Par la grâce des opérations Moïse et Salomon menées durant les 80’s par l’action conjuguée de l’Agence Juive et de Tsahal, Israël est parvenu à rapatrier d’Éthiopie une tribu perdue. Trente ans plus tard, leurs enfants métamorphosent la scène artistique locale en général et la musique en particulier offrant à Israël ses premiers groupes hip-hop et reggae. Le rapper Nechi Nech (« plus blanc que blanc » en éthiopien), le Eminem de Petah Tiqva, dresse un instantané enthousiasmant de cet irrésistible nouveau groove hébraïque.
Vétéran de la scène hip-hop israélienne depuis 2003, Nechi Nech est toujours resté fidèle à sa localité de Petah Tiqva, allant même jusqu’à intituler, non sans une certaine pointe d’humour, son dernier album « Welcome to Petah Tiqva » (Bienvenu à Petah Tiqva). Son surnom de « plus blanc que blanc », il le doit aux nombreux olims d’origine éthiopienne qui peuplent sa chère petite ville, si étonnés qu’un blanc s’adonne ainsi à la musique noire. Désormais, le « vétéran » trentenaire a trois CD déjà publiés à son actif et collabore avec Café Shahor Hazak, le groupe black le plus influent du pays.
Nechi Nech
L’Arche : Pouvez-vous nous dresser un panorama de cette nouvelle scène ?
Nechi Nech : En Israël , il y a quelques groupes avec des artistes noirs juifs d’origine éthiopienne. Un des plus grands noms de cette scène c’est Café Shahor Hazak. En hébreu, le nom signifie « café noir et fort ». Ils sont incontestablement les plus célèbres représentants de cette communauté de juifs noirs vivant en Israël. Il y a également quelques chanteurs et MCs qui véhiculent en hébreu les messages du reggae comme celui du hip-hop. Et des gens qui ont su l’apporter en Israël comme Gil Bonstein (plus connu sous le nom de Gil « rasta » Bonstein) le premier à avoir diffusé le reggae dans ce pays, lorsqu’il a ouvert en 85 le club Sweto à TA, le tout premier lieu du genre dans tout le pays. Il a ensuite organisé de grands festivals reggae, suscitant ainsi une véritable vocation chez les groupes israéliens à adopter le reggae. Il faut également citer Monica Haim qui a réalisé « Awake Zion », ce documentaire historique qui retrace en 2005 les liens indiscutables qui existent entre le judaïsme et le mouvement des rastafariens, traçant un pont virtuel entre Kingston et Jérusalem.
Enfin, il faut aussi citer Chulu « mad man », c’est son surnom. Je crois qu’il l’a choisi, car il signifiait chasse-mouches dans un dialecte africain, même s’il s’agit d’un juif d’origine marocaine. Il a grandi dans une ville du sud d’Israël et il est souvent parti en Jamaïque, c’est un chanteur reggae dans le plus pur style « dance-hall ». Il est aussi le premier a avoir ouvert une boutique de fringues inspirée du style reggae. Il est très futé. Il avait un petit studio d’enregistrement dans son arrière-boutique et il l’a ouvert à de jeunes MC qui faisaient aussi du reggae, bien entendu, mais il était également ouvert à ceux qui pratiquaient le hip-hop.
Il y a également Nigel, un juif originaire du Yémen, mais qui est né en Jamaïque. En 1992, il a enregistré et publié un album de ragamuffin chanté en hébreu, il était le tout premier à le faire. Il compte incontestablement parmi les « pères fondateurs » du reggae et du hip-hop israélien.
Awake Zion
Comment cette nouvelle culture a-t-elle été accueillie dans le pays ?
Au début, les parents détestaient, bien sûr. Mais comme bien souvent, si les parents détestent c’est bon signe pour les jeunes. Mais ces musiques auront mis du temps avant d’être enfin pleinement acceptées. Car elles jouissaient, on va dire, d’une mauvaise réputation. C’est de la musique pour les noirs américains, disaient les parents. Quant à la majorité du public israélien, ils ne se sentaient tout simplement pas concernés. Ce qui n’a pas dissuadé les vocations, bien au contraire, puisque dès le tournant des 90’s des groupes ont commencé à se constituer un peu partout. Et certains ont commencé par avoir dus succès, même si hélas beaucoup trop n’ont pas su mobiliser le public. Mais d’autres y sont parvenus tel Shabak Samech un groupe qui vient de Yavne. Au début, ils pratiquaient un rock très radical un peu à la Rage Against the Machine, mais ils ont très vite évolué vers un son beaucoup plus hip-hop tout en incluant des éléments de reggae, de ska et de funk.
