur cœur. C’est ainsi que j’ai ressenti pour la première fois, de manière presque physique, ce qu’est la terre d’Israël ».
C’est en 1935 qu’il s’est installé, avec sa famille en Israël, à l’âge de 13 ans. Ses grands parents, restés à Vichnev, seront assassinés par les nazis.
Le kibboutz Alumot, la Hagana, le Mapaï, le travail aux côtés de David Ben-Gourion et au Ministère de la Défense, le développement des relations avec la France auquel il a consacré de nombreuses années…Tels furent les premiers jalons du parcours. On lui a demandé un jour ce qui comptait à ses yeux dans ce parcours, et il a répondu : « De Dimona à Oslo. Parce qu’un peuple en attaque un autre soit quand il a la volonté, soit quand il est persuadé qu’il en a la force. Comme nous ne pouvions pas changer la volonté, nous devions les convaincre qu’ils ne réussiraient pas à le faire ».
L’ancien président Haïm Herzog a dit un jour de son lointain successeur : « En dehors de David Ben-Gourion, il n’y a pas un homme politique en Israël qui en ait fait davantage au plan de la sécurité et de la défense que Shimon Pérès ».
Depuis 1959, depuis l’âge de 35 ans et son élection à la Knesset sous l’étiquette du Mapaï, il a siégé dans tous les parlements qui se sont succédé pendant presque cinquante ans, et jusqu’à son élection en 2007 à la tête de l’Etat.
Comment est-il devenu au fil des ans, l’apôtre inlassable de la paix, l’incarnation du combat pour la paix ? Il aimait dire que pour la paix, comme pour l’amour, il est indispensable parfois de fermer les yeux.
Il a été Premier ministre durant deux ans, dans un gouvernement alternant avec Itzhak Shamir. Un de ses hauts faits fut une rencontre secrète avec le roi Hussein qui aurait pu aboutir mais qui fut contrecarrée par Shamir qui n’en voulait pas, l’idée de confédération jordano-palestinienne. Il fut, bien entendu, c’est la grande œuvre de sa vie politique, l’artisan des accords d’Oslo et se tint au côté d’Itzhak Rabin lors de la manifestation pour la paix à Tel Aviv qui fut fatale à l’ancien chef de gouvernement ;
Il faut dire au passage que lorsque Mme Leïla Shahid reproche à Shimon Pérès de n’avoir pas réussi à assurer la succession de Rabin, elle omet de préciser que le Hamas, en multipliant les attentats-suicides et les explosions dans les autobus et dans les rues au cœur d’Israël, a fait voter Netanyahu, probablement en toute connaissance de cause.
Il était une figure duelle. A la fois un battant qui a connu des défaites cuisantes, et en même temps un indécrottable optimiste et un homme d’action. Objet d’estime et d’admiration, et en même temps, malaimé et fortement controversé dans l’opinion.
Sur le plan de la défense et de la sécurité, on peut dire qu’il a eu un certain nombre de réussites à son actif. L’armement de Tsahal, l’aide des Etats-Unis et de la France – dont il fut un ardent défenseur et un amoureux très apprécié de l’ensemble de la classe politique -, l’industrie militaire et aéronautique, le développement de l’énergie atomique, l’opération Entebbé qu’il a conduite avec succès, au côté d’Itzhak Rabin…Sur le plan politique, peu de réussites, des tentatives qui ont compté, et qui compteront dans le futur, les accords d’Oslo qui lui ont valu le prix Nobel de la paix avec Rabin et Arafat, des échecs aussi…Il n’a jamais eu beaucoup de chances avec les élections. Sauf une fois, quand il a été élu 9ème président de l’Etat d’Israël.
Ce fut son heure de gloire, parce que tout d’un coup, cet homme que l’électorat n’aimait pas, s’est mis à être adulé, a fait figure de rassembleur, a été promu père de la nation et s’est mué en une des personnalités les plus célèbres et les plus admirées dans le monde.
On le disait rêveur, fantaisiste, mondain. On moquait sa rhétorique sur un « nouveau Moyen-Orient ». Il est resté jusqu’au bout accroché à ses idéaux, et ses dernières années, il les a consacrées au centre Shimon Pérès pour la paix. Quand il a eu son dernier malaise cardiaque, il se trouvait devant un public du centre, discourant pendant une heure et demie sur le développement du High Tech en Israël.
Son vieil ami, l’écrivain Amos Oz, dira de lui : « Sa capacité à analyser les situations, sa puissance créatrice incorrigible, son pouvoir d’ouvrir une fenêtre dans un mur qui n’en contient pas, de percevoir une ouverture là où d’autres ne voient qu’une muraille en béton, de mettre en relations des éléments que rien ne rapproche , ce qu’on appelle ses fantasmes, ce fut sa grandeur ».
Plus qu’un sage, plus qu’un père de la nation, plus qu’un serviteur de son peuple, il fut un symbole. Le symbole d’une démocratie libérale qui n’a jamais transigé sur les principes, contre vents et marées, et qu’il incarnait mieux que personne.