Au lendemain du décès de Shimon Pérès, nous publions quelques articles parus dans le Hors-Série de l’Arche consacré à Ariel Sharon & Shimon Pérès paru en novembre 2013.
L’Arche : Vous avez été l’une des personnes les plus impliquées dans les accords d’Oslo. Pourquoi Shimon Pérès a-t-il décidé de mettre autant d’efforts dans leur réalisation ?
Uri Savir : Depuis longtemps, bien avant que les négociations ne commencent, Shimon Pérès était persuadé qu’il fallait mettre un terme au conflit israélo-palestinien. Ainsi, en tandem avec Itzhak Rabin, à la fin de 1992, ils ont opté pour la décision difficile et nécessaire d’arriver à un accord avec les Palestiniens. Ils pensaient que la menace stratégique n’émanait pas des Palestiniens mais de pays plus éloignés comme l’Iran et qu’il était indispensable de créer un cordon sanitaire entre la Jordanie, l’Égypte, les Palestiniens et nous afin de nous prévenir d’une éventuelle menace. Cela ne pourrait bien entendu pas être réalisable sans la prise en compte de la situation qui nous opposait aux Palestiniens. Il n’y avait pas d’autre partenaire envisageable que l’OLP. Je me souviens d’une conversation entre Pérès et Rabin où ils évoquaient le fait que le pays était maintenant définitivement sur la carte du Moyen-Orient et qu’il était temps de permettre à la prochaine génération de ne pas subir d’autres conflits régionaux.
Quel rôle avez-vous joué dans les négociations ?
Lorsqu’Israël réalisa que les discussions avec les représentants de Gaza et de Cisjordanie ne menaient nulle part, je fus envoyé par le ministre des Affaires étrangères Pérès en mission secrète pour rencontrer des dirigeants de l’OLP. Le secret était la condition préalable à la conduite des négociations. Nous sommes donc arrivés à quelques accords précis. Tout d’abord, de dialoguer directement et de ne pas dépendre d’instances comme les Nations unies. Ensuite, qu’une autonomie serait accordée en premier lieu à Gaza et à Jéricho. Et finalement que Jérusalem ne ferait pas partie d’une quelconque autonomie. Ces conditions furent acceptées par Arafat.
J’ai rencontré Abou Allah le 20 mai 1993 pour la première fois. L’accord fut signé quatre mois plus tard. J’ai beaucoup d’estime pour Pérès et Rabin, car il leur fallait avoir un immense courage pour prendre une décision aussi difficile. Laquelle aurait mené ultimement à deux États pour deux peuples. Les autres questions délicates se résolvant dans ce processus. Shimon Pérès fut le principal architecte des accords d’Oslo. Dans son esprit, il percevait la résolution du conflit israélo-palestinien comme une étape importante permettant d’arriver à une paix dans toute la région. Des accords seraient signés avec l’ensemble des pays arabes et une coopération économique favoriserait le développement du Moyen-Orient dans son ensemble. Lors des deux années qui suivirent, se tinrent les conférences de Casablanca et Amman avec pour objectif la pacification de la région.
Êtes-vous optimiste pour la reprise des négociations et sûr de les voir, un jour, aboutir ?
Oui, certainement. La plupart des Israéliens comprennent qu’il n’y a pas d’autre alternative à la coexistence entre deux États sur ce territoire. Chaque conflit prend beaucoup de temps pour se résoudre. Ce fut le cas en Irlande, en Yougoslavie, entre la Russie et les USA et entre la France et l’Allemagne. Malgré les difficultés rencontrées, la solution de deux États pour les Israéliens et les Palestiniens sera donc celle qui prévaudra. Ce qui sera très bénéfique à Israël d’un point de vue politique, nous ouvrant toute la région. Moralement, il s’agit également d’une obligation. Des deux côtés, de notre part en mettant un terme aux implantations, et, de celles des Arabes en arrêtant de délégitimer l’existence d’Israël.
Pouvez-vous nous parler des conditions de travail avec Shimon Pérès ?