Après il y a eu Hadag Nahash de Jérusalem, à la fin des années 90 qui est à ce jour le groupe de rap qui a remporté le plus de succès chez nous avec des textes très politiquement engagés. On peut dire qu’ils sont une version israélienne de the Roots. C’est donc un vrai groupe avec de vrais musiciens, pas un DJ sur ses machines. Ils mêlent funk et hip-hop avec beaucoup d’énergie.
Côté clubs, ils ne duraient guère et n’avaient pas beaucoup d’impact sur le public. Seule une émission de radio ou deux ont soutenu cette musique noire en Israël dont une émission justement baptisée « Black Business ». Quant aux maisons de disques, elles n’ont jamais vraiment prêté attention à ce genre musical, lequel du coup, a pris l’habitude de se développer de manière totalement indépendante. Alors nous faisons nos disques nous-mêmes, avec notre argent, notre sang , notre sueur et nos larmes, comme on dit souvent.
Aujourd’hui, le groupe-phare de la musique éthiopienne en Israël est Café Shahor Hazak avec lesquels tu as enregistré un duo…or voici quelques mois on a vu des images terribles de policiers israéliens en train d’harceler un jeune appelé de Tsahal d’origine africaine. Le groupe prend-il des positions politiques ou se cantonne-t-il à l’entertainment ?
Oui à tous points de vue, car ils sont les leaders d’une génération d’ismaéliens juifs et noirs qui demandent d’être enfin reconnus en tant que tels. Car ils veulent eux aussi, comme les juifs d’Europe ou d’Orient, pouvoir à leur tour être fiers de leur origine et de leur héritage. Et Café Shahor Hazak participe de manière très active à ce processus identitaire.
Car les juifs ici sont fiers de revendiquer leurs racines, qu’elles viennent de Pologne ou du Maroc, n’est-ce pas ?
Exactement. Et les Éthiopiens ne veulent pas avoir honte du pays qu’ils ont quitté. Ils veulent le même traitement que tous les autres juifs. Je pense que toutes les minorités présentes en Israël souffrent d’une manière ou d’une autre…car ils sont minoritaires. Mais les autres vagues de migrants qui sont arrivées dans le pays, les pieds-noirs puis les Russes par exemple, ont toutes obtenu cette reconnaissance au bout d’un certain temps. Alors les Éthiopiens disent : nous sommes là depuis assez longtemps désormais, nous devons avoir les mêmes droits que les autres. Ils doivent donc avoir les mêmes chances que tous les autres. C’est leur principale revendication.
Pour revenir à la musique, quel est l’état actuel de la scène black en Israël ?
En général, oui on peut dire qu’elle ne cesse de croitre et que les artistes rap et reggae gagnent chaque jour en popularité. C’est une scène qui se trouve en perpétuelle évolution. Alors oui je suis optimiste puisque je n’ai aucun autre choix. Je ne vais pas renoncer du jour au lendemain à défendre cette culture.
Le fait que tu chantes avec Café Shahor Hazak n’est pas un hasard, je présume ?
Oui il y a un très fort sentiment d’unité au sein de toute cette culture où le vivre ensemble est essentiel. Car nous sommes un peu tous des proscrits du showbiz traditionnel israélien. À leurs yeux, nous ne sommes que des marginaux. Nous sommes sur le côté de la route de la musique israélienne. Mais cela ne fait que renforcer note détermination et notre cohésion à défendre la musique que nous aimons pour aller de l’avant. Ces musiques sont de plus en plus populaires auprès des jeunes. Et chaque jour de nouveaux musiciens, de nouveaux rappers émergents. Le futur leur appartient. Je pense à des MCs comme Tuna, un incroyable rimeur et un excellent producteur. Je pense qu’il va marquer durablement notre culture hip-hop. Côté reggae, je songe à un artiste qui répond au nom de Soul J et qui va devenir énorme, si Dieu veut. »