C’est un des hommes les plus brillants que j’ai eu la chance de rencontrer dans ma vie. Ce fut une expérience merveilleuse de travailler auprès de lui pendant 30 ans. Il est fasciné par le futur, ce qui permet d’éviter les soubresauts de la nostalgie. Il arrive à anticiper les marches de l’histoire, préférant travailler à y conduire au mieux Israël que de se renfermer dans tel passé glorieux. Tout ce qui concerne Israël lui tient beaucoup à cœur. Travailleur acharné, il ne compte pas les heures. Il symbolise à me yeux l’architecte du futur.
Estimez-vous que sa relation particulière à la France a joué un grand rôle à la fois dans le développement militaire du pays et le processus de paix ?
Bien entendu. En premier lieu, évidemment, pour la coopération militaire entre les deux pays, remontant à bien longtemps. Le complexe de Dimona et la création de l’industrie aérienne militaire lui doivent beaucoup. Sans parler des autres développements militaires où Pérès eut également un rôle. Concernant le processus de paix, la France joua un très grand rôle. François Mitterrand et Shimon Pérès étaient de très bons amis. Le président français était une des seules personnes en qui le dirigeant israélien avait entièrement confiance dans la mise en place des accords d’Oslo. Grand ami d’Israël, François Mitterrand exprima un enthousiasme particulier lors de la signature de ces accords.
Comment le Président français a-t-il agi en faveur de l’évolution du processus de paix ?
Lors d’une visite d’État en 1992, François Mitterrand s’est entretenu avec Itzhak Rabin et Shimon Pérès. Il leur a dit : « Je sais que vous souhaitez arriver à la paix, mais cela ne sera pas possible sans la participation de l’OLP. » Nous n’étions pas tout à fait d’accord à l’époque. Graduellement, le Président français, ainsi que certains de ses conseillers, principalement Jacques Attali, ont grandement favorisé les rencontres entre Israéliens et Palestiniens, notamment à Paris. Ce qui nous
a permis d’arriver à une reconnaissance mutuelle.
Conscients de l’importance d’une politique régionale afin de mettre fin aux conflits, la France a joué un rôle majeur dans la construction européenne et nous a aidés, de part et d’autre, à comprendre l’enjeu de ces négociations. Ils nous ont encouragés à mettre en place une politique économique proche-orientale et méditerranéenne. Ce qui avait alors une grande valeur pour nous.
La France occupe-t-elle une place importante aujourd’hui dans la région ?
Depuis fort longtemps, la France tient une place majeure dans le développement du Proche-Orient, en particulier le Liban et la Syrie. Malheureusement, il n’y a plus aucun interlocuteur aujourd’hui en Syrie. Seule une coopération avec les États-Unis permettrait de mettre fin à la guerre civile, par l’intermédiaire de discussions lors de conférence de paix, telle celle organisée à Genève. A l’avenir, je pense que les relations entre la France et Israël doivent bénéficier du même niveau de coopération. François Hollande, aussi bien que son ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius sont des interlocuteurs précieux. Les liens entre nos deux pays sont bien plus forts que les populations ne veulent bien l’admettre.
Pensez-vous que lors de cette dernière année où Shimon Pérès occupe des fonctions politiques, il est tout aussi impliqué dans la résolution des conflits régionaux ?
Il est très préoccupé par l’évolution géopolitique et je pense que les Israéliens et les autres populations pourraient bénéficier de ses conseils. Ce grand patriote est conscient que la paix est ce qui permettra aux futures générations d’Israéliens et d’Arabes de se développer économiquement, en terme d’éducation, de culture… Malgré son âge avancé, c’est encore un jeune homme dans sa tête. Il comprend mieux que quiconque l’influence des développements technologiques et scientifiques et ce qu’ils peuvent apporter de bénéfique pour les Israéliens et les pays arabes.
Et il le ferait avec un titre particulier, comme celui d’ambassadeur des Nations unies ?
Le titre de Shimon Pérès lui est suffisant.
Propos recueillis par Steve Krief
Uri Savir a été le négociateur en chef des accords d’Oslo. Il préside aujourd’hui le Peres Center for Peace.